Dr. Joseph Yav Katshung
Liminaires
L’événement régional qui a défrayé la chronique ces deux derniers mois est incontestablement le rapport dit « Mapping » de l’ONU sur les violations massives des droits de l’homme commis en République Démocratique du Congo (RDC) entre mars 1993 et juin 2003, diffusé par les médias avant sa publication officielle le 1er octobre 2010.
Il a dès lors suscité de nombreuses réactions dans le chef des pays[i], groupes armés et personnalités pointés du doigt. Beaucoup d’eau a coulé sous le pont sur les tenants et les aboutissants de ce rapport, rejeté avec véhémence par les gouvernements du Rwanda, du Burundi et de l’Ouganda mais salué par le gouvernement de la RDC malgré quelques « hésitations » malencontreuses de fond et de forme.
C’est dans ce contexte que nous examinerons dans les points suivants, notre lecture et émettrons des avis sur l’attitude que les Congolais doivent prendre face à ce rapport. Mais avant de le faire, il est opportun de parler d’abord de la nature juridique du rapport de « Mapping » pour dissiper certains malentendus susceptibles d’en fausser la compréhension et les actions à mener.
Notion et nature juridique du rapport de « Mapping »
Disons d’entrer de jeu, que le « Mapping » est un terme anglais signifiant tout simplement en français, « cartographie ». Mené sous la gouverne du Haut Commissariat aux droits de l’homme (HCDH), ce rapport de cartographie ou de ‘Mapping’ avait un triple objectif, de dresser l’inventaire des violations les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises sur le territoire de la RDC entre mars 1993 et juin 2003 ; d’évaluer les capacités existantes du système national de justice pour traiter de façon appropriée de telles violations de droits de l’homme susceptibles de n’avoir pas été considérées et d’élaborer une série d’options destinées à aider la RDC à identifier les mécanismes appropriés de justice transitionnelle permettant de traiter les suites de ces violations en matière de vérité, de justice, de réparations et de réforme.
Un exercice de mapping est basé sur un certain nombre des prémisses méthodologiques. Il s’intéresse non seulement aux violations mais aussi aux contextes dans lesquels celles- ci ont été commises, soit au niveau d’une région spécifique ou, comme dans le cas de la RDC, sur toute l’étendue d’un pays. Un tel exercice requiert des activités diverses, notamment la collecte, l’analyse et l’évaluation des informations contenues dans de multiples rapports et documents émanant de différentes sources, des rencontres et entretiens avec des témoins, ainsi que la consultation d’experts et de consultants. Toutefois, et comme le rapport l’a bien souligné, un mapping n’est pas une fin en soi. Il demeure un exercice préliminaire susceptible de déboucher sur la formulation des mécanismes de justice transitionnelle, judiciaires ou non. Il représente une démarche essentielle qui permet d’identifier les défis, d’évaluer les besoins et de mieux cibler les interventions.
Contrairement à certaines commissions d’enquête dont le mandat requiert spécifiquement d’identifier les auteurs des violations afin de s’assurer que les responsables ont à répondre de leurs actes, l’objectif du Raport de Mapping n’est pas d’établir ou de tenter d’établir la responsabilité pénale individuelle de certains acteurs, mais plutôt d’exposer clairement la gravité des violations commises dans le but d’inciter une démarche visant à mettre fin à l’impunité[ii].
Quelle lecture faire de ce rapport de « Mapping » ?
Comme nous l’avons relevé dans l’introduction, ce rapport fait couler beaucoup d’encre et de salive. C’est avec raison car, au regard de la souffrance qu’a endurée la population congolaise, il était donc temps, que ces atrocités ne soient plus tenues sous le boisseau, même par simple devoir de mémoire.
En effet, « never again » (« plus jamais ça »), ce refrain fut utilisé par la communauté internationale pour dire non à la perpétuation des crimes odieux dans le monde ; mais il semble que cela est un slogan pieux dans le cas de la RDC. On aurait cru que les cris des enfants et des femmes de la RDC ne perçaient pas les tympans des décideurs internationaux.
C’est donc, de façon officielle, pour la première fois que ces crimes, perpétrés par une série d’acteurs divers, sont analysés en profondeur, compilés et organisés méthodiquement dans un rapport officiel de l’ONU. Ce rapport constitue un puissant rappel de la gravité des crimes commis en RDC et de l’absence choquante de justice. S’il est suivi d'une action forte menée aux niveaux national et international, il pourrait contribuer de façon cruciale à mettre un terme à l'impunité et à rompre le cercle vicieux de violence dans la région mais principalement en RDC.
Cela est d’autant vrai car, quant bien même ce rapport de cartographie n’a pas pour objectif premier d’établir les identités des auteurs présumés de ces crimes odieux commis en RDC et ayant occasionné plus de six millions de morts, il ne souffre plus d’aucun doute que désormais le chemin est balisé pour désigner enfin les vrais auteurs de ces crimes afin qu’ils répondent de leurs actes devant les instances et juridictions appropriées. En sommes-nous capables, mieux en avons-nous la volonté? Voilà une question capitale !
Que doivent faire les Congolais face à ce rapport?
Les congolais doivent saisir la balle au bond ! En effet, la publication de ce rapport de cartographie constitue un premier pas important, mais des mesures concrètes doivent être prises afin de veiller à ce que les responsables de ces agissements soient tenus de rendre des comptes. Les Congolais doivent donc pousser pour que les conclusions du rapport prennent la forme d’actions concrètes.
Pour ce faire, il sied de faire le lobbying et amener à enquêter sur les crimes atroces perpétrés en RDC, en poursuivre les auteurs présumés et accorder réparation aux victimes. Du fait qu’un constat amer est fait sur l’état du système judiciaire en RDC, il est donc logique que d’autres instances soient utilisées ou mises en place pour connaître des crimes commis par des non-nationaux, des nationaux et d’autres entités. Il y a des Congolais cités expressément dans ce rapport et qui sont promus ou occupent des fonctions importantes au niveau de l’Etat. Que faire de ces personnes et quelle image cela donne-t-il aux victimes?
Au demeurant, l’impact final de ce rapport dépendra du suivi et des relais pris par les autorités et la population congolaise. Il appartient à la RDC et à son peuple de prendre les devants dans l’élaboration et la mise en œuvre des stratégies sur la justice.
Que conclure ?
Le cycle de violence et des atteintes aux droits humains ne se brisera que si les auteurs de ces infractions au droit international répondent de leurs actes. La publication de ce rapport doit marquer le début d’un processus visant à garantir l’obligation de rendre des comptes dans la région des Grands Lacs, et non sa fin.Faisons qu’il en soit réellement ainsi!
--------------
[i] Rwanda, Burundi, Ouganda, Angola, Tchad, Zimbabwé
[ii] Toutefois, notons que le rapport identifie à quel groupe armé appartenait le ou les auteurs présumés, l’identification des groupes impliqués étant en effet indispensable pour pouvoir qualifier ces crimes juridiquement. En conséquence, toute information obtenue sur l’identité des auteurs présumés de certains des crimes répertoriés n’apparaît pas dans le rapport mais est consignée dans la base de données confidentielle du Projet remise à la Haut- Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme. Toutefois, lorsque les auteurs sont actuellement sous le coup d’un mandat d’arrêt ou ont déjà été condamnés par la justice pour des faits répertoriés dans le rapport, leur identité a été révélée. Il est à noter également que lorsque des responsables politiques ont pris, de manière publique, des positions encourageant ou suscitant les violations répertoriées, leur nom a été cité dans les paragraphes relatifs au contexte politique.
[1] Maître YAV KATSHUNG JOSEPH est Professeur à la Faculté de Droit de l’Université de Lubumbashi en RDC et Avocat au Barreau de Lubumbashi, propriétaire du Cabinet « YAV & ASSOCIATES » [www.yavassociates.com]. Il est en outre Chercheur et Consultant auprès de plusieurs institutions et organisations internationales, régionales et nationales. Il coordonne la Chaire UNESCO des Droits de l’Homme /Antenne de l’Université de Lubumbashi et préside le CONTROLE CITOYEN (www.controlecitoyen.com). Il est auteur de plusieurs livres, articles scientifiques et avis en français et anglais.
Email 1: info@joseyav.com / Email 2 : info@controlecitoyen.com /
Fax : +1 501 638 4935 /Phone : +243 81 761 3662
Website : www.joseyav.com / Website : www.controlecitoyen.com