De notre envoyé spécial Place Vendôme
Des petits plaisantins, profitant de la déconfiture du Gorafi, ont fait courir un bruit qui, malgré son caractère totalement improbable, a été gobé par des personnes qu’on pensait moins naïves : le nouveau Garde des Sceaux serait un ténor, que dis-je, LE ténor, du barreau français, j’ai nommé Éric Dupond-Moretti.
Un démenti formel a été opposé par l’Elysée, Matignon et Cyril Hanouna, en vain.
Non seulement cette nouvelle n’est pas exacte, mais elle ne peut pas l’être : à l’évidence le premier ministre n’a pas pu proposer ce poste à notre éminent confrère.
De même, celui-ci ne peut pas l’avoir accepté.
Certains pourtant persistent à croire à cette nomination, et des éditorialistes qu’on a connus mieux inspirés, demeurent sourds à toute rationalité et commentent cette fausse nouvelle avec gourmandise (ils vont avoir, lorsque la vérité sera rétablie, un réveil pénible).
D’après la rumeur, notre honorable confrère n’aurait pas été le premier choix mais le second, après une certaine Ségolène R. qui a décliné la proposition du président de la République sur ces fortes paroles : « pour moi, ce sera Matignon ou rien ».
Un vent de panique souffle sur la magistrature française et plusieurs cas de suicide ont été signalés : les uns se sont ouvert les veines, d’autres ont embrassé femme et enfants avant de s’immoler par le feu.
Dans la même veine, Olivier Leurent, le directeur de l’Ecole nationale de la magistrature, l’aurait incendiée après s’être assuré que tout le monde était sorti et que la dernière personne avait éteint la lumière.
Un ci-devant et furtif Garde des Sceaux, François B., se serait arraché de pleines poignées de cheveux (ce qui n'est pas à la portée de tous).
Une longue file composée d’accusés en attente de jugement ou de leurs proches, s’est formée devant le cabinet de notre confrère, aux cris de « Remboursez ! Remboursez ! Remboursez ! ».
Ces braves gens croient en effet qu’il ne pourra décemment, en tant que Garde des Sceaux, jouer les acquittators devant les cours d’assises sans s’exposer à quelque chose comme un conflit d’intérêt.
La station de radio Europe 1, sans même attendre confirmation, a engagé une procédure à l’égard de notre malheureux confrère, qui devait prendre, à la rentrée, des fonctions de chroniqueur quotidien dans le cadre desquelles il devait distribuer « coups de cœur et de griffes » (or un Garde des Sceaux n’a, c’est connu, ni cœur ni griffes).
Elle prétend lui réclamer de forts dommages et intérêts au motif que, lors de son engagement, il avait étourdiment écarté d’un revers de manche la clause prévoyant la résiliation du contrat en cas de tremblement de terre, d’invasion de Huns, de nuées de criquets, d’actes de Dieu, et de nomination comme Garde des Sceaux (ladite clause écrite en tous petits caractères, en gris clair sur fond gris, précisons-le à sa décharge).
Des fonctionnaires de la Chancellerie rapportent, sous couvert d’anonymat, qu’à peine entré en fonctions, le nouveau Garde des Sceaux se serait immédiatement intéressé à deux affaires en cours, d’une importance toute particulière pour l’intérêt commun et l’avenir de la France.
D’abord le paiement, par un parti politique de gauche dont le nom comporte une lettre grecque, de dommages et intérêts octroyés aux clients d’un certain Eric Dupond-Moretti, avocat de son état (rien à voir avec le Garde des Sceaux puisque, comme le rappelait Courteline dans « Un client sérieux » : Louis XII ne paye pas les dettes du Duc d’Orléans).
Le ministre, qui porte un intérêt particulier à cette enquête, aurait exigé que toute la lumière soit faite et les fautifs jugés et châtiés aussi sévèrement que le comportent leurs crimes (les sommes en jeu seraient assez considérables, jusqu’à plusieurs centaines voire milliers d’euros, d’après une source proche de l’enquête).
Il a également fait convoquer sans délai la Procureure Générale près la cour d’appel de Paris, afin d’obtenir ce qu’on est convenu d’appeler des remontées d’information sur certaine enquête qui lui tient aussi à cœur.
D’après les milieux bien informés, comme disait Coluche, il s’agirait d’une plainte contre X déposée par un avocat pénaliste, pour une sombre histoire de surveillance menée par le parquet national financier dans des conditions discutables.
Les services de l’Elysée prétendent que les plaignants se seraient désistés, mais un pénaliste les aurait informés qu’en droit, sauf rares exceptions, le « retrait » d’une plainte n’existe pas et que le parquet, qui n’est pas tenu par ce désistement, peut néanmoins poursuivre.
On ignore si, en l’espèce et tel le chien qui court après sa queue, le parquet continuera à se poursuivre lui-même ou si, sagement, il procédera à un classement sans suite, en opportunité.
Tant qu’il y était, Le Garde des Sceaux aurait demandé à la Procureure Générale, qui affichait un sourire à peine crispé, d’avoir l’extrême obligeance, si c’était un effet de sa bonté, que ça ne l’ennuyait pas, sans la déranger ou abuser de sa gentillesse et de sa disponibilité, de bien vouloir renoncer aux poursuites disciplinaires à l’encontre de notre confrère Vincent N. (qui se trouve être son conseil, mais ça n’a rien à voir).
Effet collatéral inattendu, les analystes financiers ont observé une forte hausse de la demande sur les cravates.
Plusieurs personnes, qui étaient dans le secret des Dieux et avaient acheté des actions Lanvin®, Gucci® et Hermès®, sont dans le collimateur du parquet pour délits d’initié.
Le Conseil national des barreaux, la CNBF, la Conférence des bâtonniers, l’UJA, le SAF, tous les barreaux, ont acheté des Jéroboams de Roederer Cristal Brut® pour arroser l’évènement.
Ces naïfs pensent en effet que, si un confrère est nommé Garde des Sceaux, la réforme des retraites, dût-elle se poursuivre, ne concernerait pas les avocats : impossible en effet que l’un des leurs continue dans cette voie.
Les plus modestes ont célébré au Champomy le triplement annoncé des indemnités d’aide juridictionnelle.
Il est temps je crois de mettre un terme à ces délires et de rétablir la vérité : autant les magistrats ont tort d’avoir des craintes, autant les avocats (je suis désolé de doucher leur enthousiasme bien compréhensible) ont celui d’avoir de vains espoirs.
Dernière minute, ce serait moi l’idiot, l’incrédule, l’homme de peu de foi : Eric Dupond-Moretti est bel et bien notre nouveau Garde des Sceaux.
Franchement ça me coupe le sifflet.