Certains mauvais esprits pourraient trouver piquantes les réactions de l’extrême droite et de l’extrême gauche sur « la psychiatrisation de l’opinion politique » (Gilbert Collard) ou celle de « la décision politique » (Jean-Luc Mélenchon).
En effet il a pu apparaitre à des observateurs inattentifs ou pire, mal intentionnés, que certains idéologues avaient ou avaient eu des sympathies envers des régimes pour lesquelles la psychiatrie était un moyen d’éliminer des opposants.
Tel n’est cependant pas l’objet de cet article dont l’auteur essayera (ce n’est pas toujours facile) de se cantonner aux questions proprement juridiques.
Objet de ces réactions outrées ? La décision d’une juge d’instruction d’ordonner une expertise psychiatrique de Marine Le Pen.
Un peu de droit.
Des informations diffusées par la presse (1), il ressort que Marine Le Pen a été mise en examen pour diffusion d’images violentes.
Cette infraction est prévue et réprimée par l’article 227-24 du code pénal (2).
L’article 706-47-1 du code de procédure pénale dispose que « Les personnes poursuivies pour l'une des infractions mentionnées à l'article 706-47 du présent code doivent être soumises, avant tout jugement au fond, à une expertise médicale. »
Et justement, l’article 706-47 du code de procédure (3) pénale vise (notamment) l’infraction de diffusion d’images violentes prévue à l’article 227-4… CQFD.
Au risque d’énoncer une évidence, on rappellera que les magistrats doivent appliquer la loi.
C’est pour eux une obligation, un devoir sacré, même lorsque cette application doit entrainer une conséquence qu’ils considèrent comme injuste.
C’est une étrange sensation que d’écrire une telle tautologie et d’enfoncer une porte si largement ouverte.
Le plus étonnant (ou bien suis-je indécrottablement naïf ?) est que deux des éminentes personnalités qui se sont exprimées sont… des avocats !
Sans vouloir abuser de la psychiatrie (à deux sous pour l’auteur de ces lignes, est-il besoin de le préciser ?), on se demande s’il n’y a pas un peu de schizophrénie, pour des gens qui ont passé leur carrière (brève pour l’une mais très longue pour l’autre) à demander à des juges d’appliquer la loi.
La vérité toute simple, toute bête, est que la juge d’instruction a appliqué la loi à Madame Marine Le Pen comme si elle avait été n’importe quel justiciable ordinaire (là aussi, j’ai peine à croire que je suis en train d’écrire ce que je suis en train d’écrire).
Que n’aurait-on pas dit si, sur ce point ou sur un autre, la juge d’instruction avait dispensé cette justiciable en particulier, d’une disposition légale expresse et dépourvue de toute ambiguïté ?
Il ne fait aucun doute que ce n’est pas pour des raisons psychiatriques que Madame Le Pen a publié lesdites images, et que, selon toute probabilité, aucune juridiction ne songera sérieusement à lui imposer un suivi-socio judiciaire comme au premier pervers venu.
Cependant il faut bien que le dossier soit complet et que l’expertise soit au moins ordonnée, sinon réalisée.
Imaginons une seconde que la juge ait cru devoir se dispenser de cette formalité obligatoire, que serait-il arrivé ?
Le tribunal correctionnel qui aurait à en juger aurait renvoyé l’affaire et ordonné cette expertise, comme il fait à chaque fois qu’on lui demande de juger un dossier incomplet.
La seule différence aurait été que les cris d’orfraies auraient été poussés plus tard, et contre d’autres juges.
Il y a peut-être quelque absurdité à suivre à la lettre les dispositions applicables, mais en dehors des cas qu’elle prévoit elle-même, ou si ses dispositions sont facultatives, la dérogation à la loi est une notion qui n’existe pas en droit… la loi doit être appliquée, point final.
La juge a donc fait son devoir, ni plus, ni moins. Madame Le Pen aura sans doute raison de ne pas répondre à la convocation de l’expert. Ce dernier rédigera un rapport de carence. Le tribunal tirera toutes les conséquences (c’est-à-dire en l’espèce, aucune) de cette carence, et tout sera dit.
Quant à « la psychiatrisation des adversaires » ou « des opinions politiques », il faut vraiment une certaine malhonnêteté intellectuelle pour la voir dans la simple application d’une disposition légale contraignante.
L’allusion aux camps de rééducation, à la Corée du Nord, la référence à Brejnev et aux régimes totalitaires (socialistes, évidemment) par les sbires de Madame Le Pen (4) sont dérisoires tant elles sont excessives et même carrément ridicules.
On est plus surpris par le tweet presque trumpien de Mélenchon : « Tous les moyens ne sont ni bons ni acceptables pour [la] combattre (Madame Le Pen). Ce n'est pas avec des méthodes pareilles qu'on fera reculer l'extrême droite. »
Seriously, Jean-Luc ?
Est-ce qu’une juge d’instruction est en charge, ou a pour préoccupation de combattre Madame Le Pen ou de faire reculer l’extrême droite ?
Et de quelles « méthodes » parle-t-on ? L’application du code de procédure pénale ?
Pour conclure je suis prêt à hasarder une hypothèse : tiens, si cette expertise psychiatrique n’était pas obligatoire, sûr que la juge d’instruction aurait préféré s’éviter ce tollé et d’être désignée à la vindicte des justiciers de comptoir.
On parie ?