Une affaire, pendante devant le tribunal de Bobigny, défraie actuellement la chronique judiciaire.
Bref retour sur la chronologie : une personne détenue est renvoyée devant le tribunal correctionnel pour y répondre de faits de trafic de stupéfiants.
Elle comparaît devant le tribunal le 5 novembre 2018, l’affaire est reportée au 17 décembre, puis le tribunal renvoie de nouveau aux 25, 26 et 27 février 2019.
Rappelons maintenant le droit : l’article 179 du code de procédure pénale dispose que « Le prévenu en détention est immédiatement remis en liberté si le tribunal correctionnel n'a pas commencé à examiner au fond à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la date soit de l'ordonnance de renvoi […] ».
Comme il est parfois difficile de trouver, dans l’agenda des juridictions, de quoi caser des audiences de plusieurs jours dans un délai de deux mois, ce texte ajoute que « Toutefois, si l'audience sur le fond ne peut se tenir avant l'expiration de ce délai, le tribunal peut, à titre exceptionnel, par une décision mentionnant les raisons de fait ou de droit faisant obstacle au jugement de l'affaire, ordonner la prolongation de la détention pour une nouvelle durée de deux mois. […] Cette décision peut être renouvelée une fois dans les mêmes formes. »
Nul besoin de compter sur ses doigts pour s’apercevoir qu’il y a comme un bug et qu’entre le 17 décembre et le 25 février, plus de deux mois se sont écoulés.
L’enjeu juridique de la discussion est de savoir si la possibilité de renouvellement permet un maintien en détention dans une limite globale de six mois, ou si un nouveau délai de deux mois court à compter de chaque report d’audience.
Ce débat n’est pas mon propos mais la jurisprudence semble en faveur de la seconde solution et c’est dans ces conditions que le conseil du prévenu a demandé sa mise en liberté, considérant que son titre de détention avait expiré.
Las, le procureur a audiencé l’examen de cette demande à une date postérieure à la date du jugement, témoignant ainsi d’un sens de l’humour, et même de la dérision, plutôt rare dans la sphère parquetière (dans l’exercice de ses fonctions ; ce ne sont pas les personnes que je vise, bien entendu).
En effet, à cette date, la demande aurait été vidée de tout sens et serait devenue sans objet.
Notre confrère n’a pas désarmé et s’est désisté de cette demande, en formulant aussitôt une nouvelle, par voie de conclusions.
A quoi le tribunal a répliqué en décidant de joindre cette demande au fond, ce qui montre qu’il partage le même sens de l’humour que le parquet.
En effet, si le jugement statue sur un titre de détention qui ne dure que jusqu’à la décision sur le fond, par la décision même qui statue sur le fond… cette décision (sur la demande de mise en liberté) sera sans portée pratique et même, là encore, sans objet.
J’ai eu l’occasion de souligner récemment, avec un peu de mauvais esprit, qu’il existait une règle non écrite en vertu de laquelle le régime des nullités était différent selon les types de contentieux.
Dans le domaine du trafic de stupéfiants, elles sont plus difficiles à obtenir, à violation égale d’un texte de loi, que dans d’autres domaines considérés comme moins connotés moralement.
Voilà maintenant que le régime de la détention, donc de la liberté, pour ne pas dire de La Liberté, semble calqué sur celui des nullités, et on a le sentiment pénible qu’il devient plus difficile de faire appliquer les règles protectrices de base aux prévenus de trafic (ce terme employé dans un sens très générique) de stupéfiants.
Le fair play consisterait à tirer les conséquences, je dirais presque : quelles qu’elles soient, d’un manquement à des règles de procédures qui reposent toujours sur des libertés ou des principes fondamentaux.
Ce double régime est d’autant plus difficile à accepter que, lorsqu’une faute de procédure vient des parties, la jurisprudence est impitoyable, c’est un constat que font tous les avocats.
Exemple, le pourvoi en cassation inscrit non par l’avocat à qui il a été donné pouvoir, mais par son collaborateur.
Exemple, la demande d’acte adressée maladroitement au juge et non au greffe.
Exemple, les procédures d’appel (civiles), qu’on a rendues piégeuses comme à plaisir, et dans lesquelles le moindre raté, la moindre erreur, se payent cash, sans plan B et sans solution de rattrapage, alors que l’enjeu est juste de savoir si Mme X aura raison contre M. Y.
Curieusement, quand il s’agit d’une chose aussi fondamentale que la liberté et une détention potentiellement arbitraire, on dirait que la violation est moins grave, comme si les nécessités de la répression (que je ne conteste pas) devenaient plus importantes que la protection des libertés.
Regrettable manque de fair play.
2.https://www.legavox.fr/blog/maitre-loeiz-lemoine/denis-baupin-rouge-levre-boomerang-26360.htm