L'appréciation du caractère illicite du contenu par l'hébergeur

Publié le 13/06/2013 Vu 9 672 fois 2
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La loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, abrégée LCEN, prévoit en son article 6 une responsabilité limitée pour les hébergeurs sur Internet quant aux contenus illicites qu’ils hébergeraient éventuellement. Tant qu’ils n’en ont pas connaissance, leur responsabilité ne peut être recherchée pour ne pas avoir retiré le contenu litigieux. Il est apparu que l’appréciation de ce qu’est un contenu illicite n’est pas aisée et les juges ont eu l’occasion, dans des instances récentes, d’assouplir un peu leur rôle dans l’appréciation des contenus illicites. Les solutions retenues ne répondent cependant pas encore à toutes les questions qui se posent autour de cette responsabilité limitée.

La loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, abrégée LCEN, prévoit en son article

L'appréciation du caractère illicite du contenu par l'hébergeur

Cette dernière est prévue à l’article 6-I-2 de la qui dispose que « les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible ».

Les personnes visées par le début du texte sont les hébergeurs qui sont alors soumis à une responsabilité limitée pour le contenu qu’ils hébergent. En cas de contenu illicite, si les hébergeurs n’en avaient pas effectivement connaissance ou s’ils ont agi promptement du moment qu’ils en ont été informés, leur responsabilité ne peut alors plus être recherchée, sauf à prouver le contraire.

Dans de récentes affaires, la cour d’appel de Paris ainsi que le tribunal de grande instance de Paris ont précisé que l’appréciation des hébergeurs pour retirer des contenus se limitait aux contenus manifestement illicites ou causant un trouble manifestement illicite. La première des deux solutions a été retenue par la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 4 avril 2013 et la seconde dans une ordonnance de référé du tribunal de grande instance de Paris rendue le même jour.

La responsabilité des hébergeurs sur internet pour le contenu mis en ligne par l’intermédiaire de leurs services est donc finalement conditionnée par la connaissance qu’ils en ont. La difficulté qui s’est posée au juge portait sur l’articulation entre le caractère technique et systématique du rôle de l’hébergeur et le sens à donner à la notion de contenu illicite et à son appréciation.

L’hébergeur n’est toutefois pas complètement dédouané de sa responsabilité par ces deux décisions. Les juges se sont contentés de constater, en quelques sortes, son incapacité technique à apprécier le caractère illicite d’un contenu (I) rappelant ainsi qu’il n’existe pas d’obligation générale de surveillance des contenus (II) pour les hébergeurs.

I - L’incapacité technique des hébergeurs à apprécier le caractère illicite d’un contenu

La cour d’appel de Paris dans l’arrêt d’avril 2013 s’est fondée sur le rôle technique et systématique de l’hébergeur, suivant en cela une logique habituelle maintenant, pour écarter sa capacité d’appréciation du caractère illicite d’un). De même, à l’occasion de l’autre instance en référé, le juge des référés a estimé pour les même raison qu’il ne revenait pas à l’hébergeur d’apprécier le caractère diffamatoire d’un contenu. La limite réside dans le cas où le contenu litigieux est manifestement illicite. L’approche est sensiblement différente toutefois puisque la cour d’appel exige non seulement que le contenu soit manifestement illicite mais également qu’il cause un trouble manifestement illicite (A) alors que le tribunal de grande instance s’attache davantage aux circonstances (B) pour démontrer qu’une telle analyse n’est pas à la porter d’un intermédiaire technique.

A - Trouble manifestement illicite et caractère manifestement illicite

Dans son arrêt du 4 avril 2013, la cour d’appel avait à statuer sur le bien-fondé d’un référé. Elle soumet sans surprise l’obligation pour l’hébergeur de retirer le contenu au caractère manifestement illicite. Il n’est pas tant question ici de déterminer si l’hébergeur avait ou non connaissance du contenu et s’il l’a retiré promptement du moment qu’il en a eu connaissance. L’analyse des juges de seconde instance porte davantage sur la capacité de l’hébergeur à analyser le caractère de ce contenu qui aurait dû être manifestement illicite.

Cependant, dans son analyse la cour mêle deux critères qui semblent plutôt devoir se distinguer l’un de l’autre. Elle estime que « pour que la mise en ligne d’un article constitue un trouble manifestement illicite, encore faut-il que le contenu lui-même de la publication litigieuse présente un caractère manifestement illicite ». Le raisonnement ne manque certes pas de justesse mais il oblige alors le demandeur à prouver d’une part que le contenu qu’il estime illicite cause un trouble manifestement illicite et, d’autre part, que ce contenu présente un caractère manifestement illicite.

Les deux terminologies découlent de deux fondements juridiques différents. La notion de trouble manifestement illicite est envisagée par l’article 809 du code de procédure civile qui dispose que le président du tribunal de grande instance peut toujours « prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent […] pour faire cesser un trouble manifestement illicite ». La seconde notion de contenu manifestement illicite résulte elle de l’article 6 de la LCEN, alors même que leur retrait ne résulte pas forcément d’un référé.

La confusion entre les deux sources juridiques n’est pas facile à appréhender puisque les dispositions de la LCEN concernent particulièrement les hébergeurs alors que celles sur le référé n’interviennent pas au préalable de l’instance, sauf comme fondement d’un recours en référé. Les juges de première instance semblent moins téméraires et soumettent l’appréciation du contenu illicite à l’unique critère du caractère manifestement illicite.

B - La nécessité d’une analyse circonstanciée en cas de diffamation

La nécessité d’une analyse des circonstances dans le cas d’un contenu diffamatoire qui ne serait pas manifestement illicite soustrait l’hébergeur à une possible appréciation du contenu. En effet, seul un juge peut reconnaître l’existence ou non d’une). Tout au plus l’hébergeur aurait eu à retirer le contenu litigieux s’il avait été manifestement illicite mais il ne peut pas en apprécier le caractère diffamatoire. Le tribunal de grande instance, dans son ordonnance de référé du 4 avril 2013, estime en plus que la diffamation ne constitue pas fatalement en elle-même un trouble manifestement illicite. Pourtant ce trouble sert de fondement au référé.

Par ailleurs, les juges du fond rappellent à l’occasion de cette ordonnance le rôle passif de l’hébergeur dans la publication des contenus par les utilisateurs de ses services. L’analyse des circonstances à laquelle le juge peut se livrer, puisqu’il en a les capacités techniques, ne sont pas dans les prérogatives de l’hébergeur. Les compétences techniques de ce dernier justement se limitent à proposer des services de publication et de mise à disposition de contenus en ligne.

Ces deux solutions sont logiques dans la mesure où les hébergeurs n’ont pas à procéder à un contrôle systématique des contenus édités par les utilisateurs de leurs services. En revanche, il existe des cas où le retrait de contenu est obligatoire et ne souffre en pratique pas de délai.

II - L’absence d’obligation générale de surveillance des contenus

La LCEN dispose explicitement à l’article 6-I-7 qu’une telle obligation n’existe pas. Le principe est finalement la liberté pour les utilisateurs de publier ce qu’ils entendent, à charge pour eux de respecter la règlementation. Il existe toutefois quelques cas particuliers où l’obligation de retirer un contenu illicite est obligatoire (A). La question se pose alors de savoir si dans ces cas-là quelle importance revêt le formalisme de la notification d’un contenu illicite, alors que l’hébergeur ne voit pas non plus en principe sa responsabilité engagée en cas de non respect de ce formalisme (B).

A - Une absence compensée par l’existence d’obligations particulières

L’article 6-I-7 de la LCEN dispose que les hébergeurs « ne sont pas soumis à une obligation générale de surveiller les informations qu'ils transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites », notamment pour les raisons qui viennent d’être exposées. Il s’agit d’une conséquence logique, puisqu’ils n’ont pas la capacité d’apprécier ce qui est illicite de ce qui ne l’est pas.

À l’inverse, quelques circonstances, par leur gravité, préserve une obligation particulière de retirer des contenus illicites. Ils le sont alors par nature. Le même article de la LCEN prévoit cette obligation particulière de retrait pour les contenus qui seraient relatifs à :

-l'apologie des crimes contre l'humanité

-l'incitation à la haine raciale

-la pornographie enfantine.

La cour d’appel de Paris dans l’arrêt cité précédemment rappelle d’ailleurs ces cas limités. Elle ajoute que cette obligation trouve à s’appliquer sans même attendre une décision de justice. La pertinence de cet ajout n’est pas évidente dans la mesure où la LCEN à l’article 6 n’impose pas qu’une décision de justice ait été rendue pour que soient retirés des contenus dont le caractère est manifestement illicite. A fortiori, il n’en est pas plus besoin pour les obligations particulières ici exposées et a contrario, la cour semblerait l’attendre pour les demandes de retraits qui seraient aisément appréciables pour l’hébergeur.

Au regard de l’importance de ces limitations, il n’est pas étonnant que les hébergeurs ne voient pas leur responsabilité atténuée dans ce cas précis. La liberté qui prime à titre principal pour les utilisateurs connait alors des bornes. En revanche, une autre sphère d’atténuation de la responsabilité des hébergeurs résulte du formalisme encadrant la notification du contenu illicite.

B - La limitation de responsabilité due au non respect du formalisme

L’importance de ce formalisme s’explique sans doute par le fait même de l’absence d’obligation générale de surveillance. De même, puisqu’une fois encore l’hébergeur n’est qu’un intermédiaire au rôle technique, il convient de lui fournir les éléments précis afin qu’il puisse procéder au retraire du contenu litigieux.

Ce formalisme est prévu à l’article 6-I-5 de la LCEN qui impose la communication de certaines informations au soutien de la notification d’un contenu illicite : « la connaissance des faits litigieux est présumée acquise par les [hébergeurs] lorsqu'il leur est notifié les éléments suivants :

-la date de la notification ;

-si le notifiant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ; si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l'organe qui la représente légalement ;

-les nom et domicile du destinataire ou, s'il s'agit d'une personne morale, sa dénomination et son siège social ;

-la description des faits litigieux et leur localisation précise ;

-les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits ;

-la copie de la correspondance adressée à l'auteur ou à l'éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l'auteur ou l'éditeur n'a pu être contacté ».

Sans ce formalisme, la responsabilité de l’hébergeur peut là encore être écartée s’il ne retire pas le contenu en cause. En revanche, devant l’importance des obligations particulières de l’article 6-I-7, il n’est pas certains qu’un tel formalisme soit indispensable et il est encore moins certain qu’un hébergeur qui en aurait connaissance et qui n’aurait pas agi promptement pourrait se dégager de sa responsabilité. De même, il n’est très certainement plus question de ses capacités à apprécier ou non le caractère illicite dans ces trois cas particuliers.

Liens connexes :

-Les moteurs de recherches sont-ils responsables de leur contenu ? (http://www.murielle-cahen.com/publications/p_moteur.asp)

-La responsabilité des hébergeurs (http://www.murielle-cahen.com/publications/p_hebergement.asp)

-Que risquez-vous comme directeur d’un blog ? (http://www.murielle-cahen.com/publications/blog-diffamation.asp)

Liens externes :

-LCEN : www.legifrance.gouv.fr

-www.legalis.net

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1 Publié par Jibi7
13/06/2013 15:52

Pardon Maître de signaler un avatar des communications sur le net, qui défigure quelque peu le sérieux de votre travail..
En effet dans la liste des nouveaux articles le votre s'intitule "L'appréciation du caractère illicite du con"....peut être suffirait il de raccourcir le debut du titre et si c'est trop tard merci de la récréation offerte et rare sur ce site..!

2 Publié par Visiteur
05/09/2013 09:50

Bonjour Madame Cahen. J'aurais besoin de votre avis quant à la necessité ou non de créer un site Internet, en tant que clerc de notaire. Les professions juridiques se devant de respecter certains codes deontologiques, je me demandais si cela était légitime ? J'ai trouvé une agence, spécialiste dans la création de site Internet pour les avocats, notaires, huissiers... http://www.juridiques-web.com Mais j'hésite encore. Qu'en pensez-vous ? Merci d'avance pour votre réponse. Bien à vous. Clément Alexandre, Clerc de notaire.

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