La notion de décence du logement est définie pour la première fois par la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion dite loi MOLLE du 25 mars 2009 (n° 2009-323) :
" Constituent un habitat indigne les locaux utilisés aux fins d’habitation et impropres par nature à cet usage, ainsi que les logements dont l’état, ou celui du bâtiment dans lequel ils sont situés, expose les occupants à des risques manifestes pouvant porter atteinte à leur sécurité physique ou à leur santé ".
Il s'agit d'une notion applicable en matière de droit locatif permettant d'aménager les rapports entre d'une part, propriétaire bailleur et, d'autre part, locataire preneur.
La notion de décence doit ainsi être distinguée de la notion d'insalubrité définie par le Code de la santé publique (article L. 1331-26) ou de la notion de péril qui, en matière administrative, permet l'intervention de l'Administration (en l'espèce le Préfet) afin d'assurer la sécurité publique face aux immeubles menaçant ruine (article L. 511-1 du Code de la construction et de l'habitat).
Les mauvaises conditions d'habitat sont au coeur de la lutte contre le mal-logement en France qui regroupe aussi l'absence de logement, les difficultés d'accès au logement ou les difficultés à se maintenir dans un logement.
Selon le dernier rapport annuel de la fondation Abbé Pierre sur ce point, plus de deux millions de personnes vivent dans des logements privés de confort et plus d'un million de personnes connaissent au sein de leur logement un ou plusieurs défauts pouvant entraîner des conséquences potentiellement graves sur leur santé ou leur sécurité.
Parmi ces défauts graves pouvant constituer un critère d'indécence, on retrouve de manière récurrente : les remontées d'odeur, l'installation insuffisante de chauffage ou encore les problèmes d'évacuation d'eau et les infiltrations ou inondations dues à un problème d'étanchéité ou d'isolation causant des moisissures.
De ce fait, les logements indignes sont estimés à plus de 600.000 en France actuellement.
Applicable dans les rapports locatifs comme nous l'avons évoqué plus haut, la notion de décence est encadrée par plusieurs dispositions.
Pour rappel :
" Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière :
1° De délivrer au preneur la chose louée et, s'il s'agit de son habitation principale, un logement décent. Lorsque des locaux loués à usage d'habitation sont impropres à cet usage, le bailleur ne peut se prévaloir de la nullité du bail ou de sa résiliation pour demander l'expulsion de l'occupant ;
2° D'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée ;
3° D'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ;
4° D'assurer également la permanence et la qualité des plantations ".
De manière plus précise, l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989 énonce que le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé, répondant à un critère de performance énergétique minimale et doté des éléments le rendant conforme à l'usage d'habitation.
Cet article est complété par un décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent qui établit des critères précis afin de déterminer si un logement mis en location répond ou non aux caractéristiques de la décence.
Ces critères peuvent être regroupés en trois catégories :
- Le logement doit permettre d'assurer la santé et la sécurité physique des occupants.
- Certains éléments d'équipement et de confort doivent être présents.
- Des critères sont liés à la surface et au volume des logements.
Ce décret a été complété récemment par un décret n° 2017-312 du 9 mars 2017 qui intègre la performance énergétique aux caractéristiques du logement décent et qui permet de lutter contre un phénomène nouveau dénommé la "précarité énergétique".
Il est notamment prévu que : " le logement est protégé contre les infiltrations d'air parasites. Les portes et fenêtres du logement ainsi que les murs et parois de ce logement donnant sur l'extérieur ou des locaux non chauffés présentent une étanchéité à l'air suffisante. Les ouvertures des pièces donnant sur des locaux annexes non chauffés sont munies de portes ou de fenêtres. Les cheminées doivent être munies de trappes " (article 1)
" Le logement permet une aération suffisante. Les dispositifs d'ouverture et les éventuels dispositifs de ventilation des logements sont en bon état et permettent un renouvellement de l'air et une évacuation de l'humidité adaptés aux besoins d'une occupation normale du logement et au fonctionnement des équipements " (article 2).
En effet, de plus en plus de logements doivent obeïr à des normes contraignantes en matière environnementale afin d'assurer un maximum de confort et un minimum de dépenses énergétiques.
Or, beaucoup de logements accusent encore du retard dans ce domaine et la précarité énergétique est une réalité à prendre en compte chez certains locataires.
Dès lors, au regard de ces dispositions législatives et réglementaires applicables tout locataire peut se trouver fondé à invoquer un trouble de jouissance dès lors que son logement ne présente pas les caractéristiques de décence au regard des textes susvisés.
Par ailleurs, la jurisprudence rappelle que la notion de trouble de jouissance ne peut donner lieu à réparation que si le propriétaire, averti des désordres, n'a pas fait réalisé de manière suffisante, par des techniciens compétents, les travaux nécessaires pour remédier à ces désordres.
Sur ce point :
Cour d'appel de Montpellier, Arrêt du 19 septembre 2017, Répertoire général nº 15/05391
" Le logement qui leur a été délivré était décent. Suite à des infiltrations survenues en mars 2013, des réparations se sont avérées nécessaires. Les bailleurs ont été informés par lettre recommandée avec accusé de réception de la présence de nombreuses infiltrations dans le logement. Ils justifient alors avoir fait intervenir courant mars 2013 un professionnel pour remédier aux désordres.
Il est constant que dès qu'ils ont été avisés des problèmes d'infiltrations dans le logement loué, les époux ont fait intervenir un professionnel. De plus, certains travaux relevaient de l'entretien locatif. Des infiltrations sont imputables aux locataires comme le mauvais branchement de la machine à laver.
Il ressort de l'ensemble de ces éléments que les locataires ne démontrent pas que les lieux loués sont indécents ou mal entretenus suite à non respect par les bailleurs de leurs obligations ".
Ainsi, peu importe que le locataire ait accepté les lieux en l'état au moment de la signature du contrat de bail, il pourra se trouver fondé à agir contre son propriétaire si des nuisances l'empêchent de pouvoir jouir paisiblement de son logement.
Sur ce point :
Cour d'appel de Versailles, Arrêt du 8 juin 2017, Répertoire général nº 16/05978
" En tout état de cause, ils rappellent que l'acceptation des lieux en l'état ne libère pas le bailleur de son obligation de remettre au locataire un logement décent ".
La jurisprudence a pu constater les manquements commis par certains propriétaires bailleurs pouvant ouvrir droit pour le locataire à une indemnisation au titre du trouble de jouissance subi sachant que l'indécence d'un logement ne dispense pas le locataire de son obligation de paiement des loyers sauf si le logement en question se révéle de facto inhabitable.
Sur ce point:
Cour d'appel de Nîmes, Arrêt du 14 septembre 2017, Répertoire général nº 15/05411
" Eu égard à leur nature et à leur gravité relative, ces non-conformités et/ou éléments d'inconfort modérés et temporaires ne sauraient dispenser le locataire du paiement du loyer et ce, puisque contrairement à ce qu'il prétend, les bailleurs ont mandaté diverses entreprises pour remédier dans les meilleurs délais aux désordres dénoncés ".
Cour d'appel de Rouen, Arrêt du 1er juin 2017, Répertoire général nº 16/01855
"il ne peut y avoir dispense totale du paiement du loyer que si le logement est inhabitable. Un logement affecté de désordres ou d'éléments d'indécence donne lieu à allocation de dommages et intérêts pour préjudice de jouissance".
Cour d'appel de Douai, Arrêt du 28 septembre 2017, Répertoire général nº 15/05271
"les locataires ne peuvent d'autorité différer le paiement du loyer au motif que le bailleur n'exécuterait pas les travaux que la loi impose, à moins que de ce fait le logement devienne inhabitable".
La difficulté reste que le locataire doit démontrer que le logement mis en location par le bailleur présentait un caractére indécent lui ayant occasionné un trouble de jouissance.
La plupart du temps, le trouble de jouissance ne pourra être évalué que par l'établissement d'un rapport d'expertise sollicité au contradictoire du propriétaire devant le juge compétent mais aussi en utilisant tout document permettant d'appuyer ou de compléter le rapport de l'expert comme un constat d'huissier ou les rapports rendus éventuellement par l'Agence Régionale de Santé.
Les éléments de preuves admis afin de démontrer la réalité du préjudice subi varient selon la jurisprudence et sont appréciés au cas par cas.
En réalité, il sera difficile pour le locataire d'invoquer le trouble de jouissance lorsque le propriétaire, alerté sur l'indécence de son logement aura fait réalisé les travaux nécessaires en ayant recours à des techniciens compétents.
Sur ce point :
Cour d'appel de Toulouse, Arrêt du 6 juin 2017, Répertoire général nº 15/03145
Les Juges rappellent que "la preuve doit être rapportée par celui qui réclame l'exécution d'une obligation et que les photographies à elles seules ne permettent pas de démontrer l'insalubrité d'un logement".
Cour d'appel de Lyon, Arrêt du 12 septembre 2017, Répertoire général nº 15/05794
" La démonstration de l'absence de fonctionnement récurrent du système de chauffage de cet appartement repose, de fait, exclusivement sur un constat d'huissier lequel fait simplement état de l'arrêt de ces appareils et leur remplacement par des convecteurs électriques. Mais cet officier ministériel, qui n'est pas technicien, ne se prononce aucunement sur les causes de cet arrêt et à bon droit, le premier juge en a conclu que la preuve n'était pas rapportée d'un défaut de fonctionnement et d'entretien incombant au bailleur, lequel apparaît au contraire avoir tenté de solutionner au mieux ce problème de chauffage en missionnant des techniciens compétents et prêts à intervenir ".
Mais, la jurisprudence a pu se positionner différemment dès lors que les travaux réalisés par le propriétaire se sont montrés insuffisants au regard de graves problèmes d'humidité affectant le logement dès le début de la location.
Cour d'appel de Reims, Arrêt du 16 juin 2017, Répertoire général nº 16/02354
Le préjudice subi par le locataire sera difficile à apprécier et dépendra de sa durée ainsi que de la gravité et du nombre de désordres affectant le logement. La précarité du locataire entre aussi en jeu.
Il faut savoir que certaines jurisprudences ont reconnu en plus du droit à indemnisation pour trouble de jouissance, la possibilité pour le locataire de percevoir des dommages et intérêts au titre des frais déboursés pour remettre en état le logement ou pour lui permettre d'améliorer son confort (exemple du remboursement par le propriétaire des surcoûts d'électricité liés à l'usage excessif des radiateurs par le locataire afin de se chauffer correctement).