Tous les justiciables jouissent d’un égal accès à la justice . Cette égalité ne se traduit pas seulement en termes de ressources financières et/ou intellectuelles, mais aussi en termes de carte judiciaire . Il ne faut pas qu’un justiciable, en dépit de son éloignement de la juridiction saisie, soit traité pareillement que celui qui en est proche . Le délai de distance permet ainsi la prise en compte de l’éloignement géographique, source de difficultés pour les justiciables. La loi précise les actes de procédure pour l’accomplissement desquels les délais de distance sont susceptibles d’être appliqués .
Cependant, l’arrêt de la cour d’appel de Paris, rendu en date du 20 septembre 2019, invite à focaliser davantage l’attention sur les délais d’exercice des voies de recours augmentés en raison de la distance. Plus précisément, il s’agit du délai d’appel contre le jugement par lequel le tribunal de commerce de Paris s’est prononcé exclusivement sur sa compétence. Oui, c’est bien du successeur du contredit de compétence qu’il s’agit ! Cette jurisprudence illustre bien de la difficulté qu’ont les justiciables, et parfois même les praticiens, à manipuler la computation des délais de procédure. Mieux, cette prudence rend compte de l’interprétation que se font les juges du fond des dispositions de la loi, interprétation qui contraste le plus souvent avec les positions doctrinales.
Les faits en l’espèce étaient relativement simples. En date du 25 janvier 2019, le tribunal commercial de Paris a statué exclusivement sur sa compétence. Aux termes de l’article 83 du Code de procédure civile, lorsque le juge s'est prononcé sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, sa décision peut faire l'objet d'un appel. Le délai d'appel est de quinze jours à compter de la notification du jugement et peut être augmenté, le cas échéant, d’un délai de distance . La notification de la décision du tribunal de commerce de Paris ayant eu lieu le 29 janvier 2019,l’appelant, résidant dans une collectivité territoriale d’outre-mer bénéficiait donc, en plus du délai d’appel de quinze jours, d’un délai de distance d’un mois. L’appel étant finalement interjeté le 13 mars 2019, l’intimé va invoquer l’irrecevabilité de l’appel, en arguant de ce qu’il a été interjeté hors délai.
À la base de ce désaccord sur le temps, l’interprétation de l’article 641 alinéa 3 du Code de procédure civile qui prévoit que «lorsqu'un délai est exprimé en mois et en jours, les mois sont d'abord décomptés, puis les jours ». Mais toute la question était celle de savoir si un délai d’appel exprimé en jours, et auquel s’ajoute accessoirement un délai de distance en mois, équivaut à un délai « exprimé en mois et jours » au sens de l’article 641 alinéa 3 précité. Autrement dit, en l’espèce, faut procéder à la computation des jours avant celle du mois –ce qui reviendrait à affirmer la particularité de ce type de délai- ? Ou alors faut-il d’abord computer le mois avant de computer les jours –ce qui reviendrait à fondre ce délai dans le régime de l’article 641 alinéa 3- ?
Cette question était fondamentale car de la réponse donnée par la cour, dépendait la recevabilité de l’appel, et donc le sort de la procédure. La réalité est qu’en fonction de la solution retenue en pareil cas, le résultat ne sera pas toujours le même . Rompant ainsi avec une idée reçue en doctrine ,idée qu’aucune jurisprudence antérieure n’avait pu corroborer, la cour opte pour la première hypothèse solution. Celle de procéder d’abord à la computation des jours (délai d’appel) et celle du mois (délai de distance). Elle admet ainsi, tacitement, la spécificité de ce type de délai. Selon la cour, ce délai n’est donc pas un délai exprimé en mois et en jours : nous voyons dans cette approche du bon (I). Cependant, au moment de procéder à l’opération de calcul proprement dit, le juge d’appel se trompera sur les règles applicables, règles qu’on croirait pourtant évidentes : nous voyons là du très mauvais (II).
I- Du bon : la spécificité du délai en jours augmenté en raison de la distance
En contrôlant le respect du délai d’appel, la cour allait résoudre une préoccupation sous-jacente. Lorsqu’un délai de procédure exprimé initialement en jours est augmenté d’un délai de distance en mois, y a-t-il fusion entre le délai « de base » -délai principal prévu pour l’accomplissement de l’acte- et ce délai supplémentaire –voire accessoire- ? De sorte qu’il en résulte un délai nouveau exprimé en mois et en jours ? Plus concrètement, en l’espèce, le délai de quinze jours augmenté d’un mois équivaudrait-il à un délai (nouveau) d’un mois et quinze jours ? À cette question, une certaine doctrine a milité en faveur de la fusion, en estimant qu’on serait, dans ce cas, en présence d’un délai exprimé mois et en jours .
Cependant, aucune décision jurisprudentielle n’a été convoquée en appui d’un tel raisonnement. Le fait est que la jurisprudence n’avait pas encore, en tout cas à notre connaissance, été saisie d’une question portant spécifiquement sur la situation étudiée . L’absence de jurisprudence antérieure se justifie également par la brièveté du délai qui amène généralement les justiciables à agir très rapidement . Dans cet arrêt de la cour d’appel de Paris, le juge d’appel opère une dissociation qui peut être traduite en ces termes simples : un délai en jours auquel s’ajoute accessoirement un délai en mois n’équivaut pas à un délai exprimé en mois et en jours. En conséquence, chaque partie du délai se verra ainsi appliquer les règles de computation qui lui sont propres. En l’espèce, la cour appliquera à la partie du délai exprimée en jours, l’article 641 alinéa 1er du Code de procédure civile ; tandis qu’à la partie du délai exprimée en mois, sera appliqué l’article 641 alinéa 2 du même texte.
Cette solution nous paraît correspondre le plus fidèlement à la pensée du législateur, lequel entendrait réserver l’application de l’article 641 alinéa 3 du Code de procédure civile aux seuls délais qu’il a lui-même exprimé –à titre principal- en « mois et en jours » et non à ceux qui le deviendraient accidentellement. Il est vrai que pour justifier l’application de l’article 641 alinéa 3, les auteurs sus-évoqués relevaient le fait qu’il soit difficile voire impossible de trouver dans le Code de procédure civile des délais exprimés en mois et en jours. Cette difficulté justifie-t-elle pour autant qu’on force l’application de cette disposition aux délais en jours augmentés en mois(en raison de la distance) ? Ne faut-il pas plutôt voir en l’article 641 alinéa 3 du Code de procédure civile une règle générale qui trouvera application lorsque le législateur aura exprimé des délais –à titre principal- en mois et en jours ? C’est cette seconde piste qui nous semble la plus plausible.
D’ailleurs que le champ d’application des règles de computation du Code de procédure civile est assez large. En effet, plusieurs textes de droit substantiel renvoient, pour la computation des délais qu’ils édictent, aux dispositions du Code de procédure civile . Parfois, c’est la jurisprudence qui étend le champ d’application de ces dernières . Il y a lieu d’estimer que, par les dispositions de l’article 641 alinéa 3 du Code de procédure civile, le législateur entendait plutôt anticiper sur l’éventualité de la survenance d’un tel délai ! On est conscient que cette démarche de la cour d’appel est nature à accroître la difficulté des opérations de calcul. Et parlant de calcul proprement dit, c’est là que se trouve du très mauvais !
II- Du très mauvais : la computation du délai en jours augmenté en raison de la distance
Disons-le d’emblée ! Si le délai de base (délai d’appel) était exprimé en mois, l’opération ne poserait aucune difficulté particulière . Mais étant en présence d’un délai de quinze jours augmenté d’un délai de distance d’un mois, c’est tout naturellement que la cour allait commencer la computation par le délai en jours, puisqu’il constitue le principal. En effet, ce délai est à l’origine et sans lui, point de délai de distance. Ainsi, ce ne sera qu’après cette étape préalable que la cour procèdera à la computation du délai en mois. Ce que nous approuvons sans réserve, du moins jusque-ici !
Concrètement, la cour procède ainsi qu’il suit. Le délai de quinze jours ayant pour évènement déclencheur la notification du 29 janvier 2019 (dies a quo), sa date d’échéance est le 13 février 2019 (dies ad quem). L’opération mathématique à ce niveau est très simple. Pour la computation des délais en jours,« il suffit d’ajouter au quantième du jour où s’est produit l’évènement qui fait courir le délai le nombre de jour que comprend délai » . Par application arithmétique, on aura : 29 + 15=44. Mais puisqu’il n’existe pas de 44 janvier, il faut trouver son pendant au mois de février. Pour cela, il faudra lui soustraire le nombre de jours que compte le mois de janvier. Soit : 44-31=13 (février). De ce point de vue, la cour a fait une exacte application combinée des articles 641 alinéa 1er et 642 du Code de procédure civile. Aux termes de ces dispositions, et respectivement, il faut exclure de la computation des délais en jours, le jour où s’est produit l’acte ou l’évènement qui fait courir le délai (c’est la règle dies a quo non computatur in termino) d’une part, et inclure le dernier jour du délai (c’est la règle dies termini computatur in termino) d’autre part.
En revanche, c’est au moment de la computation du délai en mois que se trouve l’erreur ! L’opération est donc nouvelle car il faudra trouver le jour d’échéance du délai d’un mois (délai de distance) ayant commencé à courir –cette fois-ci- le 13 février 2019. La règle est simple. Aux termes de l’article 641 alinéa 2, lorsqu’un délai est exprimé en mois, ce délai expire le jour du dernier mois qui porte le même quantième que le jour de l'acte, de l'événement, de la décision ou de la notification qui fait courir le délai. Ainsi, logiquement, le délai pour exercer l’appel expirait le 13 mars 2019. Or, la cour va plutôt se livrer à une opération bien curieuse. Elle va considérer que le délai d’un mois commencera à courir, non pas le 13 février, mais plutôt le 14 février ; appliquant ainsi –mais maladroitement- la règle dies a quo non computatur in termino. Pourtant, cette règle est propre à la computation des délais en jours (article 641 alinéa 1er). Du coup, elle aboutit à un résultat faux : celui de considérer que le délai expirait le 14 mars et que l’appel exercé le 13 février était recevable.
Pourtant la Cour de cassation a depuis longtemps apporté une précision importante, bien que rarement citée en doctrine : « la règle d’après laquelle les délais exprimés en mois se calculent de quantième à quantième contient en elle-même la règle dies a quo non computatur in termino, à laquelle elle ne doit pas s'ajouter, si bien que le délai exprimé en mois expire au même quantième que le jour de l'acte qui le fait courir » .Certes, dans tous les cas, l’appel était recevable mais comme ayant été accompli le jour même de l’échéance (c’est-à-dire le 13 mars) et non la veille comme l’a laissé croire la cour. En l’espèce, son erreur n’aura pas donc de conséquence significative sur l’ensemble de la décision. Cependant, l’on ne saurait écarter la norme pour normaliser l’écart ! Le juge devrait mieux maîtriser les outils de la computation des délais légaux. Dans l’ensemble, on voit bien que le principal objectif de l’article 641 alinéa 3 du Code de procédure civile est d’éviter la perturbation du calendrier, notamment lorsque le décompte de la partie du délai exprimée en jours permet de passer d’un mois à un autre. Au cas d’espèce, si le délai avait par exemple débuté le 1er janvier 2019, quelle que soit la méthode employée, le résultat devait être le même : le dies ad quem aurait été le 16 février 2019.
En conclusion…Manipuler les délais de procédure n’est pas une sinécure, et cette jurisprudence l’atteste bien. Mieux, elle vient certainement mettre un bémol sur une idée qui, à force du temps, s’était sédimentée au sein de la doctrine. Plus globalement, elle témoigne de ce que quand bien même on croirait que le droit et ses praticiens ont pu saisir et apprivoiser le temps , ce dernier leur file rapidement entre les doigts. La vérité est que le temps préexiste au droit et s’écoule indépendamment de lui. La création et surtout la maîtrise du temps juridique n’est pas un long fleuve tranquille. Non ! C’est au contraire un fleuve fait de chutes et de rapides. Il n’y a qu’à espérer, après avoir longtemps subit du très mauvais, que le ciel sur la computation des délais de procédure puisse s’éclairer. Surtout faudra-t-il, sur la question, que Cour de cassation tranche définitivement comme elle en a l’habitude. Ça reste un vœu, rien de plus !