Ce billet m’a été inspiré par une scène prise sur le vif dans une chambre correctionnelle.
Comparaissaient, pour des faits de violences volontaires, deux prévenus, étrangers mais surtout non francophones. Je précise ce point car, si le Français est généralement très ignorant de son propre système judiciaire, il est encore plus difficile à des étrangers de l’affronter, surtout avec l’obstacle de la langue.
On reconstitue une scène dans laquelle la bêtise le dispute à la banalité : ces deux personnes en croisent une troisième sur un trottoir, il les bouscule ou ils le bousculent, échange de mots un peu vifs (l’histoire ne dit pas en quelle langue… mais on apprend souvent en commençant par les gros mots), l’autre fait demi-tour au lieu de passer son chemin, s’ensuit un échange de coups.
Blessure assez sérieuse au pouce, police, garde à vue, interrogatoire, confrontation, convocation devant le tribunal correctionnel.
Le déroulement des débats montre que les torts initiaux sont peut-être partagés, mais le parquet a choisi qui serait prévenu et qui serait victime, telle est la saisine du tribunal.
Enjeu du litige : la condamnation pénale, les dommages et intérêts (une expertise a été ordonnée, la personne a été arrêtée plusieurs mois, de bonne ou mauvaise foi), et, mauvaise surprise, la CPAM présente une facture de plus de 12.000 €… au total la note va être très salée.
Quand on lui demande ce qu’il veut dire pour sa défense, l’un des prévenus explique par l’intermédiaire de l’interprète qu’il ne se rendait pas compte de l’ampleur que cette histoire allait prendre, demande un peu surpris si aujourd’hui c’est bien le jugement, et exprime qu’il aurait bien voulu prendre un avocat… mais il est bien tard.
Sans doute, à ce moment, se dit-il in petto que le coût de cet avocat eut été presque dérisoire par rapport aux sommes qui vont être mises à sa charge et que son conseil aurait pu discuter, sans même parler de la peine.
Ceci remet à l’ordre du jour la formule immuable de Démosthène : « La question n'est pas de savoir combien vous coûte votre défense mais combien il vous en coûtera de ne pas vous être défendu. »
Cette anecdote sera peut-être considérée comme un plaidoyer pro domo, mais elle est l’occasion de soulever la question suivante : qu’apporte l’avocat à la personne qu’il assiste ?
D’abord un accès à son propre dossier et à cette machine déroutante qui s’appelle la justice et dont les arcanes paraissent si compliqués et si mystérieux à nos concitoyens.
Ensuite un recul, une distance permettant de mieux prendre la mesure d’une situation et de déterminer une stratégie. Il lui prodigue notamment ses conseils pour affronter ce moment si particulier qu’est la comparution et s’y comporter de la façon la plus appropriée pour parvenir aux buts qu’ils se seront fixés.
Enfin l’avocat plaide pour la personne et porte, le plus haut et le mieux possible, sa parole.
Dans le cas d’espèce, un avocat aurait pu : faire citer le témoin entendu lors de l’enquête, faire une citation directe contre la victime pour qu’elle soit également prévenue dans le cadre de violences réciproques, déposer des conclusions en vue d’un partage de responsabilité.
Autant de choses que, même s’il disposait de la technicité en droit pénal et en procédure pénale, un prévenu ne peut ou ne sait pas faire.
Par ailleurs, chacun parle d’où il est : le prévenu (ou la partie civile) de la barre, en tant que partie au procès, sur des faits qu’il a vécus et dont il peut parler comme un témoin direct.
L’avocat, de sa place de défenseur symbolisée par l’armure qu’est sa robe, en tant que professionnel de la chose judiciaire, et sur les arguments.
Cette répartition entre faits et arguments est capitale : l’avocat est faible quand il se fait témoin des faits, le prévenu qui prend sa propre défense en venant sur le terrain de l’argumentation l’est également : chacun à sa place, chacun dans son rôle.
Pour conclure sur l’audience du début, on pourrait me rétorquer qu’il sera toujours temps de se faire défendre en appel : ce n’est qu’à moitié ou au tiers vrai.
En pratique certaines interventions ne sont plus possibles.
Et d’autre part les avocats savent de science certaine qu’il est toujours plus facile de partir de zéro (en intervenant avant tout jugement) qu’avec le désavantage de combattre un jugement défavorable.