Aujourd’hui c’était promis-juré-craché, j’allais travailler à fond, m’atteler à un certain nombre de tâches trop longtemps reportées et qui ne souffraient pas de retard, la tête dans le guidon, et pas question d’aller sur Twitter ou Facebook, ou alors juste 5 minutes pour voir mais pas plus.
Par ailleurs, j’ai récemment pris conscience que j’étais donneur universel, pas seulement par mon groupe sanguin (O négatif), mais donneur universel de leçons, toujours à critiquer tout le monde, et j’avais décidé de me gendarmer ou, pour le dire simplement, de la fermer.
Las, voilà que se télescopent dans l’actualité de ce jour deux évènements, non dépourvus de lien, et auxquels je me sens incapable de ne pas réagir.
Le premier est la mort de Jean Daniel, une référence, un modèle de journaliste pour le béotien que je suis et qui (jusqu’à aujourd’hui) ne s’autorisait à porter de jugement que sur des matières qui lui sont relativement familières, comme le droit et la justice.
J’aurais gardé pour moi, par exemple, le décalage entre Le nouvel observateur dont il était un des fondateurs et L’Obs « avec 0% de Finkielkraut » qui semble une négation du débat d’idées.
Parallèlement, je tombe sur une brève… comment appeler ça ? disons une présentation, sur LCI (1), de mon excellent confrère Yassine BOUZROU, bien connu des pénalistes et au-delà, et fraichement désigné comme défenseur de Piotr Pavlenski.
Pour quelles raisons cette chaine dont le nom complet est « La Chaîne Info », a-t-elle cru devoir évoquer, et évoquer seulement, sa scolarité, en la présentant sous un jour totalement dévalorisé et même méprisant ?
En vérité, après avoir vu cette chose, a-t-on appris quoi que ce soit d’intéressant sur mon confrère, en tant qu’avocat et comme défenseur d’un personnage récemment placé sous les feux de l’actualité ?
Rien de rien et cette présentation nulle laisse l’impression un peu écœurante et le goût vraiment amer d’une dérision et d’une moquerie bien dans l’air du temps mais surtout, dépourvues de tout intérêt informatif.
Ceci m’est l’occasion d’apporter à mon confrère un soutien qui, je n’en doute pas, sera massif et même unanime, dans le barreau, le monde judiciaire et, j’espère, nombre de médias.
L’occasion également, sans vouloir dire que nous sommes meilleurs que les autres (ça se saurait), de souligner une assez grande différence entre les avocats et les journalistes (allons bon, voilà que je recommence à donner des leçons…).
Certes, nous avons en commun une très grande jalousie de notre liberté et de notre indépendance, et en effet on ne conçoit pas une société vraiment démocratique si elles n’étaient pas garanties à la presse et au barreau.
En revanche, les avocats ont une déontologie contraignante puisqu’elle résulte notamment d’un décret (2) et de leur règlement intérieur (3), qui sont des textes à caractère impératif.
Cette déontologie, loin de brider notre liberté, en est la contrepartie nécessaire, pour reprendre une formule que le Bâtonnier de Paris m’a (involontairement) piquée*, elle est notre colonne vertébrale, et les règles qu’elle nous impose sont notre force.
De plus, nous avons également des organes de contrôle (Bâtonnier, commission de discipline) qui la font respecter, qui la transforment en réalité tangible au lieu qu’elle demeure une vague recommandation ou un vœu pieux.
Je ne dis évidemment pas que les journalistes n’ont pas de déontologie (ce serait non seulement inexact mais surtout très risqué et, comme je l’ai déjà dit, ce n’est pas le courage qui m’étouffe) et même il existe des chartes (4) en ce sens, mais sauf erreur elles sont dépourvues de caractère contraignant et il n’existe aucune autorité en charge de les faire respecter.
A l’inverse, un avocat qui manque à la déontologie peut être averti, blâmé, suspendu voire radié mais (à ma connaissance) il n’existe pas d’équivalent pour les journalistes.
Je ne dis pas que ce devrait être le cas, n’étant pas du tout autorisé sur la question, mais je constate juste qu’à part une réprimande du CSA, les journalistes et les infographistes de LCI ne sont exposés à aucune conséquence appréciable.
Je ne vais pas non plus faire parler Jean Daniel, ce qui serait choquant et indécent, mais je n’ai pas pu m’empêcher que se fasse dans mon esprit un certain rapprochement entre sa haute idée de l’exigence du journalisme et ce que j’ai vu sur LCI.
J’ai souvent fait part, sur ce modeste blog, de mon accablement face à la bêtise, à l’inculture, à l’inconséquence, à la complaisance ou à l’aveuglement.
A la minute présente, c’est plutôt l’écœurement qui domine.
1 https://www.youtube.com/watch?v=2XDQ19tRAEs
3 https://www.cnb.avocat.fr/fr/reglement-interieur-national-de-la-profession-davocat-rin
* Si vous me lisez, Monsieur le Bâtonnier, loin de moi l’idée de prétendre que vous m’avez vraiment « piqué » cette formule. Je l’ai utilisée il y a quelques temps dans une formation sur la déontologie des pénalistes et vous l’avez prononcée cette semaine sur France Inter. Pas de plagiat évidemment mais cela m’autorise à penser, toute modestie mise à part, que les grands esprits se rencontrent.
4 https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9ontologie_du_journalisme