Annulation de scrutin et invalidation des candidats par la CENI : Quels recours possibles ? Cas de Évariste Boshab & Consorts

Publié le Modifié le 13/01/2024 Vu 4 778 fois 1
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Que comprendre de la procédure de référé -liberté initiée au Conseil d’État par les Candidats Invalidés pour les élections législatives, provinciales et communales et de suffrages ?

Que comprendre de la procédure de référé -liberté initiée au Conseil d’État par les Candidats Invalid

Annulation de scrutin et invalidation des candidats par la CENI : Quels recours possibles ?  Cas de Évariste Boshab & Consorts

 

1.    Liminaires 

La présente cogitation ne traite pas du bien-fondé ou non de la décision de la Commission Électorale Indépendante [CENI] No 001/CENI/AP/2024 du 05 janvier 2024 portant annulation des élections législatives, provinciales et communales et des suffrages dans certains bureaux et centres de vote concernant 82 personnes.

Elle essaie plutôt d’expliquer la procédure et les motivations légales de la procédure de référé -liberté choisie par les requérants Boshab Évariste, Ngobila Gentiny, Boongo Pancras, Boitakile Noel, Bolingo Denise, Boloko Bolumbu, Bompanze Freddy, Kipulu Antoinette, Kin-Key Tryphon, Mazenga Didier, Baopoko Lydie, Bakonga Willy, Moleka Jean de Dieu, Binanu Jeannot, Mbutamutu Charles et  Nsingi Pupulu ; [BOSHAB et consorts] pour rentrer dans leurs droits qu’ils estiment violentés par la décision de la CENI précitée. Ce qui est normal dans un État qui se veut de Droit comme la République Démocratique du Congo [ RDC] et d’où la présomption d’innocence est garantie par la Constitution. 

Ainsi, en application de la Constitution, tout justiciable peut contester, au cours d’une instance devant une juridiction de l’ordre administratif, l’application d’une mesure ou décision dont il estime qu’elle porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.

Dans le cadre de cette procédure – qui peut entraîner un sursis sur le rendu de tout ou partie des points de la décision–, il appartient au Conseil d’État de statuer sur les mesures urgentes appelées "referés". 

2.    Motivation de la décision d’invalidation et la procédure entreprise par les invalidés BOSHAB et consorts 

Pour justifier sa décision, par un communiqué de presse No002/CENI/2024 du 5 Janvier 2024, la CENI renseigne que la décision invalidation a été prise sur pieds des articles 29[1], 30[2] et 31[3] de la Loi organique No 13/102 du 19 avril 2023 portant organisation et fonctionnement de la CENI telle que modifiée et complétée à ce jour[4] donnant le pouvoir à la CENI de se saisir et être saisie de toute question généralement quelconque relevant de sa compétence et en délibérer, notamment de toute violation des dispositions législatives et règlementaires régissant les élections par les autorités politico-administratives, les partis politiques en compétition, les candidats, les électeurs, les observateurs et les témoins.

Toutefois, lesdits articles ne donnent pas compétence à la CENI de prendre unilatéralement une décision d’invalidation car, la compétence est d’attribution.  Et en le faisant comme c’est le cas, l’article 32 de la loi organique précitée renseigne que    
« les Membres de la CENI sont responsables de leurs actes dans les conditions du droit commun. Les décisions et actes des membres de la CENI font l’objet, suivant leur nature, de recours devant les cours et tribunaux.
 »

C’est également la réponse de Grace MUWAWA LUWUNGI dans sa réflexion intitulée « Décision de la CENI invalidant les candidats aux législatives : Les loups sont entrés dans la bergerie » quand il affirme qu’aucune de ces dispositions ne reconnaît à la CENI la compétence matérielle de prononcer l’annulation des scrutins des candidats et ajoute que cette décision de la CENI brille par un excès de pouvoir. La CENI étant une institution administrative, lorsqu’elle n’agit dans le cadre de l’accomplissement de sa mission, elle agit comme autorité administrative. Et les actes d’une autorité administrative sont de droit soumis au juge administratif qui en vérifie la légalité. Et dans le cas d’excès de pouvoir comme ici, c’est le Conseil d’État qui est compétent. [5]  

Toutefois, aux questions de la nature du contentieux, de la juridiction matériellement compétente pour connaître du contentieux d’annulation de cette décision, et de quelle procédure usitée, MUWAWA affirme qu’ « il ne s’agit ni d’un contentieux électoral, ni d’un contentieux exceptionnel, mais  d’un cas pratique d’un contentieux administratif classique. Malheureusement, ‘certains’ se sont précités à saisir directement le Conseil d’État, oubliant qu’en cas d’excès de pouvoir la procédure préalable est le recours gracieux devant l’autorité qui a pris l’acte. Face à un tel recours, le Conseil d’État ne peut que réserver une irrecevabilité »[6]Cette approche est limitative car, sans prendre ce chemin tracé, l’on peut ne pas attaquer directement la décision de la CENI mais en limiter les effets par des mesures provisoires.

C’est donc avec raison, sous réserve de respect des conditions que les invalidés dont BOSHAB et consorts ont choisi de saisir le Conseil d’État, la plus haute juridiction en matière administrative, en date du 6 janvier 2024 par la procédure de référé -liberté pour voir la décision prise par la CENI à leur encontre, être suspendue[7]

Il sied de rappeler que le référé fait partie des procédures spéciales communes aux juridictions de l'ordre administratif introduites par la loi Organique n°17/027 du 15 Octobre 2016 portant Organisation, Compétence et Fonctionnement des juridictions de l'ordre administratif, en ses articles 278 à 320.

Le référé liberté, en RDC, avec le référé-suspension, et le référé-conservatoire, sont de la catégorie des référés généraux ou référés d'urgence. Les requérants BOSHAB et Consorts en saisissant le Conseil d’État veulent que ce dernier ordonne l’anéantissement total des effets de la décision de la CENI les invalidant avec injonction à cette dernière - à ce stade - de s’en tenir qu’à la proclamation des résultats provisoires de tous les candidats aux élections législatives, provinciales et municipales y compris de tous les candidats visés par sa décision dont les effets seront anéantis.       

Ils reprochent à la CENI, sa « sénilité » du fait que de par sa décision, sans les auditionner pour confronter des accusations dénonciations venues de leurs adversaires rivaux, elle a violé leurs droits garantis par les articles 19 et 61 de la Constitution qui préconise le respect de droits de la défense et le droit de recours comme droits et libertés fondamentaux, quelles que soient les circonstances, violant ainsi leurs droits d’être élus, conformément à loi électorale. 

Qu’en décidant d’invalider certains candidats et leurs suppléants, en lieu et place de proclamer les résultats provisoires et s’en remettre aux cours et tribunaux, pour des contentieux éventuels, la CENI a commis un empiètement des pouvoirs, en pleine compilation des résultats et a remis en cause les droits d’être élu des requérants.  

Il appartient au Conseil d’État saisi de se prononcer dans 48 heures pour examiner cette requête conformément à la loi.

3.    Analyse des arguments au regard des conditions de la procédure de référé - liberté :  

Pour que cette action du groupe BOSHAB et Consorts aboutisse, le Conseil d’État examinera sa compétence à connaitre de cette affaire et ce, au regard de l’article 283 de la Loi Organique n°16/027 du 15 Octobre 2016 portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l’ordre administratifqui dispose :  ‘’Lorsqu’une décision administrative porte gravement atteinte et de manière manifestement illégale à une liberté publique et/ou fondamentale, le juge des référés saisi par une demande en référé-liberté peut ordonner toute mesure nécessaire à la sauvegarde de la liberté. Le juge des référés se prononce dans les quarante-huit heures lorsqu’il statue sur une demande en référé-liberté’’ ;

Que dans le même sens, Georges DUPUISMarie José GUEDON et Patrice CHRETIEN opinent que le référé liberté se conçoit lorsqu’il y a urgence, atteinte à une liberté fondamentale ainsi que la gravité et l’illégalité de l’atteinte (Georges DUPUISMarie José GUEDON et Patrice CHRETIEN, Droit administratif, 10ème édition, Sirey Dalloz, Paris, 2007, p.496

Il examinera ensuite s’il existe une décision administrative et dans le cas d’espèce, c’est la décision de la Commission Électorale Indépendante No 001/CENI/AP/2024 du 05 janvier 2024 portant annulation des élections législatives, provinciales et communales et des suffrages dans certains bureaux et centres de vote qui devra être scrutée. Et à ce stade, la balance penche plus du côté de la décision administrative.  Cette dernière est définie par la doctrine comme une déclaration unilatérale de volonté qui émane d’un organe de l’État agissant en vertu de la puissance publique, et qu’aux fins de réaliser une tâche administrative, a des effets juridiques externes pour un cas individuel et concret.[8]  

On notera les éléments essentiels :

-       La déclaration de volonté ;

-       L’unilatéralité

-       L’organe étatique comme auteur

-       L’usage de la puissance publique [ce qui permet de négliger les actes de droit privé ou de pure gestion]

-       La réalisation d’une tache administrative [ce qui élimine les actes juridictionnels]

-       Les effets juridiques [ce qui marque les rapports de droit créés par l’acte entre l’individu visé et l’État]

-       Les effets externes [par opposition aux actes à l’intérieur de l’administration]

-       Le cas individuel et concret [ce qui retranche de la définition le règlement et l’arrêté de portée générale]

Grace MUWAWA opine que  la CENI est une autorité[9] administrative[10] indépendante[11]S’agissant de la compétence du Conseil d'État, il ajoute que la jurisprudence et la doctrine admettent qu’il a une compétence de principe qui part de la nature administrative de l'institution et de ses décisions. Avant d'être une institution indépendante, elle est d'abord et avant tout une institution administrative. Et le contrôle juridictionnel de l'administration se fait par le juge administratif, et dans le cas précis, le Conseil d'État a effectivement compétence matérielle et sanctionne par une annulation ou par la suspension des effets d’une décision de la Commission Électorale Nationale Indépendante qui heurterait les droits fondamentaux ou les libertés publiques des particuliers.[12]

Ainsi, une décision administrative peut-être contestée de plusieurs manières, par des recours administratifs ou contentieux. En cas d’urgence, le référé-liberté permet d’obtenir du juge des référés « toutes mesures nécessaires » à la sauvegarde une liberté fondamentale à laquelle l’administration aurait porté atteinte de manière grave et manifestement illégale. Le juge se prononce dans ce cas en principe dans un délai de 48 heures. Pour ce faire, Boshab et Consorts doivent :

1.    Justifier de l’urgence à obtenir la suspension de la décision/mesure ;

2.    Montrer qu’une liberté fondamentale est en cause (ici c’est le droit au vote et d’être élu …) ;

3.    Montrer que l’atteinte portée à cette liberté est grave et manifestement illégale.

La decision du  Conseil d’État à la requête de Boshab & Consorts  etait tant attendue. 

 

Contre toute attente, en date du 11 janvier 2024, le Conseil d'État s’est déclaré incompétent pour statuer sur les recours en référés liberté déposés par une vingtaine de candidats dont les suffrages aux élections des députés nationaux, provinciaux et conseillers municipaux ont été annulés. 

 

4.    En conclusion

Les élections sont la consécration matérielle du choix du citoyen et de la participation de celui-ci- à la vie politique et à la prise de décisions. Elles confèrent au contentieux électoral qui en découle une place centrale, puisqu’il vise le renfoncement de la croyance des citoyens dans l’efficacité des règles et principes qui régissent les élections et la consolidation des régimes démocratiques, bien qu’idéalistes surtout avec les cas de fraude bien caricaturés par l’humoriste  Mamane sur la RFI concernant  les machines à voter à la maison . 

Le contentieux électoral peut rebondir après l’élection et c’est le contentieux post-électoral. De nouvelles vérifications peuvent s’instaurer. Mais tout cela doit se faire dans le respect des compétences et des procédures mais également de respect des droits garantis par la Constitution. 

Le droit de vote est un fondement de notre démocratie. Il revient aux juges de veiller à la bonne application des règles qui l’encadrent. Pour cela, la justice doit jouer son rôle.  Pour ce faire, ses décisions doivent être au-dessus de la mêlée et - en principe exemptes- d’influences extérieures et surtout clientélistes ou politiques.  En se déclarant incompétent, le Conseil d’État semble manquer une occasion de prouver qu’il est au-dessus de tout soupçon de partisannerie.     

 

Sommes-nous à l’abri de ces maux, nous n’avons plus des mots !

 

 

 

 



[1] La CENI peut se saisir de toute question relevant de sa compétence et en délibérer.
Elle peut être saisie de toute violation des dispositions législatives et réglementaires régissant des élections et/ou un referendum par les autorités politico-administratives, les partis politiques en compétition, les candidats, les électeurs, les observateurs et les témoins. Elle est saisie en la personne de son Président ou de son délégué. Dans ce cas, la requête est formulée par écrit, datée et signée par une personne ayant qualité à agir. Elle doit, sous peine d’irrecevabilité, énoncer clairement et avec précision les griefs articulés.

[2] La CENI peut, sur une question bien déterminée, entendre toute personne dont elle juge l’avis utile à l’accomplissement de sa mission.

[3] Dans l’accomplissement de sa mission, la CENI a accès aux médias publics et peut recourir à toutes les sources d’information. Les cadres de l’administration centrale et les cadres politico-administratifs des provinces et des entités territoriales décentralisées sont tenus de lui fournir tous les renseignements et de lui communiquer tous les documents dont elle peut avoir besoin.

[4] Loi organique n° 13/012 du 19 avril 2013 modifiant et complétant la loi organique n° 10/013 du 28 juillet 2010 portant organisation et fonctionnement de la Commission Électorale Nationale Indépendante

[5] Grace MUWAWA LUWUNGI dans sa réflexion intitulée « Décision de la CENI invalidant les candidats aux législatives : Les loups sont entrés dans la bergerie ». https://actualite.cd/2024/01/08/decision-de-la-ceni-invalidant-les-candidats-aux-legislatives-les-loups-sont-entres-dans

[6] Grace MUWAWA LUWUNGI, art.cit. 

[7] Pas dans le sens du référé-suspension qui permet d’obtenir la suspension de l’exécution d’une décision administrative. La mesure de suspension prononcée par le juge des référés est provisoire. Elle cesse de produire son effet dès que le juge s’est prononcé sur la demande d’annulation. Le juge des référés se prononce dans un délai variant de 48 heures à un mois ou plus en fonction de l’urgence.

[8] André Panchaud, La décision administrative, Étude comparative, in Revue Internationale de droit comparé, 1962, p 680;  Y. GAUDEMET, « Prolégomènes pour une théorie des obligations en droit administratif », in Nonagesimo anno, Mélanges en hommage à Jean Gaudemet, PUF, 1999, pp. 613 et s. 

[9] AUTORITE parce qu'elle est une institution publique dotée, de par la Constitution de la République et la loi qui l’organise, d'un pouvoir de décision unilatérale, de réglementation et de sanction.

[10] ADMINISTRATIVE, d'abord par opposition au politique et au judiciaire, ensuite parce qu'elle tire sa fonction du droit administratif c'est-à-dire remplir une mission de service public. A cet égard, les décisions, les règlements et les sanctions qu'elle prend sont des actes administratifs.

[11] INDEPENDANTE, parce qu'elle n'est placée sous l'autorité directe ou indirecte d'aucune autre institution, ni sous la tutelle du Gouvernement. Elle est dotée à la fois d'une autonomie de gestion administrative, des ressources humaines et des finances. Elle est créée par la Constitution et organisée par une loi organique. Son caractère indépendant est expressément le vœu du constituant qui la crée afin d'éviter tout interventionnisme étatique direct du Gouvernement ou d'une quelconque autre autorité. Cependant, l'indépendance d’une AAI ne signifie pas une absence de tout contrôle, et en particulier du contrôle juridictionnel. L'indépendance ne fait pas de la CENI une institution administrative libertine.

[12] MUWAWA LUWUNGI, art.cit. 

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1 Publié par Ren's
28/01/2024 17:45

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