Les débats suscités par la discussion de la loi contre les violences sexistes et sexuelles, dite loi Schiappa, se sont focalisés sur son article 2, dont certains estiment qu'il permettra de "rétrograder" le viol sur mineur en "un simple délit".
Selon ses détracteurs, ce texte serait de nature à entraîner de nombreuses correctionnalisations, mais la correctionnalisation, qu'est ce exactement ?
Le droit français distingue trois types, disons même trois niveaux, d’infractions pénales :
* les contraventions (circulation, tapage nocturne, violences légères, etc.) sont jugées par le tribunal de police.
* les délits (vol, escroquerie, agression sexuelle, trafic de stupéfiants, etc.) sont jugés par le tribunal correctionnel.
* les crimes (viol, vol à main armée, homicide, etc.) sont jugés par la cour d’assises.
A chaque degré correspond une palette de peines encourues (maximum prévu par la loi) et une échelle des peines (la pratique, plus ou moins unifiée, des différentes juridictions).
La procédure devant la cour d’assises présente des particularités, dont celle dite de l’oralité des débats : les assesseurs et les jurés ne connaîtront de l’affaire que ce qui en sera dit à l’audience.
En pratique, et à rebours de ce qui se fait dans 99% des cas en correctionnelle, les témoins et les experts viennent donc déposer oralement à la barre, ce qui enrichit beaucoup les débats, mais prend du temps, beaucoup de temps.
A titre d’exemple, une audience correctionnelle permet de juger 8, 10, voire 12 affaires dans une demi-journée (en moyenne, selon la complexité de l’affaire et le nombre de prévenus).
Devant la cour d’assises, il faut un minimum de deux journées pour juger une seule affaire.
Un jury de cour d’assises comporte un président et deux assesseurs, comme en correctionnelle, plus 6 jurés en première instance et 9 en appel.
Cette machine, on le comprend, est très lourde et coûteuse dans tous les sens de ce terme : moyens humains, financiers, temps, locaux.
Or, la fréquence de certaines infractions qui revêtent théoriquement une qualification criminelle est telle dans certaines régions (typiquement, l’Ile de France), que pour les juger toutes, il faudrait 3 ou 4 fois plus de cour d’assises.
Ceci est tellement vrai que le même fait, plutôt rare à Quimper ou à Saint-Brieuc, sera jugé par la cour d'assises, alors qu'il est tellement fréquent dans les Hauts-de-Seine qu'il est systématiquement correctionnalisé.
La correctionnalisation est avant tout une pratique, qui consiste à retenir une qualification délictuelle pour des faits qui sont normalement de nature criminelle : ils seront jugés devant le tribunal correctionnel et non devant une cour d'assises.
Concrètement, le juge d'instruction recourra à l'un des trois mécanismes suivants :
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abandonner une circonstance aggravante (exemple : le port d'une arme dans le cadre d'un vol),
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ignorer certains éléments constitutifs du crime (exemple : un acte de pénétration lors d'un viol),
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écarter des qualifications criminelles en cas de concours d'infractions (exemple : escroquerie (délit) réalisée au moyen d'un faux en écriture publique effectué par un dépositaire de l’autorité publique ou chargé d'une mission de service public agissant dans l'exercice de ses fonctions ou de sa mission (crime) ; seule l'escroquerie sera retenue).
Juridiquement, cette pratique, qui est extrêmement répandue, n’a pas d’existence et n’est encadrée par aucune disposition légale.
La loi du 9 mars 2004 est venue la consacrer indirectement, dans le dernier alinéa de l'article 469 du code de procédure pénale, qui interdit aux parties et au tribunal de soulever son incompétence au profit de la cour d’assises, si l'affaire a fait l'objet d'un renvoi d'une juridiction d'instruction et si la victime était constituée partie civile et assistée d'un avocat.
Des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) ont été déposées mais la cour de cassation a jusqu’à présent refusé de les transmettre au conseil constitutionnel.
Lorsque la décision de correctionnalisation est prise par un juge d'instruction (cas le plus fréquent puisque par hypothèse toute affaire criminelle doit entrainer l'ouverture d'une information), les parties peuvent interjeter appel de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, si elles estiment que les faits auraient dû recevoir ou conserver une qualification criminelle (article 186-3 CPP).
Pour éviter cet écueil, la pratique est de solliciter l’avis des parties (notamment la partie civile), soit à l’occasion d’une audition, soit par écrit, soit de façon purement informelle, mais ce n’est pas une obligation procédurale.
La pratique de la correctionnalisation est largement répandue et peut se justifier pour différentes raisons : délais de procédure, audience d'assises plus pénible pour les victimes, imprévisibilité du jury populaire.
Elle n'en suscite pas moins des critiques et il est difficile de contester que de façon générale, elle présente l'avantage pour l'institution judiciaire de masquer son incapacité matérielle à juger en cour d'assises tous les crimes dont elle est saisie.