De l’ASBL à la SPRL : équation à multiples inconnues pour les clubs sportifs Congolais ?

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De l’ASBL à la SPRL : équation à multiples inconnues pour les clubs sportifs Congolais ?

Par: Maitre YAV KATSHUNG JOSEPH

Professeur d’Université et Avocat

http://www.yavassociates.com

 

I. Liminaires

Depuis le lundi 18 janvier 2010, ce qui se disait tout bas est devenu une réalité, il reste cependant la finalisation voire la matérialisation effective de l’option prise par l’Assemblée Générale de l’équipe de football, la plus titrée de la République Démocratique du Congo (RDC).

En effet, cette équipe venait de remporter la 13ème édition de la Ligue des champions d’Afrique, renouant ainsi avec son passé glorieux, en raflant le quatrième trophée continental de son histoire, après les deux Ligues des champions, en 1967 et 1968 (la compétition s’appelait alors Coupe d’Afrique des clubs champions) et une Coupe d’Afrique des clubs vainqueurs de coupe (aujourd’hui Coupe de la Confédération), en 1980. Elle a aussi représenté l’Afrique lors de la Coupe du monde des clubs en décembre passé, aux Emirats Arabes Unis. Elle disputera au mois de février 2010, la super coupe à Lubumbashi en RDC. Il faut le faire !

Ainsi, après quatre décennies d’une longue attente, d’une descente aux enfers et d’une résurrection, c’est l’occasion que les « Maîtres corbeaux » sur leur arbre perchés trouvent propice – avec raison - de marquer le pas afin de réfléchir sur l’avenir de leur club chéri. La question centrale est donc celle du choix à faire concernant la forme juridique au regard des ambitions et opportunités de leur équipe de football, - déjà- une véritable entreprise.

Il ressort donc de l’Assemblée générale extraordinaire tenue le lundi 18 janvier 2010 dans la salle de fêtes de Kalubue Lodge à Lubumbashi et à laquelle 243 membres du club étaient présents, que le TP Mazembe, s’est mué du statut de l’Association Sans But Lucratif (ASBL) en une Société Privée à Responsablité Limitée (SPRL). Mais, il faut le reconnaître, depuis lors, des voix s’élèvent -même timidement et dans tous les sens- autour de la dissolution de l’ASBL et du pourquoi de cette mutation ; du mandat des membres présents à l’assemblée générale extraordinaire ; de la question des parts dans le TP Mazembe SPRL ; de la position de la Fédération Congolaise de Football Association (FECOFA) par rapport à ce nouveau statut de TP Mazembe ; etc….

Dans le but de lever l’équivoque, l’on a vu le trésorier et le secrétaire adjoint du club, tenir une conférence de presse à Lubumbashi, le samedi 23 janvier 2010, portant mise au point sur le nouveau statut, SPRL, de l’équipe. Tout ceci nous donne l’occasion de réfléchir sans passion, dans le cadre du Contrôle Citoyen et du droit à l’information, sur les implications socio-juridiques de cette transformation au regard des intérêts en présence. Cela est d’autant vrai car, « Il n’y a rien de plus puissant qu’une idée dont le temps est venu ». Cette observation de Victor Hugo semble pouvoir avec modestie être appliquée à notre rôle et surtout à cette réflexion.

II. Théorie de la transformation d’une ASBL en une Société Commerciale

« Panta rhei », disait Heraclite : tout change, tout coule. Crise ou pas, on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, ni dans la même époque. Au fur et à mesure de son évolution, un projet initialement encadré au sein d’une ASBL peut impliquer la création d’une nouvelle structure sous la forme d’une société commerciale ou, même dans ses cas rarissimes, engendrer sa transformation en une telle société. Mais, il sied d’abord, d’en appréhender les raisons et, ensuite, d’en explorer les différentes formes. En a-t-il été le cas lors de la transformation du TP Mazembe ? Sinon, que faire pour remettre la pendule à l’heure voire corriger le tir et ce, dans l’intérêt de tout le monde, joueurs, dirigeants, membres, supporters, sponsors, y compris la nation congolaise. Cela est d’autant vrai car, l’on a vu à maintes reprises comment les victoires de ce club, sont fêtées par tous les Congolais. Ce n’est donc pas l’affaire des seuls « Mazembiennes » et « Mazembiens », mais de tous les Congolais.

Ainsi, au delà du scepticisme, du reste normal, dans toute entreprise, disons qu’il existe multiples raisons et situations qui peuvent amener à la création d’une société commerciale à partir d’un projet d’ASBL. L’on peut cependant les classer à l’intérieur des deux catégories suivantes : la création pour raisons économiques/commerciales ; et la création pour raisons juridiques/financières.

2.1. Création pour raison économiques/commerciales


S’il est généralement admis qu’une ASBL puisse mettre en œuvre des activités commerciales et/ou industrielles à titre secondaire, on considère que de telles activités ne lui sont pas permises à titre principal. Par crainte de ne plus répondre aux dispositions légales, les dirigeants d’une ASBL voyant une activité commerciale, exercée autrefois à titre secondaire, se développer et prendre petit à petit le pas sur la finalité non lucrative de l’association pourraient décider, de manière volontaire, de poursuivre cette activité au sein d’une entité établie sous la forme d’une société commerciale.

Dans certains cas, cette décision sera dictée par la survie économique du projet. 
Notons encore que, dans certains cas, le recours à une forme de société commerciale est imposé d’emblée par l’autorité subsidiante.

2.2. Création pour raisons juridiques/financières

Sur une série de points de nature juridique, les sociétés commerciales offrent des possibilités qu’on retrouve difficilement - voire pas du tout- sous forme d’ASBL.
La possibilité pour les « associés » d’investir dans le « capital social » de l’entreprise et de recevoir en échange un droit de propriété sur l’avoir de celle-ci en est certainement le meilleur exemple.

En effet, ce mécanisme n’existe, à proprement parler, pas au sein d’une ASBL. En aucun cas, des membres qui auraient versé des moyens financiers en faveur de l’ASBL (que ce soit sous la forme de dons, de cotisations, de dons en capital...) ne pourraient se prévaloir d’un droit de propriété sur les avoirs de celle-ci. De plus, si l’on exclut les prêts ou les apports en numéraire, toute mise à disposition d’une somme par un membre à son ASBL est considérée comme définitive et ne pourra être récupérée. À l’inverse, l’« associé » d’une société commerciale ayant investi dans son capital social pourra, si les finances de celle-ci le lui permettent, se faire rembourser les sommes versées et dans certains cas même, repartir avec une plus-value. Cette donnée juridique fait, qu’au moment de consentir un investissement important, la voie de la société commerciale peut offrir une réponse plus adaptée aux demandes des initiateurs du projet.

Bref, la solution juridique la plus adaptée est sans doute celle de la mise en place d’une société civile à caractère commerciale. Le capital de cette société sera apporté, en partie par l’ASBL, en partie par les personnes physiques ou morales investissant dans le projet. Au final, chaque « associé » possède un droit de propriété sur l’avoir de la société équivalent à la part qu’il a apporté dans le capital. Suivant le statut précis de la société commerciale, celui-ci fera l’objet de différentes appellations : actionnaire, coopérateur, ...

III. Pratique de la transformation ou de la création d’une Société Commerciale

Comme relevé supra, il existe multiples raisons et situations qui peuvent amener à la création d’une société commerciale à partir d’un projet d’ASBL. Mais, il reste cependant la question de savoir comment le faire pratiquement. Faut-il dissoudre l’ASBL pour créer une société commerciale, ici du type SPRL, comme Mazembe ou faire en sorte que l’ASBL subsiste pour intégrer comme associée dans la nouvelle société commerciale ?

Il semble que l’assemblée générale extraordinaire de Mazembe ait opté pour le premier cas. À notre sens, c’est compliquer les choses pour rien au risque de se heurter à loi du sport car, bien que le football soit devenue une véritable entreprise mieux, un véritable business , le sport dans son essence, revêt une certaine spécificité reconnue par l’article 165 du Traité de Lisbonne. À ce titre, les structures commerciales permettant de gérer le côté mercantile de l’activité sportive ne pouvant pas être les mêmes que celles qui gouvernent la vie des affaires traditionnelles.

Cette règle vient du fait que seules les associations peuvent bénéficier d’une affiliation à leur fédération sportive. Un groupe sportif constitué exclusivement d’une société ne pourra, en principe, donc participer à aucune compétition. N’ont donc pas totalement tort ceux qui se pose la question « comment le TP Mazembe va-t-il fonctionner alors que le texte actuel ne reconnaît pas aux clubs de football, le statut des sociétés ? ». Nous passons ainsi en revue, les formes de combinaisons possible tout en donnant notre dévolu.

3.1. Dissolution volontaire de l’ASBL et création d’une société commerciale

Les membres et les administrateurs d’une association peuvent estimer, à un moment donné, que l’ASBL ne rencontre plus les objectifs fixés initialement, que la gestion et la coordination des activités ne sont plus possibles ou que l’objet social est devenu inutile ou sans intérêt. Toutes sortes de raisons peuvent initialiser une réflexion autour de la disparition de l’association. Lorsque la volonté de dissoudre ne fait plus de doute, il est temps pour le conseil d’administration de convoquer une assemblée générale.

Notons que cette dissolution volontaire de l’ASBL et la création d’une société commerciale est plus souvent rencontrée dans le cadre de raisons économiques /commerciales. Cette combinaison s’effectue en deux actes distincts : la dissolution de l’ASBL d’une part et la création d’une société d’autre part dont l’objet social sera le plus souvent de reprendre une partie ou l’ensemble de l’activité de l’ancienne ASBL. Il est à noter cependant que dans ce cas de figure, l’actif résultant de la dissolution de l’association ne pourra être utilisé pour la constitution du capital de départ de la société commerciale puisque l’association est obligée, au regard de la loi sur les ASBL, d’affecter cet actif à une activité similaire, non lucrative....

Mais dans le cas du TP Mazembe, il appert de la lecture des statuts de la nouvelle SPRL faite lors de l’assemblée extraordinaire précitée que le « TP Mazembe ASBL » lègue au « TP Mazembe SPRL », le Stade Mwanke situé à la commune Kamalondo, deux bus, du matériel roulant et informatique ainsi que des équipements sportifs d’une valeur de 770.000 USD. Cela est donc en violation criante de la loi et les usages sur les ASBL. Il sied donc de corriger cela car, le TP Mazembe ASBL et le TP Mazembe SPRL n’ont plus le même objet. Bien plus, pour que l’assemblée générale prenne valablement la décision de dissoudre l’ASBL, elle doit réunir 2/3 de membres présents ou représentés. L’assemblée générale détermine d’abord l’affectation de l’actif net. Cet actif ne peut être réparti entre les membres. Il doit être affecté à une fin désintéressée. Il conviendra de désigner une autre ASBL, une fondation ou un groupement ne poursuivant aucun but de lucre. Il est possible que les statuts donnent des indications sur la destination de l’actif net en cas de dissolution volontaire. L’assemblée générale est alors obligée de respecter ces indications.

Lorsque la destination de l’actif net a été déterminée, l’assemblée générale nomme le ou les liquidateurs. Les liquidateurs nommés peuvent être des associés, des administrateurs ou des tiers à l’association. L’assemblée générale précise également s’ils agissent individuellement, conjointement ou en collège. 
Par ailleurs, elle vote la décharge et la fin du mandat des administrateurs. Dès que la dissolution a été votée, l’association entre dans la phase de liquidation. L’ASBL conserve sa personnalité juridique pour les besoins de la liquidation. Les mandataires ayant pouvoir pour agir et représenter l’ASBL sont les liquidateurs. Je crains que tout ceci ait fait défaut dans le camp de Mazembe.

3.2. Création d’une société commerciale et maintien de l’ASBL

Ici, l’idée est surtout de mettre en place une structure pour soutenir l’activité de l’ASBL et pas la remplacer. Ainsi, cette combinaison semble la meilleure dans le cas du TP Mazembe et sera le plus souvent choisie dans le cadre de raisons juridiques/financières. Dans certains cas, on la rencontre également dans le cadre de raisons économiques/commerciales lorsque, par exemple, une partie seulement de l’activité initialement entreprise par l’ASBL passe au sein de la société commerciale et que l’ASBL garde l’autre partie.

Dans le cas du TP Mazembe, on pourrait en effet faire l’hypothèse que l’ASBL TP Mazembe continue à jouer son rôle de club sportif en conservant juste la partie nécessaire de l’activité sportive alors qu’une structure sous forme de société commerciale est créée à ses côtés ayant pour objet premier le commerce générale, la production, la commercialisation, etc. Juridiquement, cette combinaison correspond à la création d’une nouvelle entité juridique (la société commerciale), distincte de la première (l’ASBL) ; ces deux entités évoluant par la suite côte à côte. Même lorsque les seuils ne sont pas atteints, une association pourra constituer une société sportive ou autre pour la gestion de ses activités payantes. Cela peut se révéler particulièrement intéressant pour solidifier la santé financière des clubs et ouvrir la porte aux investisseurs privés.

Ainsi, d’une façon concrète, l’ASBL « TP Mazembe » sera associée dans « TP Mazembe SPRL » avec ses apports constitués du Stade Mwanke, deux bus, du matériel roulant et informatique ainsi que des équipements sportifs ; et les autres personnes physiques et morales – à l’instar de Moïse Katumbi, la société MCK et autres - auront le reste. Ceci sécurisera tous les membres, supporters et sponsors qui verront leurs intérêts premiers être sauvegardés par l’ASBL. Au fait, dans une SPRL, les associés ne sont pas des commerçants et qu’en conséquence, l’on ne peut exclure une ASBL d’être actionnaire ou associée dans une SPRL.

IV. En guise de conclusion.

On ne le dira jamais assez, depuis l’annonce du changement de statut, tous les regards des sportifs congolais sont tournés vers le camp du TP Mazembe « ASBL » et/ou « SPRL ». Ayant compris que le football est devenue une industrie où il est possible de créer de la valeur, le TP Mazembe a pris l’option de se métamorphoser. Cependant, comme dans toute industrie de stars (mode, banque d’affaires, etc…), le risque est que la valeur soit capturée par seulement une poignée d’acteurs, créant des frustrations pour les autres.

Ainsi, c’est une bonne chose que le TP Mazembe cherche, à l’instar d’autres clubs étrangers, de sortir d’une logique purement sportive et peu économique et d’investir de manière à générer des revenus réguliers et durables. Pour le faire, il sied que les clubs choisissent dans quelles formes juridiques ils doivent évoluer tout en définissant la nature (stades, joueurs, Internet, TV, produits dérivés, restaurants, …) et le timing (aujourd’hui, à court et moyen terme) de leurs investissements. Ils doivent en fait répondre aux questions classiques de stratégie et d’allocations de ressources posées à toute entreprise.

Au demeurant, le TP Mazembe donne par cet accouchement quelque peu à la césarienne de sa SPRL, l’occasion à tous les amoureux et clubs sportifs de la RDC, de bien faire les choses en faisant un choix judicieux entre la dissolution de l’ASBL pour créer une société commerciale ; ou faire en sorte que l’ASBL subsiste pour intégrer comme associée dans la nouvelle société commerciale. La meilleure solution, il me semble, est quelle que soit la forme de la société commerciale choisie (SAPRL, SARL, etc), que l’ASBL y soit associée, avec un degré de participation variable selon la forme sociale choisie. Cela est d’autant vrai car, en définitive, la transformation d’une ASBL en société commerciale ou la création d’une société commerciale de type SPRL, peut constituer une solution pour toute association désireuse d’entamer une activité commerciale à titre principal étant entendu qu’elle n’entend pas poursuivre l’enrichissement de ses membres. À cet effet, une analyse préalable approfondie et complète s’impose. Il est donc temps de passer du paradigme « essai-erreur » au paradigme du choix dirigé !

 

--- Documents et Sources: - Jules Heuvel, De la situation légale des Associations Sans But Lucratif en France et en Belgique, Ed. Ulan Press , 2010 et Nabu Press 2009 - Marée, M., Develtere P., Mertens, S., Raymaekers, P, Defourny, J., Meireman, K., Le secteur associatif en Belgique, Fondation Roi Baudouin, Bruxelles, 2005 - Marie Dominique Monferrand et Christophe Drot, Connaître son association pour la rendre performante : Evaluation, audit et contrôle, Ed. Juris-Service, 2005
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