La Cour de cassation, dans un arrêt du 31 mars 2015 (n°13-24.410), rappelle que le salarié qui a fait l’objet d’un licenciement, et qui a réalisé une copie de son disque dur professionnel ne peut la conserver, qu’à la condition d’établir que les documents sont strictement nécessaires à l’exercice des droits de sa défense, dans le cadre du litige contre son employeur.
Par son arrêt du 31 mars 2015, la Cour de cassation a cassé annule un arrêt de la cour d’appel de VERSAILLES, qui a rejeté la demande de l’employeur de destruction de la copie des fichiers détenue par le salarié, au motif qu’il ne démontrait pas l’existence d’une potentielle utilisation commerciale de ces documents.
En ne recherchant pas si les fichiers étaient nécessaires à l’instance prud’homale, dans le cadre de la défense des droits du salarié, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale.
La Cour de cassation s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle déjà bien ancrée, pleinement harmonisée entre la chambre sociale et la chambre criminelle.
En droit pénal du travail, les documents de l’entreprise sont la propriété de l’entreprise, le fait pour un salarié de s’approprier un fichier client constitue un vol, au sens de l’article 311-1 du Code pénal et réprimé par l’article 311-3 du Code pénale, d’une peine pouvant aller jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et jusqu’à 45.000 Euros d’amende.
La chambre criminelle avait admis qu’un salarié échappe à une condamnation pour vol dès lors que les documents de l’entreprise dont il avait eu connaissance à l’occasion de ses fonctions et qui ont été appréhendés ou reproduits sans l’autorisation de son employeur étaient strictement nécessaires à l’exercice des droits de sa défense dans le litige l’opposant à ce dernier (Cour de cassation chambre criminelle, 11 mai 2004, Bull. crim. n 113 et 117).
La position a été confirmée en 2011, en vertu d’un arrêt dans lequel la Cour de cassation a confirmé le bénéfice d’un non-lieu des chefs de vol et d’abus de confiance, pour le salarié qui a appréhendé des documents dont il avait eu connaissance à l’occasion de ses fonctions et dont la production était strictement nécessaire à l’exercice de sa défense dans le cadre de la procédure prud’homale (Cour de cassation, chambre Criminelle, 16 juin 2011, n°10-85.079).
Dans cet arrêt du 31 mars 2015, la chambre sociale de la Cour de cassation vient confirmer sa position adoptée en 1998, qui retenait que les documents de l’entreprise dérobés par le salarié dans le cadre de la procédure prud’homale participent à l’exercice des droits de la défense (Cour de cassation, Chambre Sociale, 2 décembre 1998, Bull. civ. V, n° 535 ; et Chambre sociale, 30 juin 2004, Bull. civ. V, n° 187).
La chambre criminelle limite à ce seul contentieux prud’homal, la possibilité d’invoquer les droits de la défense pour annihiler la responsabilité pénale du salarié, confirmant la condamnation pour vol d’un salarié ayant volé des documents de l’entreprise afin de se défendre d’une plainte déposée contre lui par son employeur pour diffamation (Cour de cassation, chambre Criminelle, 9 juin 2009, Bull. crim. n° 118).
L’appréhension des documents de l’entreprise à l’occasion des fonctions du salarié est seule susceptible de constituer un fait justificatif, si ces documents sont exclusivement employés dans le cadre de l’exercice des droits de la défense dans une procédure prud’homale.
Il s’agit d’un véritable fait justificatif, à la portée strictement encadrée.
Cependant, le point de faiblesse de ce fait justificatif, traité que partiellement en jurisprudence, est le suivant :
La Cour permet au salarié de s’approprier des documents de l’entreprise, lorsque le fait générateur du litige qui l’opposera à l’employeur et qui sera l’objet d’une instance ultérieure n’est pas encore survenu.
A ce moment, il n’est pas question d’instance prud’homale, et le litige n’est pas né. Le vol est bien constitué.
Le salarié peut s’emparer des documents alors qu’il est simplement avisé du projet de licenciement de son employeur. Un arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation avait cassé un arrêt dans lequel il a été considéré qu’un licenciement était fondé sur une faute grave car le salarié avait soustrait les documents de l’entreprise, avant son licenciement (Cour de cassation, Chambre Sociale 21 décembre 2006, n°05-41180).
Dans cet arrêt, la Cour retient que « l'intéressée a été condamnée pour vol après s'être emparée de documents appartenant à l'entreprise, qu'elle n'établit pas que ces pièces étaient utiles à sa défense puisqu'elles ont été soustraites avant le licenciement, et que cette soustraction marque une défiance de sa part à l'égard de son employeur ».
Et d’ajouter « Qu'en statuant ainsi sans rechercher, comme elle y était invitée, si les documents en cause n'étaient pas strictement nécessaires à l'exercice des droits de la défense de la salariée dans le litige qui l'opposait alors à son employeur à l'occasion de la mise à pied, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés »
La solution est cependant pertinente, car lors l’instance prud’homale, le salarié a généralement quitté l’entreprise. Si le salarié devait attendre l’instance pour recueillir des éléments probatoires, il serait bien en mal de fournir des éléments de preuve pour contrer les prétentions soulevées à son encontre.
Le déséquilibre existant entre un salarié et un employeur en matière d’établissement de la charge de la preuve sera accentué au préjudice du salarié.
L’instauration de ce fait justificatif instaure un équilibre.
Cela n’est pas sans maintenir certaines incertitudes. Si le salarié est admis à recueillir des documents de l’entreprise à titre de preuve antérieurement à une procédure prud’homale, le salarié devra-t-il nécessairement intenter une action ? Quid des documents en cas de transaction avec l’employeur ?
L’organisation de la restitution peut être contractualisée dans le cadre de la transaction, mais quelles sont les garanties que le salarié dévoile l’éventuelle copie des documents effectuées en prévision d’une instance prud’homale ?
La faille est bien présente en l’espèce.