Rarement émission aura été titrée de façon aussi menaçante et pour tout dire, prémonitoire.
Rappelons les faits : avec ce sens de la finesse qui le caractérise (je pense qu’au moins sur ce point, nul ne me contredira), Cyril Hanouna avait proposé à son audience un petit canular dans lequel le bon goût le disputait à la drôlerie.
Qu’on en juge : il avait fait semblant de tuer accidentellement une personne, et demandé à un de ses chroniqueurs, témoin de cette scène qu’il croyait réelle, de ne pas appeler la police, menaçant de lui faire porter le chapeau. (1)
Personnellement, sur recommandation de la faculté, j’avais préféré ne pas regarder cette séquence, de crainte de me retrouver, littéralement, mort de rire.
Le CSA, qui est connu pour faire la fine bouche, avait cru devoir sanctionner la chaine C8 en lui interdisant de diffuser de la publicité dans cette émission pendant une semaine, ce qui entraine évidemment un manque à gagner pour une chaine privée.
Je dis « fine bouche » parce que ce blog se veut juridique, donc sérieux et même austère, mais si j’avais le sens de l’humour, comme les fins lettrés de C8, j’aurais sans doute, par métaphore, fait allusion à un autre orifice corporel entrant en interaction avec un accessoire pouvant être, par exemple, un manche à balai (ah ah, ah ah ! Mais assez ri, poursuivons).
« Le CSA est l’autorité publique française de régulation de l’audiovisuel. Cette régulation s’opère au service de la liberté d’expression dans l’intérêt du public et des professionnels. Elle repose sur le respect et la protection des droits et libertés individuels, la régulation économique et technologique du marché, et la responsabilité sociale. » (2)
Le Conseil d’Etat, saisi par C8, avait annulé la décision du CSA par un arrêt du 18 juin 2018, à la suite de quoi la chaine a demandé à être indemnisée des conséquences de cette sanction. (3)
On est heureux d’apprendre que cette haute juridiction vient de lui allouer une indemnité de 1,1 million d’euros, et rassuré que cette atteinte inadmissible à la sacro-sainte liberté d’expression ait été sanctionnée.
Comme disait Coluche, qui était presque aussi drôle que Cyril Hanouna : rigolez-pas, c’est avec votre pognon quand même !
La première réaction qui vient à l’esprit est que ce précédent jouera nécessairement en défaveur du CSA, qui y regardera désormais à deux ou trois fois avant de sanctionner une chaine.
On peut en effet se demander ce qui reste de l’indépendance d’une autorité si elle a sur la tempe un pistolet financier de ce calibre.
On peut aussi se demander pourquoi la sanction a été appliquée sans attendre le résultat du recours, ce qui aurait évité aux heureux contribuables que nous sommes de verser de l’argent à C8.
Par ailleurs, sans vouloir paraitre pisse-vinaigre (le sens de l’humour n’interdit pas le mauvais esprit), je me permets de mettre cette situation en parallèle avec celle des juridictions de l’ordre judiciaire, qui ne rendent pas de comptes de leurs erreurs, et encore moins d’une simple infirmation basée sur une différence d’appréciation.
A part le dysfonctionnement du service public de la justice (pour les plus persistants ou les plus vindicatifs), la seule hypothèse d’indemnisation qui me vient à l’esprit est celle des détentions injustifiées.
Même si c’est un peu contestable (depuis tout petit je résiste à l’idée qu’on ne peut pas additionner ou soustraire des carottes et des choux-fleurs : bien sûr qu’on peut !), mettons en parallèle la somme octroyée à C8, qui n’a pas tout à fait été victime d’une erreur judiciaire, et celles qu’on alloue à des personnes innocentées.
Pour les détentions abusives, les sommes attribuées représentent en moyenne 25.000 € par année de détention.
Certains ont reçu plus, proportionnellement, ainsi Patrick Dils avait obtenu 700.000 € pour 15 années d'incarcération. (4)
Le record d'indemnisation est détenu par Christine Villemin qui avait perçu l'équivalent de 62.000 € pour 11 jours de détention, soit 82 fois plus que la moyenne. (5)
A comparer avec 1,1 million d’euros pour une semaine sans publicité dans une émission.
Je sens bien ce que ce parallèle peut avoir de démagogique, puisque je laisse clairement entendre que les intérêts d’une chaine de télévision privée, dont la programmation n’a pas toujours le même niveau que celui d’Arte (j’essaye de ne pas employer le mot « putassière », qui pourrait me valoir des ennuis), sont mieux pris en compte que ceux d’une personne accusée et détenue à tort, par exemple pour avoir tué et violé des enfants.
C’est vrai, mais quand on parle de Touche pas à mon poste, on a, sur le terrain de la démagogie, une bonne grande marge qui permet d’aller très loin sans jamais atteindre le niveau de cette émission (Cyril si tu me lis, c’est de l’humour ! Ah ah, ah ah !).
4 – https://fr.wikipedia.org/wiki/Patrick_Dils
5 - https://www.franceinter.fr/emissions/dans-le-pretoire/dans-le-pretoire-11-mars-2016