Le droit en général, et le droit pénal en particulier, ne cesse de changer.
L’auteur de ces lignes en a été le témoin, qui pensait s’installer dans le confort de l’expérience, mais il parait que le législateur tient à nous maintenir en état d’hyper vigilance.
Dans cet esprit, il vient d’adopter un grand nombre de dispositions, pas toutes renversantes, mais sans équivalent depuis la loi du 15 juin 2000.
Elles sont présentées comme « portant simplification et renforcement de l’efficacité de la procédure pénale » et franchement, dit comme ça, qui serait contre ?
L’une de ces mesures, pourtant, est d’une portée, pratique et symbolique, qui est loin d’être anecdotique : il s’agit de la création expérimentale d’une cour criminelle, composée de cinq magistrats, en lieu et place de la cour d’assises, qui comprend six jurés (neuf en appel) et trois juges.
Pourquoi s’en émouvoir ?
Les magistrats jugent au nom du peuple français, c’est une affaire entendue.
Mais le juré, c’est du peuple français direct, chimiquement pur, qu’on tire au sort comme on l’extrairait d’une mine de peuple français à ciel ouvert.
La différence ?
Essentielle, ontologique, car les juges sont des professionnels de la justice, avec les avantages et les inconvénients que leur confère l’expérience.
Le juré, sans l’idéaliser, est la fraîcheur faite juge, l’ouverture et la disponibilité à tous les possibles, en un mot une capacité à se laisser convaincre qui, peut-être, finit par s’émousser chez les professionnels.
Difficile d’imaginer « Douze hommes en colère » si les douze sont des magistrats.
Le plus déroutant est que cette réforme concerne « les crimes qui se trouvent en bas de l'échelle » (nous laissons à notre Premier Ministre la responsabilité de cette appréciation), « par exemple les viols, les coups mortels, les vols à main armée ».
Paradoxalement, c’est en fonction de la peine encourue qu’un jury se réunira, ou pas, alors que la sanction est précisément la question sur laquelle les jurés ont le plus de mal à se déterminer, faute de références.
Les juges, à l’inverse, ont une idée assez exacte de ce qu’on est convenu d’appeler l’échelle des peines.
On aurait donc mieux compris une distinction portant sur un plaider coupable, à la manière des anglo-saxons : pas besoin de mobiliser tout un jury pour décider de la peine si les faits sont reconnus, mais on lui soumettrait les faits contestés.
Si le juré n’a aucune idée de la peine « juste » pour tel crime, il est aussi capable qu’un juge d’estimer s’il existe des preuves de culpabilité ou un doute suffisant pour acquitter.
L’idée même de juridiction expérimentale a quelque chose de dérangeant pour le juriste : tel crime commis à Argenteuil sera jugé par une cour d’assises, mais à Conflans c’est la cour criminelle qui sera compétente.
Seulement voilà, l’article 37-1 de la Constitution autorise «pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental», à quoi le Conseil constitutionnel a ajouté « dérogeant (…) au principe d’égalité devant la loi ».
Avec une logique laconique mais imparable, les Sages ont estimé que « l'inégalité de traitement (…) est la conséquence nécessaire de la mise en œuvre de l'expérimentation » : autrement dit, circulez, y’a rien à voir.
Inutile donc de rêver à une question prioritaire de constitutionnalité, puisque le texte a déjà été déclaré conforme à la Constitution.
Il ne reste plus qu’à espérer que l’essai ne sera pas concluant, car en vertu d’une loi non écrite, un changement marginal finit toujours par devenir la règle, surtout s’il permet de réaliser des économies.
Il n’est donc pas vain de craindre que ce dispositif comporte en germe la disparition annoncée du jury populaire.
L’article 353 du code de procédure pénale est un des plus beaux textes du droit français et aucun avocat ne l’a entendu, dans ce moment si particulier où les derniers échos de sa plaidoirie résonnent encore dans le prétoire, sans avoir le cœur serré.
Aussi, bien que l’espace nous soit compté, mérite-t-il qu’on cite l’instruction que le président lit à la cour avant qu’elle se retire :
"[…] la loi ne demande pas compte à chacun des juges et jurés composant la cour d'assises des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d'une preuve ; elle leur prescrit de s'interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement et de chercher, dans la sincérité de leur conscience, quelle impression ont faite, sur leur raison, les preuves rapportées contre l'accusé, et les moyens de sa défense. La loi ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leurs devoirs : " Avez-vous une intime conviction ?"
Cette prescription confère à l’action de juger, surtout pour les jurés, une dimension quasi mystique, et fait peser sur leurs épaules une responsabilité surhumaine.
Aujourd’hui elle nous suggère, révérence gardée, l’interrogation suivante : notre législateur, en créant cette cour criminelle, a-t-il pris toute la mesure de ses devoirs et s’est-il suffisamment interrogé, dans le silence et le recueillement ?
J’ai bien peur qu’en l’occurrence, poser la question, ce soit déjà y répondre.