« Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. » Jean de la Fontaine, Les animaux malades de la peste.
A quoi on pourrait ajouter de nos jours : selon que votre affaire sera obscure ou médiatisée, justement ou injustement, vous serez jugé comme ceci ou comme cela.
J’entends par justement médiatisée, l’affaire qui présente un intérêt intrinsèque, ou soulève une question qui concerne ou qui touche une grande partie du public.
Typiquement, une affaire d’euthanasie (du mari sur sa femme, de la mère sur son enfant, etc.), que la justice considère, en l’état du droit, comme un meurtre voire un assassinat.
Et par injustement médiatisée, je vise les affaires dont il existe des dizaines ou des centaines d’équivalents, mais dans lesquelles s’illustre un de ces avocats qui prennent bien la lumière et qui ne touchent plus terre dès qu’on leur tend des micros.
J’accepte d’avance le reproche qu’on pourrait me faire d’être envieux ou jaloux : certainement, si une forêt de micro et des sunlights convergeaient vers ma modeste personne, je commencerais moi aussi à échapper aux lois de la pesanteur.
Quelques exemples récents d’affaires dont, à mon appréciation, l’évolution a été affectée par la médiatisation, soit de l’affaire proprement dite soit de la personne qui en a été l’objet.
D’abord, Nabilla. J’ai le souvenir d’une cliente détenue dans la même maison d’arrêt, arrivée avant Nabilla et qui y est restée longtemps après.
Poursuivie pour proxénétisme (par ailleurs contesté) elle ne comprenait pas qu’on la maintienne en détention alors que Nabilla, qui était poursuivie pour une tentative d’homicide volontaire, était remise en liberté au bout de cinq semaines.
Ensuite l’affaire Jacqueline Sauvage. Je laisse volontairement et totalement de côté le fond du dossier.
Constatons seulement qu’une juridiction l’a, au nom du peuple français, représenté en l’espèce par des juges et des jurés populaires, condamnée à une peine de 10 ans d’emprisonnement.
Saisi par la vague d’émotion populaire créée par sa défense, le chef de l’Etat l’a partiellement graciée, ce qui lui a permis de demander une libération conditionnelle.
Avec une certaine obstination, le juge de l’application des peines et la cour d’appel (toujours au nom du peuple français, rappelons ce détail), ont cru devoir refuser cet aménagement et le président de la République lui a fait grâce de la totalité de la peine restant à accomplir.
La grâce présidentielle, en l’espèce, aura en quelque sorte mis en échec plusieurs décisions de justice.
L’affaire Ilan Halimi. Petite précaution de langage : je ne me prononce pas sur le fond du dossier et ne minimise en aucune façon le calvaire qu’on a fait subir à cette malheureuse victime et naturellement à sa famille. J’ajoute qu’en l’espèce, l’horreur des faits et le comportement des « barbares », ainsi qu’ils se dénommaient eux-mêmes, justifiaient amplement la médiatisation.
L’avocat général (médiatique lui aussi mais en l’espèce ça ne comptait pas) entendait accepter le verdict dans toutes ses composantes : culpabilités, circonstances aggravantes, peines.
Au contraire, la partie civile, qui n’a pas ce pouvoir sur la partie pénale d’un verdict, estimait que le parquet devait faire appel, en vue d’une aggravation.
Son avocat, par un battage médiatique qui ira jusqu’à l’injure à l’égard de l’avocat général et de ses contradicteurs, a réussi le tour de force d’obliger la Garde des Sceaux de l’époque à faire appel de ce verdict, désavouant ainsi officiellement son parquet au profit d’une partie privée, ce qui est sans exemple connu, en tous cas de l’auteur de ces lignes.
L’affaire Jérôme Kerviel est un exemple magnifique et édifiant de médiatisation. Elle constitue certainement le plus grand écart jamais rencontré entre la défense médiatique (dans les médias) ou pour les médias (dans la salle d’audience, mais destinée à la presse et au public plus qu’aux juges) et la défense réelle.
Un chroniqueur judiciaire réputé s’est d’ailleurs fait l’écho de cette distorsion entre les échos dans la presse et l’indigence de l’argumentation et des preuves proposées aux juges.
Contrairement à Jérôme Cahuzac, un puissant mais dont la puissance s’est en fait retournée contre lui, la défense de Jérôme Kerviel n’a pas pu ramener la partie ferme de la peine à un quantum aménageable, ce qui ne semble d’ailleurs jamais avoir été son objectif.
Malgré une culpabilité définitivement acquise (abus de confiance, faux et usage de faux, accès frauduleux à un système de traitement des données) et une lourde peine (5 ans dont 3 ferme), Jérôme Kerviel est une vedette et une victime du système dont il est devenu, par un spectaculaire retournement, le dénonciateur.
Il a réussi l’exploit de devenir l’égérie de Mélenchon et j’en suis encore à me demander lequel des deux est la carpe et lequel le lapin.
Il a été l’invité en direct du 20 heures de France 2, cas à ma connaissance unique pour un condamné sur le point d’être incarcéré pour exécuter sa peine.
Il a rencontré le Pape François (son staff prétend, avec la souplesse intellectuelle dont il est coutumier, qu’il a été « reçu par le Pape ») qui lui a dit qu’il priait pour lui (énorme).
Que dire enfin de l’affaire Seznec, qui n’existe plus qu’à travers la médiatisation que quelques fanatiques, qui continuent à croire ou à se convaincre qu’ils croient à une erreur judiciaire, entretiennent tant bien que mal.
Après des fouilles privées ne reposant sur aucun support juridique, on a retrouvé… des ossements !
Décharge d’adrénaline chez les défenseurs de Seznec mais finalement (incroyable surprise sauf pour ceux qui comme moi ont eu l’occasion de voir les lieux), ce sont des ossements d’animaux.
Jamais la « découverte » d’éléments aussi minces par des amateurs, en dehors de tout cadre juridique, n’aurait provoqué une telle réaction, n’était la médiatisation de l’affaire.
Dernière manifestation de cette médiatisation quelques semaines plus tard : d’après les petits-fils de Guillaume Seznec, il apparait que Pierre Quéméneur aurait été le Harvey Weinstein du Trégor et qu’il avait « tripoté la grand-mère », Marie-Jeanne Seznec, qui « s’est défendue » et, à défaut de balancer son porc, l’aurait étendu pour le compte.
On jugera sans doute que les exemples ci-dessus contiennent autant de contre exemples et ne démontrent rien de vraiment décisif dans un sens ou dans l’autre.
Je voulais principalement souligner ici la différence potentielle de traitement entre deux affaires identiques (aux détails près), selon que l’une aura été médiatisée et l’autre pas.
Ce qui m’ennuie un peu c’est que l’une des conclusions possibles serait qu’il ne faut pas faire appel à des cabinets anonymes comme le mien…
2 - https://www.huffingtonpost.fr/2014/12/18/nabilla-libre-benattia-thomas-vergara-prison_n_6347624.html
4 - https://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/me-szpiner-je-n-ai-rien-a-me-reprocher_777271.html
8 - https://melenchon.fr/2013/06/20/kerviel-est-innocent/