La profession d’avocat est en émoi à l’annonce des préconisations sur la réforme des retraites.
Il y aurait beaucoup à dire pour être précis et exhaustif mais là n’est pas mon propos.
Cependant on peut déjà souligner certains faits bruts qui sont vraiment difficiles à avaler.
Tout d’abord, certains avocats ont cotisé pendant de nombreuses années et leur caisse, la CNBF, n'a pas tout redistribué, constituant au contraire, pour assurer la pérennité du système, d'importantes réserves (environ deux milliards d'euros).
Précisons que dans le même temps, le régime des avocats a participé à ce qu’on appelle la grande compensation, c’est-à-dire un versement substantiel (environ 90 millions par an, soit autour du tiers des cotisations versées) aux régimes déficitaires.
Or ces réserves, constituées par les efforts de générations d’avocats, vont être purement et simplement braquées et reversées dans le puits sans fond du nouveau régime.
Dans le même temps, les cotisations vont doubler, ce qui est à peine croyable quand on sait avec quelle peine beaucoup de cabinets équilibrent leurs comptes, quand ils y arrivent.
Un taux qui passe de 14 à 28% signifiera mécaniquement la mort (sans exagérer) de nombres de cabinet.
En particulier les plus modestes, c'est à dire ceux qui supportent, à travers l'aide juridictionnelle et les commissions d'office, des missions de service public d’importance vitale mais rétribuées de façon misérable.
Moyennant des indemnités qui frôlent le dérisoire, tous les jours des centaines d’avocats ne ménagent pas leur peine pour assister les personnes en garde à vue, les demandeurs d’asile, les victimes, les femmes battues qui ont besoin d’interventions urgentes, les prévenus, les mineurs et j’en oublie.
C’est donc, là encore sans exagérer, une part de l’accès au droit pour nos concitoyens les plus modestes qui va disparaitre.
Enfin, pour couronner le tout, les montants des retraites vont diminuer, et même drastiquement si l’on en croit les chiffres de la CNBF.
Un minimum de 1.416 € était garanti, il passerait à 1.000 €, ce qui fait une différence considérable.
En résumé donc : braquage des réserves, doublement des cotisations, baisse des pensions, voilà notre tiercé gagnant.
On peut comprendre, philosophiquement, que certains souhaitent la disparation des régimes dits « spéciaux » (ce que n’est pas le régime des avocats), qui offrent à leurs bénéficiaires des avantages tels qu’ils sont structurellement, et depuis des années, lourdement déficitaires, avec à la clé une disparité de traitement entre le public et le privé.
On comprend aussi la logique utilitaire du gouvernement : récupérer un régime bien géré et donc excédentaire pour financer des régimes déficitaires, et mettre la main sur deux milliards de réserves, c’est toujours bon à prendre.
Mais les avocats, animés du sentiment de justice, non tant pour eux que pour ceux qu’ils défendent, ressentent un très fort et même un insupportable sentiment d’injustice à l’annonce de ce qui les attend.
Certains pensent que nous sommes une profession de nantis mais les chiffres disent le contraire et montrent que, si un petit nombre d’avocats gagnent très bien leur vie, la majorité lutte, soit pour avoir un revenu décent, soit tout simplement pour éviter la liquidation.
Ceci est tellement vrai qu’on observe un phénomène inédit dans notre histoire : un avocat sur quatre quitte la profession avant sa dixième année d’exercice. (1)
Pour un métier qui demande presque 7 ans d’études après le bac (pour les plus rapides d’entre nous), ces départs sont révélateurs d’un malaise dont les causes sont principalement financières.
Ainsi en 2015, le revenu moyen, qui ne rend pas compte de la disparité entre le sommet et la base, s’élevait à 77.000 €.
Beaucoup plus significatif, le revenu médian (c’est-à-dire à mi-chemin entre le plus élevé et le plus faible) s’établissait à 42.000 €. (2)
Ce n’est certes pas un revenu misérable mais, rapporté au niveau d’études, aux responsabilités de tous ordres et aux horaires de travail des avocats, disons-le tout net, ce n’est pas cher payé.
Qu’on n’accuse pas les avocats de défendre des positions corporatistes ou des intérêts catégoriels car les cordonniers, en l’espèce, sont vraiment mal chaussés : très bons pour défendre nos clients, nous sommes très mauvais pour nous défendre nous-mêmes et sans doute un des lobbies les moins efficaces.
Nous allons souffrir, certes, et je peux témoigner que beaucoup d’avocats sont en proie à un sentiment de découragement proche du désespoir (une dernière fois : sans exagérer), mais quelque chose dans notre organisation sociale et même dans notre démocratie (n’ayons pas peur des mots) souffrira également.
1 - Chiffres clés de la profession d’avocat : https://www.cnb.avocat.fr/fr/les-chiffres-cles-de-la-profession-davocat
2 - https://www.cnbf.fr/medias/cms/documents/Rapport-annuel-2016.pdf