La cour de cassation vient de juger qu’on pouvait décharger son avocat désigné au titre de l’aide juridictionnelle avant la fin de sa mission, ce qui signifie qu’il ne touchera aucune indemnisation de l’Etat, sans rien lui devoir.
Cette décision illustre également un autre aspect bien connu des avocats : le justiciable qui a recours à l'aide juridictionnelle n'est pas toujours celui qui ne peut pas rémunérer un avocat, mais parfois celui qui ne veut pas.
Certains tentent leur chance avec l’avocat "gratuit", et s'ils ne sont pas satisfaits de ses services ils décideront d'en changer.
On ne saurait évidemment contester ce principe du libre choix de l’avocat, à tout moment, et la cour de cassation le rappelle.
La nouveauté est qu’on peut changer d’avocat sans rien lui devoir pour le travail déjà fait : il aura donc travaillé gratuitement.
Il fut un temps où le changement au profit d'un avocat payant était considéré comme valant ipso facto renonciation au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Pourquoi la cour de cassation a cru bon de revenir sur ce principe, voilà une chose qui m'échappe.
Pour être tout à fait précis, elle relève que, dans le cas d’espèce, il n’avait pas été formellement établi que la personne avait renoncé « rétroactivement » à l’aide juridictionnelle (il faudrait vraiment être idiot pour faire une telle chose).
Quoi qu’il en soit, on comprend pourquoi la plupart des avocats qui n'en ont pas besoin, c'est à dire ceux qui ont une clientèle suffisante pour faire vivre leur cabinet, renoncent à défendre des clients au titre de l'aide juridictionnelle.
D’abord, ces missions sont indemnisées de façon misérable.
Ensuite, l’expérience, assez déroutante, montre que ce n’est pas celui qui paye le moins qui est le moins exigeant, ni le plus reconnaissant.
Si en plus il suffit au client de décider de changer d'avocat pour que ce dernier ne touche même pas sa dérisoire indemnisation, alors quelle misère, comme disait Coluche.
Comme toujours, ce parti pris excessif, en l'espèce en faveur du justiciable, a son effet pervers : beaucoup d’avocats s’éloigneront du secteur assisté, décidément trop ingrat.
Au lieu que chacun ajoute à son activité rémunérée une part, modeste et supportable, d’activité peu rentable voire carrément déficitaire (pour un cabinet un peu structuré, toute intervention dans le secteur assisté est forcément déficitaire), seuls les avocats qui en ont vraiment besoin continueront à prendre ces dossiers.
C’est à dire qu’ils les prendront pour de mauvaises raisons.
Par ailleurs il est très difficile de travailler bien en étant payé mal.
Il restera donc bientôt, pour défendre les justiciables les plus pauvres, soit des avocats qui ne s’en sortent pas autrement, soit des saints qui considèrent cette défense des indigents comme un devoir moral, pour ne pas dire un sacerdoce, attaché à notre profession et à notre histoire.
Par sa jurisprudence, la cour de cassation risque de faire encore diminuer le nombre d’auréoles.