Liminaires
Depuis les temps immémoriaux, les termes « Avocat » et « Publicité » ne font pas bon ménage, mais, est ce totalement justifié ? N'y a-t-il pas de compromis possible ?
De par ses obligations déontologiques, l'Avocat se doit de respecter le règlement intérieur de la Profession. La profession d'Avocat et plus précisément la pratique de la profession d'Avocat se diversifie et se complexifie. Face à cela, l'Avocat se trouve devant un dilemme en cherchant à s'afficher davantage et ce malgré une formation et une déontologie ne l'incitant pas à le faire de manière naturelle.
En République Démocratique du Congo [RDC], il est souvent reproché à tel ou tel avocat de faire de la publicité fonctionnelle en marge de l’article 63 du règlement ordre Intérieur. Qu’il me soit permis de relever simplement que dans la plupart de cas, si publicité indirecte il y a, elle n’est pas toujours fonctionnelle.
En effet, l’article 74 de l’ordonnance-loi n°79-08 du 28 septembre 1979 portant organisation du Barreau, du Corps des Défenseurs judiciaires et du Corps de Mandataires de l’Etat, interdit aux avocats « d’user de tous moyens publicitaires, sauf ce qui est strictement nécessaire pour l’information du public ».
Cette disposition pose clairement, à titre de principe, l’interdiction de la publicité à l’exception de celle strictement nécessaire pour l’information du public. C’est ainsi, écrit le Bâtonnier MBUY MBIYE, qu’est donc admissible une publicité personnelle de l’avocat, uniquement dans la stricte mesure où elle se borne à procurer au public une information dans la discrétion et la dignité.[1]
Ainsi, l’on pourrait se poser la question s’il est permis à un Avocat ou un cabinet d’Avocats de figurer dans une revue ?
La réponse doit être affirmative et sans conteste si l’information donnée par cette revue ne constitue pas une sollicitation ou un démarchage de la clientèle que prohibe l’article 63 du Règlement Intérieur du Cadre des Barreaux de la République Démocratique du Congo. Car, par sollicitation, on entend une proposition personnalisée de prestation de services effectuée par un avocat sans qu’il y ait été préalablement invité et par démarchage, on entend le fait d’offrir des services en vue de donner des consultations, de rédiger des actes en matière juridique, d’entreprendre une action judiciaire ou de provoquer à la souscription d’un contrat aux même fins, notamment en se rendant personnellement ou en envoyant un mandataire soit au domicile ou à la résidence d’une personne, soit sur les lieux de travail, de repos, de traitement ou dans un lieu public.[2]
Il faut toutefois reconnaître que la question est certes délicate et le Bâtonnier National MBUY –MBIYE lui même a donné le ton quand il écrit : «…Néanmoins, il doit être entendu que l’avenir même de la profession commande que, sans remettre en cause les principes traditionnels qui font la vertu des barreaux et des avocats, plus de réflexion soit consacrée à la question, de manière à s’adapter aux méthodes modernes de « public relation » face à l’émergence des professions concurrentes. » [3]
Avec l’évolution de la société, contrairement à une certaine idée reçue, nous faisons de la publicité mais sauf que celle-ci est très encadrée par l’Ordre qui refuse tout comportement commercial. Que ce soit sur support papier, sur la plaque apposée à l’entrée de l’immeuble du Cabinet ou depuis peu, sur l'internet, la publicité à titre individuel de l’avocat est licite. Aujourd’hui il ne fait plus aucun doute, les sites Internet sont un outil comme un autre de publicité de l’avocat.
S’agissant de la publicité individuelle, l’autorisation de principe se trouve dans nos textes, selon lesquels, « la publicité fonctionnelle destinée à faire connaître la profession d’avocat et les Ordres, relève de la compétence des organismes représentatifs de la profession ». Ainsi, toute question afférente à la réglementation de la publicité pour les avocats répond du monopole de l’Ordre pour la communication fonctionnelle, c'est-à-dire la promotion en général. Cependant, « la publicité (personnelle) est permise à l’avocat si elle procure une information au public, et si sa mise en œuvre respecte les principes essentiels de la profession. Cette publicité inclut la diffusion d’informations sur la nature des prestations de services proposées, dès lors qu’elle est exclusive de toute forme de démarchage. Cette publicité doit être véridique, respectueuse du secret professionnel et mise en œuvre avec dignité et délicatesse.
Ainsi, l’avocat est cependant tenu d’observer les devoirs que lui imposent les règles, traditions et usages professionnels, notamment envers les magistrats, les membres du Barreau et les clients. Les principes essentiels sont pour lui des devoirs impérieux. De même, l’avocat s’exprime librement dans les domaines de son choix et suivant les moyens qu’il estime appropriés. Cependant, il doit en toutes circonstances faire preuve de délicatesse, et s’interdire toute recherche de publicité contraire aux dispositions susvisées.
En droit français et belge, la publicité prohibée est soigneusement encadrée à savoir, les mentions laudatives et comparatives, les mentions relatives à l’identité des clients, ainsi que les offres personnalisées adressées à un client potentiel qui sont interdites à l’avocat. En d’autres termes, l’avocat est lié par le secret professionnel et ne saurait faire de sa « clientèle » une marque de confiance visant un démarchage commercial. De même, il ne peut citer des cabinets concurrents afin de mettre en valeur sa qualité.
Ainsi, pour ces pays, les formes de publicité autorisées à l’avocat sont les colloques, les séminaires, les cycles de formation professionnelle, les participations à un salon professionnel, les informations professionnelles. Sont de même réglementées les publicités sous formes de papier à lettres, c'est-à-dire le papier en-tête, les cartes de visites professionnelles, les plaques, les faire-parts et annonces, les plaquettes, la Certification « Management de qualité », ainsi que les insertions non publicitaire dans les annuaires professionnels.
Bien plus, la doctrine et la jurisprudence rappellent fréquemment le principe selon lequel l’avocat peut recourir à la publicité, du moment qu’il s’en tient à ce qui est nécessaire à l’information du public. Ainsi, la Cour d’appel de Reims a précisé que « la publicité reste permise, y compris par voie de presse selon la jurisprudence, si elle se borne à la nécessaire information du public et si les moyens mis en œuvre restent discrets de façon à ne pas porter atteinte à la dignité de la profession »[4]
Le Conseil de l’Ordre du barreau de Paris a, quant à lui, expliqué que, l’avocat « peut aujourd’hui mettre à la disposition du public les éléments nécessaires à son information ».[5]
Les droits humains à la rescousse de la publicité de l’Avocat ?
Enfin, la question soulevée touche aussi aux droits fondamentaux ou droits de l’homme. En effet, les droits fondamentaux introduisent une argumentation supplémentaire dans la détermination de ce qui est permis à l’avocat en matière de publicité. En effet, un certain nombre de principes à valeur fondamentale semblent s’opposer à la limitation du droit, pour l’avocat, de faire de la publicité.
En ce domaine, toute limite est en contradiction avec la liberté d’expression et de communication[6] garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des libertés et des droits fondamentaux[7].
La Cour européenne des droits de l’homme (Cour EDH) a adopté une conception extensive de la liberté de communication, considérant que celle-ci ne protège pas seulement les messages destinés à communiquer des idées, des opinions ou les messages de nature artistique mais toute forme de communication, y compris la publicité.
La Cour EDH a ainsi affirmé que la diffusion d’information de nature commerciale est protégée par le droit à la liberté d’expression.[8]
La Cour EDH a eu à connaître de la limitation apportée au droit des avocats de faire de la publicité, dans le fameux arrêt Casado Coca.[9]
Par neuf voix contre neuf, avec la voix prépondérante du président, la Commission reconnut la violation[10], estimant que la réglementation du barreau de Barcelone qui, à l’époque des faits, n’autorisait que les notices d’information relatives à l’installation du cabinet et au changement de composition, d’adresse ou de téléphone, était une restriction quasi-totale de la possibilité d’exprimer des informations par voie publicitaire.
Faut-il conclure ?
Au demeurant, les relations de l'avocat « moderne» avec la presse, avec les médias sont évidemment très différentes et ils ne sont pas les seuls à subir la « séduction» des médias, à aimer leur image. Sans doute l'avocat est-il tenu au secret professionnel. La violation du secret professionnel est un délit et aussi un manquement à sa règle déontologique . Mais, nous exposent ANDRE DAMIEN et HENRI ADER, le secret de l'avocat, s'il est absolu dans son principe, ne l'est pas dans son étendue.
Le piège nous guette donc tous: cet avocat lu, vu, entendu ne manquerait-il pas aux règles qui régissent la « publicité» personnelle?
Le temps semble loin où toute forme de publicité était interdite à l'avocat: fût-ce sur son papier à lettres, ou sur la porte de l'immeuble où il exerçait sa digne profession. Aujourd'hui, nos textes nous disent que « la publicité est permise à l'avocat dans la mesure où elle procure au public une nécessaire information. Les moyens auxquels il est recouru à cet effet sont mis en oeuvre avec discrétion, de façon à ne pas porter atteinte à la dignité de la profession ». Voici la «dignité» toujours présente, mais le domaine de la publicité « permise» ne doit –il pas être encore beaucoup étendu ?
Qu'est donc devenu cet avocat qui ne pouvait autrefois mentionner son titre sur une carte de visite, ni supporter qu'un journaliste prît sa photo dans le dessein de la publier, ni donner une interview, ni rien faire qui pu sembler, de quelque manière que ce soit, « rechercher la clientèle» en constituant les sites internet?
Aujourd'hui, simplement l'avocat doit, en toutes circonstances, se rappeler utilement le règlement intérieur de l'Ordre des Avocats, « faire preuve de délicatesse ». Mais cet avocat qui donne de « nécessaires interviews » aux journaux sur les affaires, cet avocat que l'on voit à la télévision, le plus souvent en robe, se remuant avant et après l'audience, s'occuperait-il de sa place sur ce que LUCIEN KARPIK a appelé « le marché de la réputation» ?
Veut-il se plaire à lui même, plaire à ceux qui le connaissent et peut-être travaillent avec lui? Veut-il déplaire à ceux qui lui déplaisent ? Mais tous ces soucis lui sont sans doute indifférents : il sert, en bon avocat, la cause qu'il doit défendre. Il ne manque pas à la délicatesse. Il est un avocat de son temps, un avocat efficace, et résolu. Et nous ne devons oublier ce que les médias ont souvent fait pour servir la Justice, si même il est vrai que parfois ils ont travaillé à l'injustice.[11]
Il est donc temps, que nous puissions réfléchir à froid sur la question du depart car à mon sens, il s’agit non d’une publicité mais d’une information. Quelle est alors la ligne de démarcation ? Voilà la question !
[1] MBUY – MBIYE, La profession d’Avocat au Congo, 2eme Edition, Ed. Ntobo, p.151
[2] EMERY MUKENDI WAFWANA, Avocats congolais sur Internet : information ou publicité ? in Revue Juricongo
[3] MBUY – MBIYE, op.cit., p. 143
[4] CA Reims, 23 octobre 1990, Gaz. Pal. 1991.Jur.77, note A.D ; dans le même sens, voir : CA Lyon, 14 mars 1994, Gaz. Pal. 1994.Jur.315, note J.-A. Cremades
[5] Cons. Ordre avocats Paris, précité no 4 ; adde : D. 2000.Somm.149, obs. B. Blanchard
[6] En ce sens : R. Martin, note sous Cass. civ. 1ère, 28 avril 1993, JCP G 1993.2.22114
[7] Convention Européenne des droits de l’homme
[8] Cour EDH, Markt Intern Verlag Gmbh et Klaus Beermann, 20 novembre 1989, aff. no 3/1988/147/201
[9] Cour EDH, Casado Coca c/ Espagne, 24 février 1994, aff. no 8/1993/403/481, Gaz. Pal. 1995.Jur.579, note C. Pettiti ; voir aussi : P. Lambert, « La publicité personnelle de l'avocat en marge de l'arrêt Casado Coca rendu par la Cour européenne des droits de l’homme », Gaz. Pal. 1994.Doctr.818
[10] Voir, sur la décision de la Commission EDH du 1er décembre 1992, C . Pettiti, « La liberté de publicité reconnue aux avocats dans un avis de la Commission européenne des droits de l’homme », Gaz. Pal. 1994.Doctr.39
[11] LUCIEN KARPIK, Les avocats. Entre l'État, le public, le marché. XIIIe-XXe siècle, Gallimard, 1995