On ne peut pas, on ne devrait jamais, se réjouir qu’un homme atterrisse en prison, quelle que soit sa faute.
Mais bon, dans certains cas on se sent un peu moins touché et on est à deux doigts de se dire que certains l’ont bien cherché et qu’il était fatal, à un moment, qu’une juridiction se fâche tout rouge.
Alain SORAL véhicule depuis de longues années des propos moins discrètement antisémites que son compère DIEUDONNE et la haine du juif transpire à grosses gouttes dans son univers.
Edouard DRUMONT, dont il réédite d’ailleurs des textes (1), est son grand ancêtre intellectuel, si on ose ainsi galvauder ce qualificatif.
Non sans profit d’ailleurs car cette petite entreprise ne connait pas la crise.
En fait, si ça se trouve SORAL n’a rien contre les juifs, simplement il n’a trouvé que ce moyen pour gagner sa vie et il illustre à sa manière la maxime du Voleur de Georges Darien : je fais un sale boulot mais j’ai une excuse, je le fais salement.
Le tribunal, ne reculant devant aucun sacrifice, et tenant sans doute compte d’antécédents montrant une persistance dans la haine et dans sa cible qui confine à la monomanie, a décidé de donner un coup d’arrêt à ce petit trafiquant d’antisémitisme, avec une peine ferme (un an) et un mandat d’arrêt, en l’absence du prévenu.
On s’attend donc soit à ce qu’il prenne la fuite vers Caracas, soit à ce qu’il se rende ou se fasse arrêter comme le premier dealer venu, au petit matin à son domicile ou, bêtement, pour avoir téléphoné au volant.
Pas de chance pour lui, et il sera peut-être puni par où il a péché, son visage est connu et en dehors de la fiche de recherche dont l’encre n’est même pas encore sèche (métaphoriquement parlant), il aura du mal à prendre l’avion sans qu’on le reconnaisse.
Mais oublions ce personnage médiocre et examinons la situation de Maître Damien VIGUIER, qui était le conseil de SORAL dans une autre affaire, et son coprévenu dans celle-ci, sous une incrimination de complicité de contestation de crime contre l’humanité.
Notre excellent confrère était poursuivi pour avoir rédigé des conclusions, dans l’affaire en question, et que son client a mises en ligne sur son site.
Les conclusions sont, pour l’avocat, le support écrit de son argumentation : la plaidoirie s’envole (enfin, dans le meilleur des cas), les conclusions restent au dossier.
Pratiquement systématiques dans les procédures civiles, elles sont plus rares au pénal, procédure orale par essence.
L’argumentation de l’avocat est sanctuarisée par la loi du 29 juillet 1881, texte fondateur pour la liberté d’expression.
Il dispose, en son article 41, que « Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux.
Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts. »
Cette immunité judiciaire, loin d’être un privilège, est, comme le secret professionnel, une garantie essentielle du bon exercice des droits de la défense.
L’avocat doit pouvoir tout écrire et tout plaider (parfois jusqu’à l’outrance) et il serait plus dangereux d’autoriser qu’on le sanctionne et qu’on le censure, que de le laisser soutenir tous les arguments qu’il souhaite.
La condamnation d’un avocat soulève évidemment une vague d’émotion, même chez ceux qui n’ont aucune sympathie pour notre confrère ou les thèses qu’il a été amené à défendre, dans les deux sens de ce terme.
Avant de nous indigner, penchons-nous une fois de plus sur le droit.
La jurisprudence est constante sur le fait qu’une des conditions, pour que l’avocat bénéficie de l’immunité, est que les propos soient en lien avec le litige et non étrangers aux faits de la cause.
Deuxièmement, le texte, strictement, n’exclut que les infractions de « diffamation, injure ou outrage », et il faut relever que Maître VIGUIER a été condamné pour complicité de contestation de crime contre l’humanité.
Enfin, il faut que les discours aient été prononcés, ou les écrits produits « devant les tribunaux ».
Sans doute faut-il comprendre seulement devant les tribunaux, car en l’espèce les conclusions sont sur le site de SORAL, mais elles avaient bel et bien été produites dans un procès et pour les besoins de la défense.
Par ailleurs rien n’indique qu’elles aient été mises en ligne par leur auteur et tous les avocats savent qu’une fois communiquées à leurs clients, ceux-ci font parfois un étrange usage de leurs écritures.
Cette interprétation pose problème en ce qu’elle aboutirait au résultat suivant : si j’écris des énormités dans mes conclusions je suis protégé, mais si la personne que j’assiste les publie d’une façon ou d’une autre je peux être poursuivi ?
Les principes, comme leur nom l’indiquent, sont là pour s’appliquer à tous et en toutes circonstances, et c’est ce qui fait la force de ceux qui luttent contre les affreux.
Les droits de la défense sont sacrés, n’ayons pas peur des mots, et s’en prendre à un avocat en tant que tel est sans doute une erreur que le tribunal n’aura pas commise.
C’est pourquoi, si je devais me livrer à un exercice de voyance, je dirais que c’est tout simplement l’interprétation stricte de l’article 41 qui a prévalu et que le tribunal a retenu, ainsi qu’il est incontestable, que l’infraction de contestation de crime contre l’humanité n’est pas couverte par l’immunité.
On attend le jugement avec impatience mais d’ici là, dans le doute, je vais faire attention à ce que je plaide.
1 – Nous parsemons généralement nos articles d’un assez grand nombre de liens permettant à nos lecteurs d’accéder aux sources, avant de profiter de nos pertinentes analyses. Il n’est pas question cependant de générer du trafic vers le site de Monsieur SORAL. Au nom de la seule exactitude, l’unique lien qui redirigera vers son site sera celui des conclusions de Maître VIGUIER, car c’est cela qui a été jugé.