Il est question ici des manœuvres dilatoires et non pas d’exceptions dilatoires, qui permettent de différer une réponse, suspendre une procédure, jusqu’à expiration d’un délai qui est déterminé par le juge. Ce qui nous intéresse ce sont les premières qui procèdent d’une volonté malsaine de faire obstruction au déroulement de la justice et qui apparaissent d’emblée nuisibles au bon fonctionnement de la justice. Elles représentent un véritable fléau puisqu’elles alourdissent considérablement et inutilement le rôle des juridictions. [Lire ces distinctions dans la thèse de Sonia MASSOT, Les manouvres dilatoires dans le procès civil, Université Aix Marseille, 12 décembre 2018]
Dans son ouvrage intitulé « Les Manœuvres dilatoires », Maitre Jacques MUKONGA oppose l’usage desdites manœuvres a la déontologie en soulignant qu’« il semble que la déontologie d’avocat, en ses usages, déconseille la pratique d’appel sur le banc. Mais ces usages ne sont pas très suivis ; on peut en dire qu’ils n’ont pas encore satisfait à toutes les conditions qui élèvent les usages à la dignité d’une règle de droit contraignante. Peut-être sanctionnerait-on cet appel non pas pour avoir été acté sur le banc, mais pour être dilatoire, étant déontologiquement interdit à l’avocat de retarder l’issue du procès. »
Sous un autre son, il me semble que de plus en plus, et surtout à Kinshasa en RDC, les confrères saisissent les Conseils de l’Ordre au motif que leur contradicteur a appelé une décision, selon eux, non appelable.
Je pense quant à moi que c’est mal indiqué qu’un confrère se substitue en un juge de fond pour qualifier si un jugement est préparatoire ou interlocutoire, la question elle-même divise d’ailleurs, bon nombre des doctrinaires ; qu’en suite, la question est soumise à l’appréciation du juge d’appel, lequel va départager les parties.
De mon expérience, pareille plainte - souvent cousue de toute pièce – a pour but de chercher à déstabiliser l'adversaire et/ou ses avocats bien davantage que pour dénoncer un comportement contraire à la déontologie. Cette attitude n’est pas nouvelle dans le monde des avocats car déjà, le juge CHAPUT dans l’affaire « Juneau c. Taillefer », [1992] R.J.Q. 2550, page 2567 (C.S.) l’avait relevé quand il s’exprimait en des termes semblables qui furent repris par Pierre BERNARD dans la responsabilité des avocats en matière de procédures abusives : une question complexe, (2002) 32, in la Revue de Droit de l'Université de Sherbrooke que : « .... Bien souvent ce genre de critique sera dirigé contre l'avocat qui occupe pour l'adversaire .... On est rapide parfois à se convaincre que, si cet avocat était réellement honnête, son client se rendrait bien compte qu'il n'a pas raison. On est prompt à penser que c'est lui qui impose ses choix au client et qui, surtout, lui donne de mauvais conseils, quand on ne dit pas tout simplement à son sujet qu'il fait durer le procès pour se faire encore plus d'honoraires... Se sentant ainsi attaqué et victime des manœuvres d'un avocat que l'on pense être malhonnête, il arrive que l'on s’y sente justifié d'acheminer une plainte au Barreau afin que celui-ci prenne les mesures appropriées contre un tel avocat « qui s'amuse sans aucune espèce de raison à multiplier les procédures abusives au mépris le plus évident des règles qui doivent régir la profession d'avocat ».
Mais, il sied de relever qu’en fait les choses ne sont pas si simples que cela et Jean- Louis BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, dans leur traité sur la responsabilitéś civile, 5e éd., Cowansville (Qc), Yvon Blais, 1998 à la p.137., situent bien le problème lorsqu'ils disent que : « ...Tout citoyen a le droit fondamental de s'adresser à la justice pour préserver ses droits et obtenir réparation lorsque ceux-ci on été lésés. Il est libre, dans les limites et conditions posées par la loi, d'utiliser tout recours ou remède, toute action ou procédure prévus à cet effet. La sanction normale de l'échec d'une action ou procédure judiciaire est uniquement la condamnation aux dépens. ». Le juge Chaput reprenait la même idée dans l’arrêt Juneau c. Taillefer en disant ceci : « ... Il ne saurait, en effet, y avoir abus lorsque, de bonne foi, et en ayant cause raisonnable et probable, un individu cause préjudice à autrui en recourant à la justice pour faire valoir ses droits. [Supra note 1, à la p. 2567, le juge Chaput dans son jugement se réfère à la p. 86 du traité de Baudouin, La responsabilité civile délictuelle, Cowansville (Qc), Yvon Blais., 1985.]
L’Avocat dénonciateur devrait ne fut ce que établir l’abus de procédures pour essayer de voir où peut se situer la responsabilité de l'avocat en pareil cas. Sur cette question, Maitre Yves-Marie MORISSETTE nous enseigne dans son article intitulé « L’initiative judiciaire vouée à l’échec et la responsabilité de l’avocat ou de son mandant» (1984) 44 R. du B. 397. ; qu’il n'est pas aussi évident qu'on pourrait le croire de prouver qu'une procédure est totalement sans fondement et c'est tout aussi difficile de juger que la responsabilité en revient à l'avocat.
En somme, on doit se poser les questions suivantes : qu'est-ce qui va constituer une procédure abusive et dans quels cas l'avocat devrait-il être considéré comme étant le responsable? La difficulté de trancher cette question demeure car il est particulièrement difficile de déterminer ce qu'est une procédure dilatoire, inutile ou abusive. Le problème est, en fait, de définir dans quels cas une démarche devant les tribunaux peut être qualifiée d'inutile ou de dilatoire ou carrément d'être abusive.
Puisque que c'est une des questions qui nous intéresse, qui doit alors être considéré comme devant en assumer la responsabilité? Le client ou l'avocat? À cet égard, il s’agit de considérer le rôle que l'avocat est appelé à jouer dans une affaire judiciaire, soit celui d'expert en droit et de conseiller juridique du client. Mais également son intention en usant desdites manœuvres.
On doit cependant constater que, dans la plupart des cas dans lesquels des reproches sont adressés directement à l'avocat que l'on accuse d'avoir agi de façon abusive, il va s'avérer assez difficile de réussir en pratique à prouver la présence réelle d’un comportement abusif dans l'accomplissement de ses obligations à titre d'auxiliaire de la justice, mieux de « sel de la justice ». Il y a derrière cette question particulière toute la question de la liberté d'un avocat de pouvoir soumettre en toute sécurité au tribunal toutes les questions de fait et de droit que son client entend soulever, y compris les questions qui s'avéreront par la suite dans le jugement comme mal fondées.
Nos règles déontologiques ne nous enseignent-elles pas que s'il est vrai que l'avocat doit décourager son client d'intenter une action inutile, il n'en reste pas moins qu'il n'est pas juge de l'affaire de son client et que là où il existe quelques chances de succès, l'avocat serait justifié d'entamer des procédures.
C'est d'ailleurs la conclusion à laquelle en arriva Maitre MORISSETTE dans son étude intitulée « L’initiative judiciaire vouée à l’échec et la responsabilité de l’avocat ou de son mandant» (1984) 44 R. du B. 397. » qui constata qu'il s'avérait difficile de dire qu'une action en justice n'aurait jamais dû être instituée. On pourrait dire la même chose d'une défense qui, à première vue, pourrait sembler être purement dilatoire à l'encontre d'une action en apparence bien fondée.