Liminaires
Les plaintes qui sont appelées « communications » doivent remplir deux conditions temporelles : d’une part, elles doivent faire référence à des violations survenues après ratification de la CADHP par l’État concerné et, d’autre part, elles doivent être soumises à la Commission africaine dans un délai raisonnable.
Sur le premier point relevons que la CADHP a été ratifiée par l’ensemble des États membres de l’Union africaine, mais à des dates différentes. Ainsi, si la CADHP est entrée en vigueur en 1986, elle n’était obligatoire qu’envers les États l’ayant ratifié à cette époque. Cela explique que les communications formulées à l’égard d’États africains non encore parties à la CADHP aient été rejetées : c’est le cas des communications formulées à l’encontre du Lesotho et de l’Angola , du Malawi, du Cameroun, du Kenya et du Burundi , du Ghana et de l’Ethiopie .
Par contre, lorsque les violations ont commencé avant la ratification de la CADHP et se sont poursuivies par la suite, la communication est recevable. C’est dans ce cadre que la communication 59/91, Emgba Louis Mekongo c. Cameroun a été retenue par la Commission africaine. A travers cette précision, la Commission africaine empêche les États de se dérober de leurs obligations en matière de protection des droits de l’homme.
II. Quid du « délai raisonnable » pour introduire la communication ? :
L’article 56 de la charte exige que la communication soit introduite dans un délai raisonnable, mais cette exigence reste abstraite dans la mesure où la CADHP ne précise pas ce délai.
Il s’agit d’une question qui reste à la libre appréciation des membres de la Commission africaine.
Dans une affaire 310/2005, Darfur Relief and Documentation Centre c. République du Soudan , la Commission africaine a déclaré la plainte irrecevable du fait que la communication avait été introduite dans un délai non raisonnable. En effet, une période de deux ans et cinq mois s’était écoulée entre le moment où la haute cour de l’État avait rejeté la plainte et le moment où la communication avait été soumise à la Commission africaine.
Également, dans l’affaire 308/2005, Michael Majuru c. Zimbabwe , la Commission africaine a déclaré la communication irrecevable du fait que le plaignant l’avait saisi après vingt-deux mois, même s’il a tenté de justifier ce retard par l’absence de moyens financiers et la crainte de représailles envers sa famille.
Au fil de sa jurisprudence, la Commission africaine a tenu à mettre un terme à ce vide juridique en faisant recours utile aux dispositions de la Cour européenne et de la Commission interaméricaine qui précisent qu’une plainte ne peut être introduite auprès de leurs instances, une fois le délai de six mois écoulé.
Pour déterminer ce délai, la Cour européenne prend en compte la date de l’envoie de la première communication du requérant - exposant même sommairement les faits - à condition qu’un formulaire de requête dûment rempli soit soumis dans le délai de huit semaines . Dans le cas contraire, la Cour européenne prendra en compte la date de l’envoie du formulaire de requête.
Au niveau africain, même si le délai de six mois constitue désormais le délai légal pour introduire une communication, la Commission africaine, prenant en compte les difficultés rencontrées par certaines victimes, admet la recevabilité des communications au-delà de ce délai lorsqu’il existe des motifs valables à ce retard (fuite due à la crainte de représailles, rapatriement forcé).
Tel fut le cas dans l’Affaire M. Obert Chinhamo c. Zimbabwe, la communication a été soumise devant la Commission africaine dix mois après que le plaignant se soit enfui de son pays. En raison des circonstances de l’affaire, la Commission a décidé que la communication était conforme à l’article 56(6), car « le plaignant ne réside pas dans l’État défendeur et avait besoin de temps pour s’installer… ».
III. Que conclure?
Sauf affirmer que lorsque la Commission africaine examine les communications soumises, elle use souvent d’une grande souplesse, prenant en compte les réalités africaines et les exigences internationales en matière de droits de l’homme. Il faudrait l’encourager dans cette optique afin de protéger les droits humains et des peuples.