C'est une grande victoire.
I. Commentaire rapide des quatre arrêts rendus par l'Assemblée Plénière
Le communiqué de la Cour est clair:
"Par quatre arrêts rendus le 15 avril 2011 (n° P 10- 17.049, F 10-30.313, J 10-30.316 et D 10-30.242), l'assemblée plénière de la Cour de cassation a statué sur la régularité de mesures de garde à vue au regard de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui consacre le droit à l’assistance effective d’un avocat.
La première chambre civile, saisie de ces affaires, les avait renvoyées devant l’assemblée plénière à la demande du procureur général, ce renvoi étant de droit.
Quatre personnes de nationalité étrangère en situation irrégulière ont été interpellées puis placées en garde à vue, l’une pour vol, les trois autres pour infraction à la législation sur les étrangers. A l’issue de ces gardes à vue, un arrêté de reconduite à la frontière puis une décision de placement en rétention ont été pris à leur encontre. Le préfet ayant saisi le juge des libertés et de la détention d’une demande de prolongation de la rétention, les personnes retenues ont contesté la régularité de la procédure en soutenant qu’elles n’avaient pas bénéficié de l’assistance d’un avocat dès le début de la garde à vue et durant leur interrogatoire. Statuant sur l’appel interjeté contre les décisions du juge qui avaient soit ordonné, soit refusé d’ordonner la prolongation de ces mesures de rétention, le premier président de la cour d’appel de Lyon a considéré la procédure régulière (dossier n° P 10-17.049), tandis que le premier président de la cour d’appel de Rennes l’a jugée irrégulière (dossiers n° F 10-30.313, J 10-30.316 et D 10-30.242).
Les pourvois qui ont été formés dans le premier dossier par la personne retenue et dans les trois autres par le procureur général près la cour d’appel de Rennes, ont conduit l’assemblée plénière à statuer sur deux questions.
La première porte sur le point de savoir si les dispositions de l’article 63-4, alinéas 1 à 6, du code de procédure pénale relatives à la garde à vue sont conformes ou non à l’article 6 de la Convention européenne. L’assemblée plénière, reprenant la solution retenue par la chambre criminelle dans ses arrêts du 19 octobre 2010, a constaté que les règles posées par l’article 63-4 du code de procédure pénale ne satisfaisaient pas aux exigences de l’article 6 § 1. Elle a énoncé que “pour que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales soit effectif et concret, il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires”.
L'Assemblée Plénière de la Cour de cassation affirme donc que les dispositions relatives à la garde-à-vue ne sont pas conformes à la Convention Européenne des Droits de l'Homme, s'inscrivant ainsi dans la lignée des condamnations par la Cour de Strasbourg (v. not. CEDH, 14 oct. 2010, Brusco c. France).
La deuxième question a trait à l’effet immédiat ou différé de la décision constatant la non-conformité de la législation française aux exigences issues de la Convention européenne. Après avoir rappelé que “les Etats adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits del’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation”, la plus haute formation de la Cour de cassation, en censurant la décision ayant admis la régularité de la procédure et en rejetant le pourvoi formé contre les trois autres qui avaient retenu son irrégularité, a décidé une application immédiate. Les droits garantis par la Convention devant être effectifs et concrets, le principe de sécurité juridique et les nécessités d’une bonne administration de la justice ne peuvent être invoqués pour priver un justiciable de son droit à un procès équitable."
Elle écarte ce qu'avait décidé le Conseil constitutionnel, le 30 juillet 2010 : la contrariété ne peut être reportée.
Ces arrêts reviennent également sur la position retenue par la Chambre criminelle le 19 octobre dernier.
Par conséquent, l'inconventionnalité peut être constatée immédiatement.
Toutefois, au risque de ternir cette avancée des droits du justiciable, il ne faut pas occulter le fait que les premières 24 heures de cette mesure restent sous le contrôle du Procureur de la République, magistrat qui n'est pas indépendant au sens de la Cour Européenne des Droits de l'Homme. Cela expose la France à une condamnation (voir à ce sujet ce billet sur Crim. 15 déc. 2010). De même, la question de l'étendue de l'intervention de l'avocat persiste, puisqu'il ne peut réellement participer aux auditions.
Le combat doit donc continuer.
II. Conséquences de ces arrêts
Les arrêts de l'Assemblée Plénière ont des conséquences étranges.
Dès aujourd'hui 14 heures (le 15 avril), la personne soumise à une garde-à-vue a droit à l'assistance d'un avocat, à tout le moins une assistance plus effective qu'auparavant. Il bénéficie également de la notification de son droit de garder le silence.
En outre, le Ministère de l'Intérieur a préconisé, par circulaire, d'appliquer immédiatement la loi du 14 avril, bien qu'elle doive entrer en vigueur au 1er juin 2011.
Nous nous heurtons donc à un problème de hiérarchie des normes.
Des droits sont reconnus sur le fondement de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, et d'autres sur le fondement de la loi.
Certains médias ont pu dire que la loi nouvelle était d'application immédiate. C'est d'ailleurs ce que dit le Ministère de l'Intérieur. Or, bien entendu, c'est impossible, puisque la loi elle-même en dispose autrement.
Toutefois, il est évident que la garde-à-vue a changé de formule. La majorité des commissariats notifie au gardé-à-vue les droits prévus par la nouvelle loi. D'une certaine manière, contra legem, la loi nouvelle est appliquée immédiatement.
Pour aller plus loin:
- commentaire d'Olivier Bachelet dans la Gazette du Palais.
- [MAJ du 11 août] Voir également l'article de S. Detraz, Gaz. Pal. 27 et 28 juill. 2011, n°208 à 209, p. 12 et 13, dont le résumé est: "Les Etats adhérents à la Convention de sauvegarde des ddroits de l'homme et des libertés fondamentales sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, sans attendre d'être attaqués devant elle ni d'avoir modifié leur législation".
Article mis en ligne le 15 avril, et modifié le 19 avril et le 11 août 2011.