Le torchon brûle entre le barreau de Paris et les juridictions parisiennes, siège et parquet.
Notre confrère Vincent NIORE, délégué du Bâtonnier de Paris pour assister aux perquisitions dans les cabinets d’avocat ou leur domicile, est visé par des poursuites disciplinaires.
Décryptage.
Les perquisitions dans les cabinets d’avocat sont étroitement encadrées par les dispositions de l’article 56-1 du code de procédure pénale, trop long pour être ici reproduit mais dont l’objet est de protéger la relation avocat/client, la confidentialité des dossiers et de cantonner les éléments saisis aux stricts nécessités de la procédure en cours.
Ce texte impose la présence d’un magistrat (les autres perquisitions étant habituellement réalisées par les seuls policiers) et surtout, celle du bâtonnier ou du délégué qu’il se sera choisi, dès le début et pendant tout le déroulement de la mesure.
Il précise que le bâtonnier ou son délégué n’est pas un simple témoin, mais qu’il prend une part active à l’opération, notamment en ayant la possibilité de s’opposer à la saisie de tel ou tel document, qui sera alors placé sous scellé fermé.
Le Juge des libertés et de la détention, dont la nomenclature des pouvoirs actuels justifierait qu’on allonge sa dénomination d’une bonne dizaine de lignes, doit alors départager le magistrat qui a procédé à la saisie et le délégué du bâtonnier qui s’y est opposé.
La fonction de délégué, extrêmement exigeante à tous égards, puisqu’elle demande du temps, des compétences, de l’énergie et du caractère, consiste à défendre les intérêts des clients du cabinet, et ceux de l’avocat visé par la perquisition.
Notre confrère Vincent NIORE est le délégué habituel au barreau de Paris depuis plus de dix ans, avec une efficacité que lui reconnaissent tous ses pairs, puisqu’il a participé à un très grand nombre de perquisitions et obtenu régulièrement des annulations par le Juge des libertés.
C’est dans l’exercice de cette fonction, et en sa qualité de délégué du Bâtonnier, qu’il est mis en cause.
On lui reproche en effet d’avoir tenu, à l’audience, des « propos outrageants, insultes et menaces ».
Nous avons déjà eu l’occasion de nous exprimer sur la question de l’immunité judiciaire dont bénéficie l’avocat.
S’il est toujours un peu embarrassant de se citer soi-même, il deviendrait ridicule, pour l’éviter, de se paraphraser.
Voici donc ce que nous écrivions naguère à propos de l’immunité judiciaire :
« loin d’être un privilège, elle est, comme le secret professionnel, une garantie essentielle du bon exercice des droits de la défense.
L’avocat doit pouvoir tout écrire et tout plaider (parfois jusqu’à l’outrance) et il serait plus dangereux d’autoriser qu’on le sanctionne et qu’on le censure, que de le laisser soutenir tous les arguments qu’il souhaite. »
Autrement dit, dans sa fonction et encore plus dans son activité de défense, l’avocat doit être protégé et même pratiquement intouchable.
Que dire alors lorsque cet avocat intervient au nom et par délégation du Bâtonnier ?
On se reportera, pour le détail et la chronologie des évènements, à ce que la presse en a rapporté (ici et là).
Il parait établi que le parquet général a demandé au Bâtonnier de supprimer la délégation à ce confrère en ces termes « Me Nioré doit être écarté sous peine de provoquer une dégradation des relations entre magistrats et avocats. »
La seule lecture des mots « Me Nioré doit être écarté » fait dresser les cheveux sur la tête, comme s’il était seulement envisageable que le Bâtonnier se voit dicter sa conduite et le choix de son délégué.
N’ayant pas cédé à cette pression, le parquet général lui a alors demandé d’engager des poursuites disciplinaires conformément aux dispositions de l’article 188 du Décret du 27 novembre 1991.
Situation étonnante puisque le Bâtonnier, qui saisit régulièrement la commission de discipline contre des avocats dans l’exercice de leurs fonctions, se voit contraint d’engager une poursuite à son corps défendant mais surtout quasiment contre lui-même puisque c’est en sa qualité de délégué que notre confrère est visé.
Situation dérangeante également, si on la considère sous l’angle du conflit d’intérêt, puisque l’autorité qui engage les poursuites (ou contraint le bâtonnier à les engager, ce qui revient au même) est le parquet, à savoir notre contradicteur naturel.
Si on articule ces poursuites avec la demande préalable, presque en forme de chantage, on ne peut s’empêcher de penser qu’il s’agit d’écarter un avocat qui remplirait trop bien ses fonctions et lui mettrait trop de bâtons dans les roues.
Libre à chacun d’estimer que les propos prêtés à notre confrère, et qu’à titre personnel je n’aurais probablement pas prononcés ou pas eu l’audace de prononcer (5), étaient excessifs voire outrageants, mais on sait de science certaine qu’ils ont été proférés en audience, pour les besoins d’une défense, et totalement en lien avec les faits de la cause.
« Nous ne sommes pas avocatphobes » (tiens, encore une nouvelle phobie), se défend un haut magistrat. « Mais la liberté de ton s'arrête quand l'infraction pénale commence. La procureure générale de Paris aurait pu décider de lancer des poursuites pénales pour outrage. Elle a choisi la voie disciplinaire ».
Faux, à notre sens, car aucune poursuite pénale n’aurait résisté à l’examen en regard des dispositions de l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881.
Reste le terrain disciplinaire, l’avocat étant tenu à un certain nombre, et même un grand nombre, d’obligations formulées de façon très générale et qui découlent :
de son serment : « Je jure, comme avocat, d'exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité »,
de l’article 3 du décret du 12 juillet 2005, « relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat » : « […] Il respecte en outre, dans cet exercice, les principes d'honneur, de loyauté, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie. […]»,
et de l’article 183 du décret du 27 novembre 1991, « organisant la profession d’avocat » : « Toute contravention aux lois et règlements, toute infraction aux règles professionnelles, tout manquement à la probité, à l'honneur ou à la délicatesse, même se rapportant à des faits extraprofessionnels, expose l'avocat qui en est l'auteur aux sanctions disciplinaires énumérées à l'article 184. », à savoir avertissement, blâme, interdiction temporaire et radiation.
Chaque mot compte et renferme toute la mesure des devoirs de l’avocat, qui sont le pendant des « droits et privilèges » dont il bénéficie dans l’exercice des droits de la défense.
On pourra discuter sur la question de la modération ou sur le point de savoir si les critiques formulées à l’audience, qui visaient plus le travail des magistrats que leurs personnes, étaient discourtoises au sens où l’entend la jurisprudence, mais là n’est pas notre propos.
Notre préoccupation et même notre inquiétude porte sur une des obligations de l’avocat, à laquelle il se tient d’autant plus facilement qu’elle est inscrite dans son ADN personnel et collectif, je veux parler de L’INDEPENDANCE.
Où est-elle, en vérité, lorsque le Bâtonnier, fut-ce à travers celui qu’il s’est choisi comme délégué, est mis en cause et poursuivi par le parquet ?
Le parquet, qui est au pénal notre adversaire et contradicteur, et en matière disciplinaire le déclencheur des poursuites.
Sans même parler d’égalité des armes, n’y a-t-il pas là quelque chose comme un conflit d’intérêt ?
Peut-on admettre que, par le biais d’une procédure disciplinaire, le parquet puisse « décider » qui lui apportera la contradiction ?
Préoccupation d’autant plus prégnante que, dans notre système, tous les représentants du parquet sont, comme leurs collègues du siège, des magistrats, donc susceptibles d’être victimes d’un outrage.
Le barreau, pas seulement celui de Paris mais LE barreau dans son ensemble, suit de près l’évolution de cette affaire et se tient en rangs serrés derrière notre confrère, qu’il a assuré d’une solidarité totale et d’un soutien indéfectible.
2. https://www.legavox.fr/blog/maitre-loeiz-lemoine/alain-soral-prison-avocat-condamne-26732.htm
5. Extrait de l’article du Point : « Quatre juges d'instruction, Aude Buresi, Serge Tournaire, Cécile Meyer-Fabre et Camille Palluel décident, quant à eux, de rédiger un rapport à l'attention de leur hiérarchie, le président du TGI de Paris, Jean-Michel Hayat, devenu entre-temps premier président de la cour d'appel de Paris. Daté du 30 avril 2019, le document fait état de dérapages verbaux inacceptables. Selon ce rapport, Me Nioré aurait ainsi dit en avoir « marre de nettoyer l'urine » procédurale et les « salissures des juges ». Aurait qualifié le travail des magistrats de « dégueulasse » et aurait affirmé qu'Aude Buresi et ses collègues n'étaient que des « émissaires de la procureure générale ». Ajoutant : « Nous allons lever tout le barreau contre vous et la procureure générale. (...) Elle va nous trouver sur son chemin. (…) Monsieur Tournaire, nous connaissons ses méthodes. »