L’étranger, l’administration et le juge judiciaire. Présentée comme un sujet polarisant voire clivant[1], la question migratoire est désormais en tête des thèmes les plus cités à l’échelle de l’Union européenne. En effet, « la pression migratoire qui n’a cessé de s’accentuer depuis le début de l’année 2015 et l’impression d’autorités européennes et nationales largement dépassées par la gestion de celle-ci, ont entraîné un retour important de la préoccupation liée à l’immigration »[2]. C’est ainsi qu’au cours de ces dernières années, l’on a pu noter une tendance générale à limiter l’accès aux frontières de l’Europe[3]. Au niveau de la France, l’adoption de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration s’inscrit dans le cadre d’une politique migratoire plus restrictive qui ne manque(ra) pas d’influencer la jurisprudence en droit des étrangers. Tel est notamment le cas en matière de maintien en zone d’attente des étrangers. Lorsqu’un étranger arrive en France de manière irrégulière, l’administration peut lui opposer un refus d’entrée sur le territoire et décider de son maintien en zone d’attente. Cette mesure privative de liberté est compatible avec la Constitution[4]. Cependant, le maintien en zone d’attente ne peut être décidé que pour le temps strictement nécessaire à l’accomplissement des formalités de réacheminement de l’étranger et ne peut en principe excéder une durée de quatre jours à compter du prononcé de la décision initiale de maintien en zone d’attente. Certes, la prolongation du maintien en zone d’attente doit être autorisée par le juge des libertés et de la détention[5], mais la loi ne précise pas les motifs sur lesquels peut être fondée une décision de refus de prolongation. En effet, l’article L. 342-10 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile se limite à indiquer que « l’existence de garanties de représentation de l’étranger n’est pas à elle seule susceptible de justifier le refus de prolongation de son maintien en zone d’attente ». Or, l’interprétation de cette disposition ne fait pas toujours l’unanimité.
Une affaire d’entrée sur le territoire français. En l’espèce, une ressortissante congolaise a fait l’objet d’un refus d’entrée sur le territoire français et a été maintenue en zone d’attente. Le préfet de police de Paris a saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bobigny[6] d’une demande de prolongation du maintien en zone d’attente de l’étranger[7]. La demande a été rejetée. D’une part, le juge constate que l’étranger satisfait désormais, par une régularisation a posteriori, les conditions d’entrée sur le territoire au regard de l’article L. 311-1 du Code d’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile. En effet, l’étranger avait présenté devant le juge des garanties de représentation, notamment un justificatif d’hébergement et de viatique délivré par sa mère résidant en France. D’autre part, le juge fonde sa décision sur les circonstances – sans autre précision – du voyage de l’étranger. Le ministère de l’intérieur interjette appel[8] devant la cour d’appel de Paris[9] et sollicite l’infirmation de l’ordonnance pour violation de la loi. Selon l’administration, en décidant que l’étranger remplissait les conditions d’entrée sur le territoire français, le juge judiciaire a apprécié les motifs du refus d’entrée sur le territoire à l’origine du maintien en zone d’attente, ce qui relève pourtant de la compétence exclusive du juge administratif.
Une question de l’office du juge judiciaire. La question se pose donc de savoir si le juge des libertés et de la détention peut, sans empiéter le domaine de compétence du juge administratif, fonder sa décision de refus de prolongation du maintien en zone d’attente sur le seul fait que l’étranger justifie des garanties de représentation. La cour répond par la négative en décidant que « l’argument retenu en l’espèce par le juge des libertés et de la détention, fondé sur le respect des conditions d’entrée (régularisation a posteriori, hébergement et viatique suffisant par sa mère notamment) et des circonstances dans lesquelles [l’étranger] a voyagé, constitue un moyen qui critique en réalité la décision de refus d’entrée dont le contentieux échappe au juge judiciaire pour relever du juge administratif ». Il en résulte, selon la cour d’appel, que le « moyen soulevé n’était pas de nature à entraîner la remise en liberté » de l’étranger. L’arrêt présente plusieurs intérêts. Sur le plan théorique, il permet une meilleure connaissance des règles applicables au contentieux du maintien en zone d’attente. Cela est important car la loi n’encadre que très partiellement l’office du juge des libertés et de la détention. Sur le plan pratique, l’arrêt marque une évolution remarquable dans la jurisprudence de la cour d’appel de Paris qui jugeait, jusqu’à une époque relativement récente, que l’existence des garanties de représentation pouvait justifier à elle seule le refus de prolongation du maintien en zone d’attente. Sur le plan sociopolitique, l’arrêt entre en résonnance avec la politique migratoire de la France tendant à limiter l’immigration irrégulière.
Organisation du propos. L’arrêt commenté entend clarifier l’office du juge des libertés et de la détention en matière de prolongation du maintien en zone d’attente. Dans un premier temps, l’arrêt précise clairement que l’office du juge des libertés et de la détention exclut l’appréciation de la légalité des actes administratifs (I), notamment l’appréciation, même indirecte, des motifs de la décision de refus d’entrée sur le territoire et de maintien en zone d’attente. Il s’agit là d’une application rigoureuse de l’article L. 342-10 du Code d’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile tendant limiter les motifs pour lesquels le juge peut refuser la prolongation de la privation de liberté. Dans un second temps, se fondant sur les dispositions de l’article L. 342-1 du même texte, rappelle que l’office du juge des libertés et de la détente se limite au contrôle des modalités du maintien en zone d’attente (II), notamment le contrôle du respect des droits de la personne maintenue.
I. La restriction textuelle du contrôle du juge des libertés et de la détention
La genèse de la restriction du contrôle. L’arrêt commenté est rendu au visa de l’article L. 342-10 du Code d’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile. Créé par l’article 13 de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, cet article dispose que « l’existence de garanties de représentation de l’étranger n’est pas à elle seule susceptible de justifier le refus de prolongation de son maintien en zone d’attente ». Comme le souligne la cour d’appel de Paris, l’adoption de cette disposition traduit la volonté du législateur de « mettre un terme à une jurisprudence contraire de la Cour de cassation ». D’où la nécessité de préciser la genèse de cette règle. En effet, avant l’entrée en vigueur de la loi du 16 juin 2011, l’office du juge des libertés et de la détention en matière de prolongation du maintien en zone d’attente était encadré par l’article 35 quater de l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France. Ce texte ne prévoyant aucune limite au pouvoir du juge des libertés et de la détention, celui-ci jouissait alors d’un pouvoir d’appréciation très étendu quant à la prolongation du maintien en zone d’attente. Il pouvait dès lors fonder sa décision de refus de prolongation sur tout motif qui lui paraissait justifié. Dans la pratique, le juge appréciait non seulement la régularité de la procédure de maintien en zone d’attention, les motifs de prolongation invoqués par l’administration et même la situation personnelle de l’étranger. C’est notamment sur ce dernier point que le juge judiciaire se montrait protecteur de la liberté d’aller et venir de l’étranger maintenu en prenant en compte ses garanties de représentation.
Dans une affaire[10], un ressortissant guinéen avait fait l’objet d’un refus d’entrée sur le territoire français et avait été placé en zone d’attente. Le juge a débouté le ministère de l’intérieur de sa demande de prolongation du maintien en zone d’attente. Le jugement est confirmé en appel. Au stade de la cassation, il est reproché au juge d’avoir refusé la prolongation du maintien en zone d’attente « en se fondant sur des considérations tirées de ce que l’étranger possédait un billet de retour, avait de la famille en France, avait une réservation d’hôtel et possédait une somme d’argent en espèces, le juge judiciaire a implicitement mais nécessairement apprécié la légalité de la décision administrative de refus d’admission de l’étranger ». En clair, selon le requérant, en refusant de prolonger le maintien de l’étranger en zone d’attente au motif que l’étranger présente des garanties de représentation, le juge judiciaire s’était mis dans la peau du juge administratif en appréciant indirectement la légalité de la décision administrative de refus d’entrée sur le territoire et de maintien en zone d’attente. Or, en vertu du principe de la séparation des juridictions administratives et judiciaires[11], seul le juge administratif est compétent pour apprécier les motifs retenus par l’administration et éventuellement annuler un acte administratif.
Mais cette argumentation n’a pas emporté la conviction de la Cour de cassation qui rappelle d’une part que « le maintien en zone d’attente au-delà du délai de quatre jours déjà utilisé par l’administration n’est qu’une faculté pour le juge ». Autrement dit, le juge des libertés et de la détention n’est pas tenu d’ordonner la prolongation du maintien en zone d’attente. Elle décide d’autre part qu’« en retenant les circonstances sus-énoncées pour apprécier la nécessité de maintenir [l’étranger] en zone d’attente, le juge n’a fait qu’apprécier la garantie de représentation de l’intéressé sans remettre en cause l’application de la décision administrative et que son ordonnance, fondée sur des considérations pertinentes, est conforme aux dispositions »[12]. Il en résulte, selon la Cour de cassation, que les juges du fond n’ont pas statué sur la légalité de la décision administrative servant de base au maintien en zone d’attente, mais ont plutôt répondu à la question de savoir si la prolongation de la privation de la liberté d’aller et venir était nécessaire au regard de l’existence des garanties de représentation. D’ailleurs, la question de la légalité de la décision de refus d’entrée sur le territoire et de maintien en zone d’attente n’avait été débattue ni en première instance ni en appel, de sorte qu’on ne pouvait raisonnablement reproché aux juges d’avoir commis un excès de pouvoir. Le principe de la séparation des ordres juridictionnels semblait alors solidement dans les pratiques judiciaires ancré pour que les juges du fond l’enfreignent. En effet, comme le rappelle l’arrêt qui nous occupe, de jurisprudence constante, « le juge judiciaire, saisi d’une demande de prolongation du maintien d’un étranger en zone d’attente, n’est pas compétent pour apprécier la légalité des décisions administratives de refus d’admission, de placement en zone d’attente en particulier les motifs retenus par l’administration ».
Or, l’affirmation selon laquelle le refus de prolongation fondé sur l’existence des garanties de représentation ne remet pas « en cause l’application de la décision administrative » n’emporte pas totalement la conviction. À n’en pas douter, en refusant la prolongation du maintien en zone d’attente sur un tel fondement, le juge des libertés et de la détention permet de facto l’entrée de l’étranger sur le territoire français[13]. La décision de refus d’entrée sur le territoire et de maintien en zone d’attente est alors paralysée puisque l’étranger se voit délivrer un visa de régularisation d’une durée de huit jours[14]. Dès lors, seule une mesure d’obligation de quitter le territoire peut désormais être prise à son encontre[15]. Certes, on peut objecter que toute décision de refus de prolongation de la privation de liberté, quelle que soit le motif retenu par le juge des libertés et de la détention, a pour conséquence l’admission de l’étranger sur le territoire. Mais, contrairement aux autres motifs de refus de prolongation, celui fondé sur l’existence des garanties de représentation ou la satisfaction par l’étranger des conditions d’entrée sur le territoire se rapporte plus ou moins directement à la décision administrative de refus d’entrée sur le territoire ayant justifié le maintien en zone d’attente. Autrement dit, en appréciant les conditions d’entrée sur le territoire, le juge judiciaire remettrait en cause le bien-fondé de la décision de refus d’entrée sur le territoire. Tout ce passe alors comme si, selon le juge judiciaire, l’administration avait violé la loi en ne prenant pas en compte la situation personnelle de l’étranger au moment où elle a pris sa décision de refus d’entrée sur le territoire et de maintien en zone d’attente. Or, comme nous l’avons indiqué, seul le juge administratif est compétent pour statuer sur la légalité d’un acte administratif.
Dans la pratique, le refus de prolongation du maintien en zone d’attente fondé sur l’existence des garanties de représentation avait pris de l’ampleur. Car, il suffisait désormais que l’étranger démontre qu’il remplit les conditions d’admission sur le territoire, notamment l’existence des liens d’attaches ainsi que les moyens d’hébergement et de subsistance, pour que le juge judiciaire mette un terme à son maintien en zone d’attente. On estimait à 27,59 % le taux des décisions de refus de prolongation du maintien en zone d’attente fondées sur l’existence des garanties de représentation ou la réunion des conditions d’admission sur le territoire[16]. Dans un tel contexte, l’étranger pouvait s’affranchir de l’obligation d’obtenir au préalable un visa auprès des autorités consulaires françaises pour espérer obtenir ultérieurement une décision favorable du juge judiciaire sur la base de ses garanties de représentation en France. C’est ainsi que le gouvernement a voulu mettre un terme à cette jurisprudence en interdisant au juge des libertés et de la détention de refuser la prolongation de maintien en zone d’attente au seul motif que l’intéressé présente des garanties de représentation. Cette volonté s’est concrétisée à travers l’article 13 de la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité jugé compatible avec la Constitution.
La constitutionnalité de la restriction du contrôle. Dans l’arrêt qui nous occupe, la cour d’appel de Paris convoque la jurisprudence du Conseil constitutionnel concernant l’office du juge des libertés et de la détention en matière de maintien en zone d’attente. En effet, le Conseil constitutionnel avait été saisi par un groupe de parlementaires contestant la constitutionnalité de l’article 13[17] du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité[18]. Selon les requérants, en supprimant la faculté pour le juge des libertés et de la détention de refuser la prolongation du maintien en zone d’attente au seul motif de l’existence des garanties de représentation de l’étranger, cet article porte atteinte à l’office du juge dans son rôle de gardien de la liberté individuelle découlant de l’article 66 de la Constitution[19]. En outre, ajoutent-ils, cette disposition méconnaît le principe selon lequel la privation de liberté est une mesure d’exception qui ne saurait devenir le principe[20]. Mais le Conseil constitutionnel a décidé qu’« en interdisant que la décision ayant pour effet de permettre à cet étranger d’entrer sur le territoire français soit fondée exclusivement sur le fait qu’il présente, en France, des garanties de représentation, la disposition contestée ne méconnaît aucune exigence constitutionnelle »[21]. Mais le Conseil constitutionnel a décidé qu’« en interdisant que la décision ayant pour effet de permettre à cet étranger d’entrer sur le territoire français soit fondée exclusivement sur le fait qu’il présente, en France, des garanties de représentation, la disposition contestée ne méconnaît aucune exigence constitutionnelle »[22]. On peut regretter que la motivation de la décision soit brève voire inexistante.
Cependant, dans le commentaire officiel de la décision que reprend d’ailleurs la cour d’appel de Paris dans l’arrêt commenté, il est clairement précisé qu’en adoptant les dispositions critiquées, le législateur a entendu remédier à une conséquence paradoxale de la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle, le maintien en zone d’attente n’étant qu’une faculté pour le juge[23], la circonstance qu’un étranger ayant fait l’objet d’un refus d’admission sur le territoire justifie de garanties de représentation peut suffire à justifier le rejet de la demande de prolongation[24]. En effet, la solution de la Cour de cassation peut être adaptée au contentieux relatif à la prolongation de la rétention administrative[25] car, même si l’existence de garanties de représentation ou la satisfaction des conditions d’entrée sur le territoire met fin à la privation de liberté, la décision du juge ne remet pas en cause, dans son principe, la décision d’éloignement sur le fondement de laquelle le placement en rétention a été décidé. Autrement dit, la personne mise en liberté à la suite d’un refus de prolongation de la rétention administrative a toujours l’obligation de quitter le territoire et peut toujours être expulsée. En revanche, cette solution serait problématique en matière de maintien en zone d’attente, car le refus de prolongation a nécessairement pour conséquence l’admission de l’intéressé sur le territoire national, ce qui, concrètement, prive d’effet la décision administrative par laquelle cette admission lui avait été refusée. De ce point de vue, on ne saurait admettre, sans qu’il soit porté atteinte dans son principe même à la possibilité de maintenir en zone d’attente les étrangers ne remplissant pas les conditions d'entrée en France, que le refus de prolongation puisse résulter de la seule circonstance que l’intéressé justifie des garanties de représentation. La décision du juge constitutionnel a cependant été critiquée par un auteur : « L’examen par le Conseil des dispositions destinées à amputer le juge judiciaire d’une part considérable du contrôle qu’il exerce sur les maintiens en rétention et en zone d’attente offre des illustrations particulièrement topiques du contrôle a minima qu’il a ainsi choisi d’opérer par une sorte d’adhésion spontanée aux objectifs de la majorité »[26].
Cependant, comme le reprend l’arrêt commenté, « si la loi restreint le pouvoir d’appréciation du juge des libertés et de la détention en lui interdisant de mettre un terme, pour certains motifs, à une mesure privative de liberté, le Conseil constitutionnel a estimé que le législateur pouvait, sans méconnaître l’article 66 de la Constitution, estimer que les garanties de représentation de l’étranger sont sans rapport avec l’objet de la réglementation du maintien en zone d’attente »[27]. En effet, le maintien en zone d’attente « repose sur le postulat que l’intéressé n’est pas encore entré sur le territoire français »[28], de sorte que le régime de la non-admission peut lui être opposé. Cela signifie que le juge des libertés et de la détention ne devrait pas en principe se prononcer sur la question de savoir si l’étranger remplit les conditions d’entrée sur le territoire français ou encore s’il présente des garanties de représentation. De ce point de vue, le législateur pouvait donc, sans méconnaître la Constitution, exclure que le critère des garanties de représentation conduise, à lui seul, à priver d’effet la décision de non-admission. En somme, la consécration textuelle de la restriction du contrôle du juge judiciaire en matière de prolongation du maintien de l’étranger permet d’éviter les excès de pouvoir. Cependant, l’application qu’en fait la jurisprudence n’est ni stable ni unanime.
II. L’application jurisprudentielle de la restriction de compétence
Divergence entre l’esprit et la lettre de la loi ? L’article L. 342-10 du Code d’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile est susceptible de plusieurs interprétations, selon que l’on s’intéresse à sa lettre ou à son esprit. Dans un premier temps, et de manière littérale, il signifie que le juge des libertés et de la détention ne peut se fonder exclusivement sur le fait que l’étranger justifie des garanties de représentation ou qu’il remplit les conditions d’entrée pour refuser de prolonger son maintien en zone d’attente. En clair, un tel motif est parfaitement valable, mais insuffisant pour fonder à lui seul une décision de refus de prolongation du maintien en zone d’attente. Il en résulte que ce motif de refus de prolongation doit être nécessairement accompagné d’un autre motif, tenant notamment – mais peut-être pas exclusivement – aux conditions de l’exercice effectif des droits reconnus à l’étranger[29]. Ainsi, le juge peut par exemple fonder sa décision à la fois sur l’existence des garanties de représentation et sur la violation des droits de l’étranger maintenu en zone d’attente. Tel semble du moins l’orientation de certaines cours d’appel. Dans une affaire, la cour d’appel de Rennes a décidé qu’en « l’absence de moyens tirés d’un défaut d’exercice effectif des droits en zone d’attente, le juge judiciaire ne saurait, sans commettre un excès de pouvoir, refuser la prolongation du maintien en zone d’attente au seul motif des garanties de représentation de l’étranger, ni se substituer au juge administratif pour apprécier la légalité du refus d’entrer sur le territoire français »[30].
Or, dans l’affaire qui nous intéresse, la décision du juge des libertés et de la détention est fondée non seulement sur l’existence des garanties de représentation, mais aussi sur les conditions dans lesquelles l’étranger a voyagé. On peut donc a priori considérer que le juge des libertés et de la détention a respecté l’exigence de l’article L. 342-10 du Code d’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile. Or, la motivation de l’arrêt d’appel concerne uniquement le critère de l’existence de garanties de représentation. La cour d’appel ne procède pas à l’analyse du second moyen retenu par le juge, à savoir les conditions dans lesquelles l’étranger a voyagé. Cela est d’autant plus regrettable que permis d’apprécier le bienfondé de la décision de refus de prolongation du maintien en zone d’attente. On peut donc penser que le simple fait pour le juge des libertés et de la détention de prendre en compte l’existence des garanties de représentation de l’étranger entacherait sa décision d’excès de pouvoir, quelle que soit la pertinence des autres moyens retenus dans sa décision. D’ailleurs, on peut s’interroger sur la pertinence du second motif retenu par le juge des libertés et de la détention. Dans quelle mesure les circonstances dans lesquelles l’étranger a voyagé peuvent-elle justifier un refus de la prolongation du maintien en zone d’attente ? Certes, l’arrêt ne décrit pas ces circonstances du voyage, mais il nous semble que ces circonstances ne sauraient être déterminantes pour justifier la mise en liberté de l’étranger.
D’autre part, l’article L. 342-10 du Code d’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile peut être interprété d’un point de vue téléologique. En effet, le manque de clarté du texte a souvent poussé les juges à essayer d’en rechercher l’esprit. C’est ainsi que les juges des libertés et de la détention ont souvent décidé que « Contrairement à ce que soutient l'administration, la modification récente de l'article L.222-1 (devenu l’article L. 342-1) ne vient pas limiter l'office du juge mais, conformément à ce qui ressort des débats parlementaires, vient souligner l'importance du contrôle du respect effectif des droits reconnus à l'étranger »[31]. Toutefois, comme il a déjà été démontré, l’objectif poursuivi par le législateur en instituant cet article semble d’éviter que la décision du juge des libertés et de la détention s’apparente à un contrôle de la légalité de la décision administrative de refus d’entrée sur le territoire français. Évoquer l’arrêt commenté qui trace une autre trajectoire dans l’interprétation du texte. Or, selon la jurisprudence « en statuant sur le viatique, la possibilité d'hébergement, l'existence d'un trajet retour réservé et l'absence de risque migratoire, le juge se prononce, en réalité, sur le refus d’entrée opposé à l’étranger par l’administration et dès lors excède son domaine de compétence »[32]. Sous ce prisme, la rédaction de l’article L. 342-10 ne traduirait pas fidèlement la volonté du législateur. En effet, pour éviter des divergences jurisprudentielles, il aurait été judicieux de prévoir clairement que la décision de refus de prolongation du maintien en zone d’attente ne peut être fondée, en tout ou partie, sur l’existence de garantie de représentation. En tout cas c’est cette tendance que semble suivre la jurisprudence lorsqu’elle qui infirme presque systématiquement les décisions de refus de prolongation du maintien en zone d’attente qui se fondent, entre autres, sur l’existence de garanties de représentation[33].
Une évolution de la jurisprudence depuis la loi du 16 juin 2011. En dépit de l’entrée en vigueur de la loi 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité qui limite l’office du juge des libertés et de la détention, on observe des sons de cloches divergents au sein de la jurisprudence. La plupart des juridictions du fond, y compris la cour d’appel de Paris, se sont montrés favorables à ce que le juge des libertés et de la détention puisse tenir compte des garanties de représentation et de retour de l’étranger pour refuser la prolongation du maintien en zone de détention : « le juge judiciaire a la faculté de ne pas autoriser la prolongation du maintien en zone d’attente de l’étranger. Il doit cependant s’assurer que celui-ci ne tente pas de pénétrer frauduleusement sur le territoire français et présente des garanties sur les conditions de son séjour, mais également de son départ du territoire de l’espace Schengen. À ce titre il n’est pas lié par les règles (forme et nature des justificatifs d’hébergement, moyens de subsistance minimaux…) régissant la décision administrative de refus d’entrée, qu’il ne lui appartient pas de remettre en cause »[34]. La cour d’appel de Paris est même souvent allée plus loin en appréciant les motifs de la décision de refus d’entrée sur le territoire : « Attendu que Mme X s’est vu refuser l’entrée sur le territoire français pour insuffisance de moyens de subsistance, défaut d’attestation d’accueil ou de réservation d’hôtel, et défaut d’attestation d’assurance médicale, la carte qu’elle avait ayant été jugée non probante ; Attendu que Mme X produit une attestation d’invitation par Monsieur x, demeurant en Belgique, que bien que cette attestation ne soit pas accompagnée d’une copie de pièce d’identité, l’existence de cette personne est attestée par la production d’un acte d’état civil et la référence de sa pièce d’identité sur les documents Western Union par lequel il lui a transmis la somme de 500 euros, que Mme X dispose ainsi de cette somme supplémentaire alors qu’elle ne disposait que de 200 euros, somme par ailleurs suffisante pour rejoindre Bruxelles en train depuis Paris ; qu’elle produit une attestation d’assurance valable pour 60 jours à compter du 24 janvier et à hauteur de 30 000 euros ; qu’elle a un billet de retour pour le 8 février ; qu’en outre son passeport atteste qu’elle est déjà venue en Europe et qu’elle en est repartie »[35].
Parfois encore, la cour d’appel de Paris a infirmé la décision du juge des libertés et de la détention ordonnant la prolongation du maintien en zone d’attente en relevant le caractère suffisant des garanties de représentation fournis par l’étranger[36]. Tel a également été le cas lorsque ces garanties de représentation avaient été présentées après la décision administrative de refus d’admission sur le territoire[37]. Il a également été décidé que le fait qu’un étranger s’est préalablement maintenu en situation irrégulière sur le territoire ne justifie pas une prolongation de maintien en zone d’attente, lorsque l’ensemble des garanties de représentations sont réunies[38]
Le caractère illusoire du recours devant le juge administratif ? Le juge administratif est compétent pour prononcer l’annulation des décisions de refus d’entrée sur le territoire, de placement en zone d’attente et de refoulement. Il est également compétent pour statuer sur la décision refusant l’admission sur le territoire au titre de l’asile. Dans toutes ces matières, où il statue sur la légalité des décisions prises par l’administration, son contrôle est distinct de celui qu’exerce le JLD chargé, lui, d’autoriser la prolongation du maintien en zone d’attente après avoir vérifié que ce maintien ne porte pas une atteinte excessive à l’exercice des droits de la personne maintenue. Le recours en annulation de l’une ou l’autre de ces mesures, qui peut être introduit dans le délai de 2 mois à compter de sa notification, reste toutefois très illusoire compte tenu des délais dans lesquels les juridictions administratives statuent sur ce type de recours. Certes, le juge administratif peut également être saisi par voie de référé, procédure d’urgence qui peut laisser espérer une décision intervenant à bref délai. Qu’il s’agisse toutefois d’un référé-suspension – qui tend à faire suspendre une décision, dans l’attente de l’examen du recours en annulation, en faisant état d’un doute sérieux quant à sa légalité – ou d’un référé-liberté – qui tend à faire sanctionner une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale –, l’introduction de l’une ou l’autre de ces deux procédures d’urgence ne produit aucun effet suspensif des décisions de non-admission. Ainsi, les personnes qui engagent ces recours, dans des conditions au demeurant très difficiles, n’ont aucune assurance de ne pas être refoulées avant d’avoir pu comparaître devant le juge ou avant qu’il ait statué. Seule exception, un recours suspensif est ouvert contre la décision refusant l’admission sur le territoire au titre de l’asile. Mais, là encore, ce recours reste largement théorique compte tenu des délais et conditions dans lesquelles il doit être introduit. Pour les autres personnes maintenues en zone d’attente, qu’elles soient non admises ou en transit interrompu, et qu’il s’agisse de mineures ou de mineurs isolés, d’étudiantes ou d’étudiants, de touristes, de personnes malades ou victimes de violences, l’introduction d’un recours ne fera pas obstacle à la mise à exécution de la mesure de refus d’entrée, donc à un refoulement.
[1] V. Collen, « Élections européennes : la question migratoire ne domine pas partout », Les Échos, 2024.
[2] P. Perrineau, « Les Européens et la question migratoire », Fondation Robert Schuman, 2016. En France, en 2023, le nombre de demandeurs d’asile a augmenté de 8,6 %, pour atteindre 142 500 demandes, dont 124 000 premières demandes, selon les premiers chiffres de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).
[3] P. Orcier, « Frontières et territoires frontaliers en Europe : une visite guidée », in Dossier « Territoires européens, : régions, États, Union », Géoconfluences, 2019.
[4] Cons. const., 17 mars 2022, décision n° 2021-983 QPC . V. également, T. Vincent, « De la pratique des QPC en droit des étrangers à la réforme du 16 juin 2011 : la fin des illusions constitutionnelles ? (bilan du premier semestre 2011) », Constitutions, oct.-déc. 2011, n° 2011-4, p. 581-588.
[5] Article L. 342-1 du CESEDA.
[6] V. art. R. 342-1 du CESEDA.
[7] Article L. 342-1 du CESEDA.
[8] Art. R. 342-10 du CESEDA et 640 et 642 du Code de procédure civile.
[9] Sur la caducité de l’appel à l’expiration du délai imparti au juge d’appel pour statuer, v. Cass. civ. 2e, 27 sept. 2001, n° 00-50.046.
[10] Pour application, v. Cass. civ. 2e, 7 juin 2001, n° 99-50.053, inédit.
[11] J.-M. Lemoyne de Forges, « Dualité ou unité de juridiction ? Aperçu de droit comparé », Les Cahiers Portalis, n° 7, 2020, p. 127-138 ; H. Oberdorff, « Dualité de juridictions », in Dictionnaire d’administration publique, Paris, PUF, p. 175-176.
[12] Cass. civ. 2e, 21 févr. 2002, n° 00-50.079, publié au bulletin.
[13] Art. R. 342-12 et L. 342-19 du CESEDA.
[14] Article L. 342-19 du CESEDA.
[15] V. articles L. 511-1 et s. du CESEDA.
[16] Rapport n° 239 de la Commission des Lois du Sénat sur la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, p. 82.
[17] L’article 13 de la loi de 2011 a modifié l’article L. 222-3 du CESEDA devenu l’article L. 342-10 depuis l’ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020.
[18] T. Vincent et L. F. Lélia, « Une réforme qui n’a épargné aucune question du droit des étrangers », La Semaine juridique. Édition générale, 18 juill. 2011, n° 29-34, p. 1414-1415 ; P.-L. Sylvia, « Une seule annulation et deux petites réserves sur la loi » Dictionnaire permanent droit des étrangers, juill. 2011, n° 202, p. 1-3 ; T. Vincent, « Étrangers : regards critiques sur la réforme du 16 juin 2011 », Droit administratif, août-sept. 2011, n° 8-9, p. 24-29.
[19] Cons. const., 09 juin 2011, décision n° 2011-631 DC – Réplique par 60 députés.
[20] V. CEDH, 29 mars 2010, n° 3394/03, 124, Medvedyev et autres c. France.
[21] Cons. const., 09 juin 2011, considérant 27, 29 et 30, n° 2011-631 DC.
[22] Cons. const., 09 juin 2011, considérant 27, 29 et 30, n° 2011-631 DC.
[23] Cass. civ. 2e, 21 févr. 2002, n° 00-50.079. V. également, Cass. civ. 2e, 15 nov. 1995, n° 94-50.045 ; Cass. civ. 2e, 3 juin 2004, n° 03-50.059 ; Cass. civ. 2e, 4 janv. 1996, n° 94- 50.056.
[24] Cass. civ. 2e, 8 juill. 2004, n° 02-50.070, Bull. civ. II, 2004, n° 364, p. 308; Cass. civ. 2e, 21 févr. 2002, n° 00-50.079, Bull. civ. II, n° 23.
[25] Articles L. 740-1 à L. 744-17 du CESEDA.
[26] H. Patrick, « Les sages capitulent », Plein Droit, oct. 2011, n° 90, p. 29-31 ; L. Anne, « Directive Retour : le retour... à suivre », Constitutions, janv.-mars 2012, n° 2012-1, p. 63-65 ; S. Serge, « Les lambeaux de la protection constitutionnelle des étrangers », in « Jurisprudence du Conseil constitutionnel », Revue française de droit constitutionnel, 2012, n° 90, p. 373-386.
[27] Commentaire officiel, Cons. const., 9 juin 2011, n° 2011-631 DC.
[28] Commentaire officiel, Cons. const., 9 juin 2011, n° 2011-631 DC.
[29] Article L. 342-1 du CESEDA.
[30] CA Rennes, 28 sept. 2023, RG n° 23/00536. Dans le même sens, CA Paris, 18 mars 2024, RG n° 24/01275.
[31] TGI Bobigny, 17 juill. 2016, n°16/04014
[32] CA Paris, 18 mars 2024, RG n° 24/01275.
[33] CA Paris, 22 août 2024, RG n° 24/03830 ; CA Paris, 23 août 2024, RG n° 24/03836 (respect des conditions d’entrée et absence de risque migratoire) ; CA Paris, 22 mai 2024, RG n° 24/02293.
[34] TGI Bobigny, 23 août 2014, n°14/04515 ; CA Paris, 27 déc. 2011, n° 11/05269.
[35] CA Paris, 26 janv. 2012, n° Q 12/00425. Dans le même sens, TGI Bobigny, 18 janv. 2013, n° 13/00465 ; CA Paris, 18 nov. 2013, n° Q 13/03595 ; TGI Bobigny, 21 févr. 2019, N°19/01239 ; (TGI Bobigny, 21 févr. 2019, N°19/01239 ; TGI Bobigny, 25 mars 2019, N°19/02134 ; TGI Bobigny, 21 févr. 2019, N°19/01239 ; ; TGI Bobigny, 3 févr. 2019, n° 19/00767 ; TGI de Bobigny, 15 avr. 2018, N° 18/02710 ; CA Paris, 28 déc. 2012, n° Q 12/04755 ; CA Paris, 28 déc. 2012, n° Q 12/04755. Contra, sur l’absence de garanties de représentation suffisantes, v. (CA Paris, 2 juin 2014, n° Q 14/01706 ; sur l’existence d’un doute sur le retour de l’étranger, TGI de Bobigny, 8 août 2017, n°17/05913 ; CA Paris, 19 juill. 2012, n° Q12/02983.
[36] CA Paris, 25 avr. 2015, n° 15/01537.
[37] CA Paris, 27 avr. 2016, n° Q16/01475
[38] TGI de Bobigny, ordonnance, 4 janv. 2016, n°16/006. Dans le même sillage, TGI Bobigny, 16 nov. 2017, n°17/08441 ; TGI Bobigny, 20 juill. 2018, N° 18/05194.