Mesurez vos critiques !
Tel est sans doute le message que souhaite faire passer le Tribunal de grande instance de Bordeaux, avec cette ordonnance du 30 juin 2014.
Une personne a déjeuné dans un restaurant du sud-ouest de la France, il y a un an. Estimant avoir des reproches à formuler à l'encontre de l'établissement, cette personne avait publié des critiques sur le service du restaurant et son personnel.
Le lien vers la critique était référencé en bonne place dans le moteur de recherche GOOGLE, puisqu'il figurait en première page de résultat.
Le restaurateur a donc assigné la blogueuse, du fait de propos qu'il a estimé outrageant.
Le restaurateur se voyait qualifié de "mal embouché", et "dédaigneux", la serveuse était qualifiée de "harpie".
Ces faits sont susceptibles de constituer des injures, au sens de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse : "Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure".
Le président du Tribunal de grande instance a rendu une ordonnance, condamnant la blogueuse à une somme de 1.500 Euros à titre de provision, et 1.000 Euros de dommages et intérets... sans ordonner la suppression du post litigieux.
Nonobstant cette "bizarrerie" juridique, ce jugement est une illustration de la protection de la e-reputation d'une personne.
L'exercice du droit de critique s'inscrit dans le cadre de la liberté d'expression, liberté fondamentale détenue par chacun.
Cependant, comme toutes les libertés, la liberté d'expression ne saurait etre sans limites.
La limite réside dans l'abus de cette liberté d'expression.
La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prévoit et réprime ces abus, que sont la diffamation ou l'injure.
Cependant, le délai pour agir concernant ces deux infractions de presse est court, il est de 3 mois à compter de la publication des messages renfermant l'injure ou la diffamation publique.
Les injures ou diffamations publiées sur Internet sont nécessairement publiques.
Le restaurateur ayant agi un an après la publication, l'action sur le fondement de l'injure ou la diffamation était prescrite.
Dès lors, quel fondement ?
Il n'en existait plus beaucoup, hormis le dénigrement, qui doit comporter une intention de nuire. C'est d'ailleurs tout le débat en l'espèce.
Les critiques négatives qui font apparaitre une intention de nuire doivent etre attaquées sur le fondement du dénigrement, et permettent ainsi d'obtenir une indemnisation sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, fondement de la responsabilité civile délictuelle.
Or en l'espèce, le jugement du TGI de Bordeaux parait surprenant, à deux titres.
D'une part, le TGI de Bordeaux retient le dénigrement, puisqu'il accorde des dommages et intérets sur provision au restaurateur.
Or, il n'est pas évident en l'espèce que la blogueuse était animée d'une véritable intention de nuire envers le restaurateur en critiquant son établissement.
Le fait de critiquer ne révèle pas nécessairement une intention de nuire, meme si le propos est virulent.
En conséquence, la caractérisation de l'intention de nuire pour fonder le dénigrement est discutable en l'espèce.
Les faits semblaient bien minces pour fonder le dénigrement.
D'autre part, la solution donnée à ce litige comporte une incohérence.
Le président du TGI statuant en matière de référé est juge de l'évidence, de l'urgence, et ne traite pas le fond du dossier.
Il traite d'une situation urgente, afin de lui donner une réponse provisoire, préalablement à la saisine d'un tribunal, qui lui devra connaitre le fond du dossier.
Ainsi, l'ordonnance rendue n'a pas ordonné la cessation du trouble manifestement illicite, qui doit se caractériser dans ce type de dossier par la suppression du post litigieux, notamment sous astreinte d'une certaine somme par jour de retard.
Or, il en a été tout autrement dans ce litige, le juge a accordé une provision sur dommages et intérets.
La décision rendue est clairement incomplète et juridiquement discutable.