Le monde judiciaire est décidément plein de surprises.
Lorsqu’on le côtoie depuis de trop nombreuses années, on les trouve plutôt bienvenues car la routine, l’horrible et accablante routine, menace toutes les professions et précède de peu l’ennui puis la dépression.
La télévision, pour un nostalgique de Pivot, Chancel et Georges Pernoud, est également, de nos jours, un motif d’étonnement et même d’ahurissement sans cesse renouvelé.
Ainsi, je confesse que, quand a été lancée une émission (je ne trouve pas d’autre terme) intitulée Loft story et classée dans la catégorie éminement mensongère de « télé réalité », je n’y ai pas cru et j’aurais juré que personne ne regarderait ce spectacle ni ses avatars.
Aujourd’hui la réalité m’impose un démenti cinglant : non seulement les émissions de ce genre pullulent (avec des Marseillais et des Chtis mais Dieu merci, pas de Bretons), et il y a même des émissions sur ces émissions, ce qui donne au terme « mise en abîme » une profondeur nouvelle.
Je disais donc qu’à titre personnel, j’accueille plutôt favorablement les surprises en général.
Par ailleurs, je suis de plus en plus désabusé sur la question du secret de l’instruction et sur un de ses corollaires, la présomption d’innocence.
Des professionnels de la justice faisant des déclarations devant les caméras en pleine garde à vue ou le temps de fumer un clope pendant une première comparution, des avocats plaidant la cause de leur client au journal de 20h, des journalistes publiant de pleines pages de procès-verbaux alors que certains avocats n’ont pas encore la copie du dossier, ceci est désormais monnaie courante.
L’air du temps semble considérer que le droit pour le public d’être informé est plus important que cette présomption si souvent bafouée.
Même notre si prévisible Défenseur des droits, qui est pourtant sur tous les fronts, s’en souvient quand il s’agit de comparution dans des box vitrés (combat auquel j’adhère totalement, je m’empresse de le préciser) mais devient amnésique lorsque des éléments d’un dossier secret sont mis sur la place publique.
Malgré cet endurcissement, j’ai eu comme un mouvement de recul lorsque j’ai vu que le Huffpost (une maison sérieuse) publiait un article ainsi intitulé « Le contenu de l’ordinateur de Christian Quesada dévoilé dans TPMP ». (1)
Pour ceux qui l’ignorent, Christian Quesada (2) est cet ancien candidat d’une émission intitulée Les 12 coups de midi, dans laquelle il s’est illustré en remportant de très nombreuses éditions et en empochant 800.000 €.
Ce quinquagénaire aurait eu une conversation en ligne avec une mineure, à laquelle il aurait fait des propositions clairement sexuelles, ce que la jeune fille a dénoncé, à la suite de quoi (enfin deux ans après) il a été mis en examen et placé en détention provisoire.
L’affaire fait donc l’objet d’une procédure d’instruction, qui est par principe secrète, ainsi qu’en dispose l’article 11 du code de procédure pénale (3), lequel renvoie aux sanctions prévues par l’article 226-13 du code pénal. (4)
Le premier de ces textes, dans sa rédaction telle qu’elle résulte de la loi du 15 juin 2000, dite présomption d’innocence (on y revient), précise que « Toutefois, afin d'éviter la propagation d'informations parcellaires ou inexactes ou pour mettre fin à un trouble à l'ordre public, le procureur de la République peut, d'office et à la demande de la juridiction d'instruction ou des parties, rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause.»
C’est ainsi que nous nous sommes habitués à des conférences de presse suivant chaque attentat ou tentative d’attentat.
De même, la Procureure de la République de Besançon avait-elle été obligée de remettre à l’heure certaines pendules dans l’affaire Daval (5).
Ce texte, il ne faut pas se le cacher, crée un certain déséquilibre entre les parties à la procédure, puisqu’il permet à l’autorité de poursuite de dévoiler des éléments du dossier quand la défense reste tenue au secret.
Cependant, aussi imparfait soit-il, il prévoit les conditions précises dans lesquels le Procureur peut s’exprimer : dans quels cas, pour quelles raisons, et sur quels points. Soit :
* d’office ou à la demande de la juridiction d’instruction ou des parties,
* pour éviter la propagation d'informations parcellaires ou inexactes ou mettre fin à un trouble à l'ordre public,
* et en ne rendant publics que des éléments objectifs tirés de la procédure et ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause.
Aussi me suis-je vigoureusement frotté les yeux et un peu les oreilles aussi, lorsqu’après avoir lu l’article du Huffpost cité plus haut, j’ai vu et entendu les déclarations du Procureur de Bourg en Bresse.
D’abord parce que dans la version actuelle du texte, sauf lecture trop précipitée de ma part, aucun alinéa ne prévoit en effet que le Procureur puisse faire des déclarations « à la demande de Cyril Hanouna » (ça viendra peut-être).
Il est bien précisé que le Procureur, et l’animateur l’en remercie, a été sollicité, ce qui d’après moi n’entre pas dans les prévisions du texte (« Merci à lui, dit Hanouna, d’avoir répondu positivement à notre demande d’interview »).
Deuxièmement, je n’ai pas vu que des éléments parcellaires ou inexacts eussent été répandus, ou que l’affaire ait créé un trouble à l’ordre public auquel il était urgent que le Procureur mette fin.
Et je pourrais ajouter que vu la façon gourmande et en même temps moralisatrice dont l’équipe de TPMP s’est régalée de ce fait divers, cette exposition médiatique serait plus de nature à créer une atmosphère de lynchage qu’à apaiser quelque trouble que ce soit.
Enfin, je suis évidemment incapable de juger si les éléments divulgués par le Procureur sont objectifs ou non, même si je suis prêt à lui faire ce crédit, mais je ne peux me défendre d’une impression de déclarations faites totalement à charge.
J’espère rassurer tout le monde en relevant le traitement éditorial de cette interview par la fine équipe qui entoure le nouveau chroniqueur judiciaire Cyril Hanouna (tant pis pour les mânes de Frédéric Pottecher) (6).
En effet, loin d’être livré à lui-même, le spectateur bénéficiera des analyses du subtil Gilles Verdez, que personnellement je ne connaissais que comme faire-valoir dans la première version d’On refait le match du mythique Eugène Saccomano, comme quoi le foot mène à tout.
Un autre chroniqueur, très autorisé sur les questions sexuelles (7), a participé à l’interview du Procureur et lui a demandé, ce qui ne parait pas pouvoir bousculer gravement la présomption d’innocence, « si Christian Quesada était déjà passé à l’acte », ce à quoi le Procureur a obligeamment et négativement répondu que « pour l’instant » il n’était pas mis en examen pour des faits d’agression sexuelle ou de viol.
Isabelle Morini-Bosc a demandé avec beaucoup de présence d’esprit si l’horrible Quesada avait un passé judiciaire et cet élément objectif n’a pas été passé sous silence : oui en effet, il a déjà été condamné, et la date des condamnations nous a été indiquée en même temps que les incriminations, afin que nul n’en ignore.
Le reste de l’interview est à l’avenant, entre questions posées en plateau, réponses complaisantes du Procureur qui ne semble en éluder aucune, et commentaires éclairés des spécialistes, dont il ressort clairement (enfin moi c’est ce que j’ai compris) que la pédophilie, non vraiment, c’est dégueulasse.
Certaines questions (comment s’est-il comporté face aux enquêteurs) paraissaient presque anecdotiques mais une réponse m’a donné envie de me pincer : « La détention provisoire, on sait quand elle commence, on sait pas quand elle se termine ».
J’aurais aimé qu’il précise que « toute personne mise en examen, présumée innocente, demeure libre », qu’elle ne peut être placée en détention qu’à « titre exceptionnel » (8) et que la détention cesse dès que les conditions prévues par la loi (9) ne sont plus remplies.
On a aussi appris, et Gilles Verdez en est tout ébaubi, que le mis en cause est défendu par une avocate commise d’office, et que cette dernière (là aussi on en reste pantois) a fait une demande de mise en liberté, ce qu’un pertinent chroniqueur qui « ne connait rien en loi », trouve « sidérant ».
Heureusement, « certains juristes » ont indiqué à Valérie Benaïm que « cette demande ne sera certainement pas acceptée » : ouf, on respire mieux sur le plateau !
En conclusion et ne reculant devant aucun paradoxe, le Procureur a attiré l’attention de chacun sur les risques de « l’emballement médiatique » (!) « qui pourrait l’amener à avoir des gestes irréversibles ».
Ceci n’étant valable, bien entendu, que pour les autres médias.
« Et n’oublions pas », a dit une chroniqueuse au cœur tendre, « que Christian Quesada a deux petits garçons » : merci pour eux Madame, vraiment, merci d’avoir exprimé cette compassion si sincère et si touchante, pour les enfants d’un homme qui a été si copieusement désigné à la vindicte populaire.
A moins d’un visionnage inattentif, je crois pouvoir dire que l’expression « présomption d’innocence » n’a jamais été prononcée, fut-ce à titre de simple précaution.
On hésite, quand on n’est pas un spectateur habituel de TPMP (je suppose qu’il faut un peu d’entrainement), entre colère et consternation.
Je ne m’attendais pas à ce que cette émission présente la moindre tenue morale ou intellectuelle, me contentant jusqu’à ce jour de ne la jamais regarder.
J’ai eu mal en revanche pour le Procureur de Bourg en Bresse et j’en suis encore à me demander pourquoi, quitte à donner une interview, ce qui me parait en soi et dans le cas d’espèce critiquable, c’est à cette émission en particulier qu’il l’a réservée.
On me répondra qu’après tout, une ministre en exercice s’est récemment commise chez Hanouna et qu’un futur Président de la République y est apparu fugacement.
Et mon accablement de croître encore davantage.
2 https://www.huffingtonpost.fr/news/christian-quesada/
5 https://www.youtube.com/watch?v=NFk5V-Ozy4s