Le droit, mes amis, devient fou avec cette affaire Benalla devenue aussi affaire Crase (et Macron et Collomb et Castaner, et Braun-Pivet, enfin tout le monde y passe).
Une spécialiste du droit de la fonction publique s’était déjà émue de ce que ses règles eussent été malmenées :
* https://www.dalloz-actualite.fr/node/sanction-de-benalla-de-jolis-pas-de-cha-cha-cha#.W2CCosIyWpo
A mon tour avec le droit du travail, qui n’est pas directement ma spécialité, mais qui a en commun avec le droit pénal un principe général qui s’énonce ainsi : non (ou ne) bis in idem et en vertu duquel une même faute ne saurait être sanctionnée plusieurs fois.
Ce principe très ancien (la preuve, c’est du latin) est profondément ancré en chacun de nous et s’applique aussi bien en droit européen que dans l’expéditive justice domestique : ah non tu ne peux pas me punir toi aussi, Maman m’a déjà privé de portable pour une semaine !
Or on apprend par Monsieur CASTANER, lors de son audition par la commission du sénat (https://www.huffingtonpost.fr/2018/07/31/christophe-castaner-annonce-le-licenciement-de-vincent-crase_a_23492757/?utm_hp_ref=fr-homepage) que le deuxième larron, Vincent Crase, va être licencié.
Pourtant ce salarié avait déjà fait l’objet d’une sanction disciplinaire sous forme d’une suspension de 15 jours.
La jurisprudence de la cour de cassation est à cet égard constante : une même faute, un même fait, ne sauraient permettre qu’on prononce successivement deux sanctions disciplinaires, sur le mode : j’ai changé d’avis, finalement c’est plus grave que je ne pensais.
L’employeur ne peut pas non plus annuler une sanction déjà notifiée (et même en l’espèce intégralement effectuée), pour en prononcer une nouvelle, plus grave.
Une nouvelle notion juridique a été inaugurée pour l’occasion, celle du « parallélisme des formes de la sanction ».
Nous savons depuis Jean Giraudoux que « le droit est la plus puissante des écoles de l’imagination » et c’est notre fierté à nous autres juristes d’interpréter la réalité encore plus librement qu’un poète n’interprète la nature.
Pourtant, il y a tout de même des limites et j’en viens, comme d’autres avant moi, à me demander s’il y a des juristes chez LaREM et à l’Elysée, au point que je suis à deux doigts d’envoyer un CV et une candidature spontanée.
Même un très ancien étudiant en droit comme l’auteur de ces lignes sait que le parallélisme des formes porte, comme son nom l’indique sur… les formes, et non pas sur le fond.
Or, décider qu’une sanction sera une mise à pied, puis non finalement ce sera plutôt un licenciement, ceci touche totalement au fond et aucunement à la forme.
D’autre part, même les moins compétents en droit du travail savent qu’aux termes de l’article L1332-4 du code du travail « Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales. »
L’entretien avec le salarié ayant eu lieu le 3 mai (dixit Monsieur CASTANER), le délai de deux mois expirait le 3 juillet.
Or « l’affaire » n’a éclaté qu’à la mi-juillet et on nous a assez répété que l’article 40 du code de procédure pénale n’avait pas été appliqué et nous savons donc qu’aucune poursuite pénale n’avait été engagée pendant le délai de deux mois.
Je pourrais ajouter que l’employeur doit sanctionner les fautes pour leur gravité intrinsèque, pas pour les réactions qu’elles suscitent et encore moins pour éteindre ces réactions.
Je me pourlèche déjà à l’idée de la magnifique procédure prud’homale que ces actions désordonnées nous préparent.
A moins qu’une transaction, couverte par une très complète et infranchissable clause de confidentialité, ne nous prive du dénouement de cette affaire.
Mais bon, ce serait vraiment le goût de taquiner…