Les positions sur les clauses de règlement amiable obligatoire et préalable à la saisine du juge sont discordantes et fluctuantes selon les pays et cela impose une grande rigueur dans la rédaction desdites clauses.
En effet, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
Elle est un puissant moyen de défense puisqu’elle interdit au juge saisi d’examiner le fond de l’affaire, sauf à excéder ses pouvoirs, parce que la partie qui l’invoque n’a pas à justifier d’un quelconque grief et qu’elle peut être soulevée à tout moment, sauf à devoir verser des dommages et intérêts en cas de manœuvre dilatoire.
Quelle est la situation en droit français ?
Faisant un recensement de la jurisprudence, Claudia Eyschen [2022][1] souligne que mettant fin à une opposition au sein de ses Chambres, la Chambre mixte de la Cour de cassation a jugé que « licite, la clause d’un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, dont la mise en œuvre suspend jusqu’à son issue le cours de la prescription, constitue une fin de non-recevoir qui s’impose au juge si les parties l’invoquent »[2]
Ce principe s’applique tant aux demandes principales qu’aux demandes reconventionnelles.[3]
Appliquée aux clauses de règlement amiable obligatoire et préalable à la saisine du juge, la sanction de cette fin de non-recevoir est d’autant plus forte que, désormais, la Cour de cassation la juge non régularisable en cours d’instance : si la procédure favorisant une solution du litige par le recours à un tiers n’a pas été mise en œuvre préalablement à la saisine du juge, elle ne peut plus l’être une fois qu’il a été saisi, et ce, même avant qu’il ne statue[4]. S’ajoute à cela que la résolution d’un contrat n’est pas de nature à affecter une clause de règlement amiable
Mais sous quelles conditions de telles clauses permettraient d’opposer valablement une fin de non-recevoir ?
La question s’est alors posée[5] et sur ce point, la politique menée par les différentes Chambres en la matière s’est avérée parfois difficile à cerner.
La Troisième Chambre civile a réservé dans un premier temps un large accueil aux clauses prévoyant un règlement amiable. Ont ainsi été jugées instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, dont la violation constituait dès lors une fin de non-recevoir, les clauses suivantes :
· « Pour tous les litiges pouvant survenir dans l’application du présent contrat, les parties s’engagent à solliciter l’avis d’un arbitre choisi d’un commun accord avant tout recours à une autre juridiction »[6]
· « En cas de litige portant sur le respect des clauses du présent contrat, les parties conviennent de saisir pour avis le conseil régional de l’ordre des architectes dont relève l’architecte, avant toute procédure judiciaire, sauf conservatoire ; cette saisine intervient sur l’initiative de la partie la plus diligente. »[7]
Néanmoins, dans un second temps, la Troisième Chambre civile a semblé poser quelques limites à cette faveur faite aux clauses de règlement amiable. Elle a ainsi récemment jugé que ne constituait pas une clause instituant une procédure de conciliation préalable et obligatoire la clause de style prévoyant le recours préalable à un conciliateur, rédigée de manière elliptique en termes très généraux[8], comme suit :
· « En cas de litige, les parties conviennent préalablement à toute instance judiciaire, de soumettre leur différend au conciliateur qui sera missionné par le président de la Chambre des notaires »[9]
Sur cette question, la Chambre commerciale - apparemment plus sévère- a posé en principe que « la clause contractuelle prévoyant une tentative de règlement amiable, non assortie de conditions particulières de mise en œuvre, ne constitue pas une procédure de conciliation obligatoire préalable à la saisine du juge, dont le non-respect caractérise une fin de non-recevoir s’imposant à celui-ci ».[10]
Mais, là encore, la politique de faveur faite aux clauses de règlement amiable n’a pas été sans limite. La Chambre commerciale a ainsi refusé de qualifier de fin de non-recevoir la violation de la clause suivante :
· « Les parties s’engagent à tenter de résoudre à l’amiable tout différend susceptible entre elles, à l’occasion du présent contrat, par saisine d’un médiateur à l’initiative de la partie la plus diligente, formulera une proposition de conciliation, dans le mois suivant sa saisine. Les frais de médiation seront supportés par moitié, par chacune des parties ».
Dans cette espèce, pour la Chambre commerciale, les parties au contrat s’étaient bornées à prendre l’engagement de résoudre à l’amiable tout différend par la saisine d’un médiateur, ladite clause ne désignant pas celui-ci ni ne précisant, au moins, les modalités de sa désignation.[11]
Quel est alors le champ d’application de la clause de règlement amiable dûment qualifiée ?
Ici aussi, la jurisprudence n’est pas unanime car, si l’urgence autorise, sans débat, une saisine directe des tribunaux par les parties en principe liées par une clause de règlement amiable obligatoire et préalable à la saisine du juge, le contentieux de l’exécution donne lieu à une interprétation divergente des Chambres de la Cour de cassation.
La Première Chambre civile a jugé que « la clause d’un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à toute instance judiciaire s’impose au juge, quelle que soit la nature de celle-ci ». En conséquence, elle a cassé l’arrêt de Cour d’appel qui, aux motifs que la clause de conciliation préalable ne comportait aucune disposition relative aux contestations ayant trait à l’exécution forcée de l’acte de prêt, avait cru pouvoir ordonner la poursuite de la procédure de saisie immobilière dans ses derniers errements ainsi que la vente forcée de l’immeuble[12].
A l’inverse, pour la Deuxième Chambre civile, une telle clause ne fait pas obstacle à l’accomplissement d’une mesure d’exécution forcée, en l’absence de stipulation expresse en ce sens ; dès lors, « nonobstant une telle clause, un commandement de payer valant saisie immobilière peut être délivré et le débiteur assigné à comparaître à une audience d’orientation du juge de l’exécution »[13].
En effet, sous le vocable de « clause de conciliation », la Cour de cassation vise en réalité l’ensemble des clauses de règlement amiable prévoyant l’intervention d’un tiers, par exemple : la clause imposant le recours à un arbitre ; la clause imposant de solliciter l’avis d’un tiers; la clause prévoyant le recours à l’arbitrage d’une entité désignée.
De ce qui précède, on retiendra que si les différentes Chambres de la Cour de cassation jugent parfois de solutions différentes, voire contradictoires, un point commun apparait néanmoins aux termes des décisions rendues. Il s’agit du flottement terminologique relatif aux clauses de règlement amiable obligatoire et préalable à la saisine du juge. Qu’en est-il en droit OHADA ?
Une affaire a retenu toute notre attention, il s’agit de l’arrêt n°002/2023 du 19 janvier 2023 de la CCJA dans laquelle deux sociétés ont entretenu des relations d’affaires. Celles-ci ont été matérialisées par une lettre d’intention signée par les deux parties, et dont la prestation est relative à la maintenance technique, l’entretien des charpentes, la plomberie, l’entretien des jardins, l’électricité, l’entretien et la sécurité des sites pétroliers. Les deux parties ont prévu dans leur contrat le recours obligatoire au règlement amiable de tout litige avant la saisine d’une juridiction compétente.
Après rupture du contrat de fait qui les lie, l’une des parties saisit le tribunal à l’effet d’obtenir la condamnation de l’autre partie à lui payer une certaine somme à titre de dommages et intérêts pour tous préjudices subis. Obtenant gain de cause, la société défenderesse interjette appel en soulevant l’incompétence du tribunal commercial au motif qu’au terme de l’article 19 de la lettre d’intention liant les parties, la saisine de la juridiction ne peut intervenir qu’après l’échec de la tentative du règlement amiable prévue par les parties.
La Cour d’appel rendant un arrêt confirmatif, la partie appelante forme un pourvoi en cassation devant la CCJA. Elle conteste la décision du juge du fond d’ignorer l’exception d’incompétence basée sur l’absence de tentative préalable du règlement amiable conformément aux dispositions contractuelles.
La question de droit posée à la CCJA était de savoir si le jugement, qui omet de respecter une clause de règlement amiable préalable prévue dans le contrat litigieux, est nul. La motivation de la CCJA fut en ces termes : « Attendu qu’en l’espèce, qu’il ne ressort pas des pièces du dossier de la procédure, que cette étape de règlement amiable ait été respectée ; que le tribunal, en retenant sa compétence dans le dispositif de son jugement, sans pour autant préciser dans les motifs de celui-ci, en quoi cette compétence est, en l’état, acquise, a méconnu la loi des parties ; que dès lors, il y a lieu d’annuler le jugement dont appel et, évoquant et statuant à nouveau, renvoyer les parties au respect de la procédure qu’elles ont librement choisie. »
Ainsi, désormais en droit OHADA, la décision du juge du fond, ignorant l’exception d’incompétence basée sur l’absence de tentative préalable du règlement amiable conformément aux dispositions contractuelles, est nulle car outrepassant la loi des parties.
[1] Les clauses de règlement amiable obligatoire et préalable à la saisine du juge (Chronique de jurisprudence), in Contentieux, Contrat, Focus sur, Médiation, Pratique, 15 février 2020
[2] 14 février 2003, n°00-19423 et 00-19424 ; Cf également, Com., 17 juin 2003, n°99-16001
[4] Chambre mixte, 12 décembre 2014, n°13-19684 ; Civ.3ème, 6 octobre 2016, n°15-17989 et 16 novembre 2017, n°16-24642
[5] A noter qu’une fin de non-recevoir ne saurait être soulevée en certaines hypothèses. Ainsi, interdite dans les contrats conclus entre un professionnel et un Consommateur –qui présume abusive une telle clause), la clause de règlement amiable prévue par un contrat de travail ne peut être opposée au salarié, compte tenu de l’existence en la matière d’une procédure de conciliation préliminaire et obligatoire.
[8] Dans cette affaire, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, également, avait souligné « l’absence totale de modalités de saisine du conciliateur » rendant la clause inapplicable, à telle enseigne, selon elle, que « quelque peu convaincus de cette inefficacité, les appelants ne concluent aucunement sur la mise en œuvre de cette clause ».