1. Liminaires
Rappelons que lors de son premier discours sur l’état de la nation du 13 décembre 2019 en Congrès, le Président Felix TSHISEKEDI avait abordé la question de la nationalité congolaise en ces termes : « Nous sommes tous directement ou indirectement touchés par la question de la double nationalité. Beaucoup de nos membres de familles, nos amis ont acquis d’autres nationalités pour diverses raisons... J’en appelle ici à des réflexions approfondies pour nous permettre de résoudre définitivement cette question et de nous adapter à l’évolution du monde ».
Oui, l’évolution du monde mérite d’être appréciée car la mondialisation, ou plutôt le phénomène migratoire, a déstabilisé le droit de la nationalité. Et l’on peut le démontrer de plusieurs façons :
o L’individu ne conserve pas toujours la nationalité d’origine durant toute son existence ; il peut la perdre, volontairement ou involontairement, et acquérir volontairement ou involontairement une autre nationalité.
o La nationalité a perdu une part de son importance puisque certains de ses attributs ont disparu ou ont été atténués. Elle est bien moins que jadis un facteur de rattachement en droit international privé, moins que jadis également un facteur discriminant au fur et à mesure de la reconnaissance aux étrangers de droits plus nombreux.
o Ensuite, le droit de la nationalité a perdu beaucoup de son autonomie et se trouve aujourd’hui dans la dépendance et au service du droit de l’immigration. Cela s’est traduit par un repli sur soi des États, par une méfiance accrue à l’égard des entrants.
o Enfin, les sources du droit de la nationalité ont changé de nature. Le droit de la nationalité était composé jadis de règles de droit privé. JEAN FOYER affirmait que la nationalité était un élément de l’état des personnes. Aujourd’hui, même si cela reste vrai, le droit de la nationalité s’est sensiblement publicisé ou même bureaucratisé en laissant une marge d’appréciation sans doute excessive à l’Administration.
2. Que dire en droit interne congolais ?
La nationalité est une question sensible, car elle est une manifestation de la souveraineté et de l’identité d’un pays. Il n’est donc pas étonnant que les querelles autour de celle-ci aboutissent à des tensions et à des conflits.
Il est certes vrai que la nationalité est consubstantielle à la souveraineté des États, en ce que chaque État est libre de déterminer par sa législation, qui sont ses nationaux. Cependant, cette législation doit être reconnue par les autres États dans la mesure où elle est conforme aux conventions internationales, aux usages internationaux et aux principes de droit généralement reconnus en matière de nationalité.
C’est de la sorte que l’article 2 de la loi n°004/020 du 12 novembre 2004 relative à la nationalité congolaise en RDC dispose que la loi s’applique « sous réserve de l’application des conventions internationales et des principes de droit reconnus en matière de nationalité ». Aussi, le droit à une nationalité est consacré par de nombreux instruments internationaux, dont l’article 24(3) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l’article 5(d)(iii) de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, instruments ratifiés par la RDC; que, dans sa résolution 20/5 du 16 juillet 2012 sur les droits de l’homme et la privation arbitraire de la nationalité, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a engagé́ les États « à observer des normes de procédures minimales de manière à éliminer tout élément d’arbitraire des décisions touchant à l’acquisition, à la privation ou au changement de nationalité », qu’il a réaffirmé que « le droit de chacun à la nationalité est un droit fondamental de l’être humain »…
2.1. Principes fondamentaux sur la nationalité congolaise
Le législateur de 2004 a institué 2 statuts juridiques distincts en matière de la nationalité congolaise, à savoir : la nationalité congolaise d’origine et la nationalité d’acquisition.
a. La nationalité congolaise d’origine est reconnue dès la naissance à un enfant en considération de deux éléments de rattachement de l’individu à la RDC, à savoir :
· Sa filiation à l’égard de l’un ou de deux parents congolais [jus sanguinis] ;
· Son appartenance aux groupes ethniques et nationalité dont les personnes et le territoire constituaient ce qui est devenu le Congo (la RDC) à son indépendance [jus sanguinis et jus soli] ;
· Sa naissance en RDC [jus soli], dans l’hypothèse de la présomption de la nationalité́ congolaise.
b. La nationalité́ congolaise d’acquisition. L’acquisition de la nationalité congolaise se distingue de la reconnaissance de la nationalité congolaise d’origine par le fait que l’intéressé a, jusqu’au moment où il acquiert la nationalité congolaise, la qualité d’étranger. La nationalité congolaise s’acquiert par l’effet de la naturalisation, de l’option, de l’adoption, du mariage, et de naissance & résidence en RDC.
2.2. Fondement juridique du principe de l’Unicité et d’Exclusivité de la nationalité congolaise
En RDC, l’article 10 de la Constitution du 18 février 2006, telle que modifiée par la loi n°11/002 du 20 janvier 2011, a posé le principe DE L’UNICITE ET DE L’EXCLUSIVITÉ DE LA NATIONALITÉ CONGOLAISE, en considérant qu’elle ne peut être détenue concurremment avec aucune autre nationalité. Cette disposition est reprise à l’article 1erde la loi relative à la nationalité congolaise de 2004. Une de ses conséquences se trouve à l’article 26 de la même loi qui dispose que toute personne qui acquiert une nationalité étrangère perd automatiquement la nationalité congolaise.
Aussi, faut-t-il préciser le fait que les différentes constitutions qu’a connues la RDC, depuis 1960 à nos jours, ont toutes prévu et reconduit le principe de l’unicité et de l'exclusivité de la nationalité congolaise.
Il y a lieu de distinguer l’unicité d’avec l’exclusivité de la nationalité congolaise, car elles ne sont pas synonymiques, encore moins d’application cumulative. Le principe de l’unicité de la nationalité congolaiseinsinue que la RDC ne dispose que d’une seule nationalité congolaise, et non d’une nationalité plurielle, si bien qu’il ne peut y exister des sous- nationalités. Elle est certes considérée à juste titre comme un pays à dimension continentale, la RDC ne constitue pas pour autant une mosaïque d’États. Autrement dit, il n’existe pas plusieurs nationalités congolaises.
En revanche, la règle de l’exclusivité proscrit la bi nationalité ou pluri- nationalité, de telle sorte que la nationalité congolaise ne peut être détenue concurremment avec aucune autre nationalité.
A ce titre, le principe de l’exclusivité a 2 conséquences juridiques, à savoir :
· Un congolais qui acquiert une nationalité étrangère perd automatiquement la nationalité congolaise ;
· Un étranger qui veut acquérir la nationalité congolaise doit au préalable renoncer à sa nationalité d’origine ;
· Un congolais ayant perdu la nationalité congolaise, ne peut la recouvrer qu’au prix de la renonciation à la nationalité précédemment acquise.
Le principe d’unicité et d’exclusivité de la nationalité avait ainsi pour but de prévenir toute velléité sécessionniste et consolider l’indivisibilité du territoire national congolais, d‘une part, et d’autre part, de lutter contre la fracture sociale entre autochtones et Congolais d’origine étrangère, surtout à l’Est du pays, afin de garantir une coexistence pacifique entre eux et permettre aux étrangers d’alors de s’intégrer, d’être intégrés et de se sentir chez eux en RDC.
3. Cette disposition résiste-elle au temps ?
La question de l’exclusivité de la nationalité congolaise fait l’objet d’une politisation de plus en plus insupportables en RDC, à tel enseigne qu’elle est toujours sujette à des débats allant dans tous les sens dans le microcosme sociopolitique congolais en raison d’une part de son application sélective, et d’autre part, des risques d’apatridie auxquels elle expose les congolais d’origine.
Le compromis politique trouvé le 12 février 2007 - à l’Assemblée Nationale - ayant accordé un moratoire sur la mise en application du principe de l’unicité et de l’exclusivité de la nationalité congolaise, a permis à certains congolais d’occuper de hautes fonctions de l’État sans être inquiétés, alors qu’ils détenaient et continuent de détenir d’autres nationalités. Initialement prévu pour une durée de trois mois, ledit moratoire n’a jusqu’ici jamais été levé.
Ce moratoire qui élude frontalement le principe d’exclusivité de la nationalité congolaise, a ainsi permis à ces politiciens de jouir de la double nationalité de facto. Il se constate ainsi en pratique que certaines fonctions politiques sont occupées par les congolais ayant déjà acquis une nationalité étrangère.
Il est également des cas des sportifs congolais avec le concept « nationalité sportive » qui tend à avoir un régime juridique propre de nature fonctionnelle, notamment au regard des pratiques des fédérations sportives, conduit inévitablement à s’interroger sur le contenu précis de la nationalité étatique ou civile. La plupart de nos léopards évoluant dans les championnats européens sont « binationaux », possèdent des passeports congolais en bonne et due forme, et sont gracieusement traités aux frais de l’État alors que leur situation identitaire devrait les empêcher d’arborer les maillots congolais au nom du principe constitutionnel de l’exclusivité de la nationalité. Pourquoi ne pas mettre fin à cette hypocrisie d’État en reconnaissant à tous les Congolais d’origine le droit de détenir la nationalité congolaise concurremment avec d’autres.
D’autre part, l’exclusivité de la nationalité congolaise expose les Congolais d’origine ayant acquis une autre nationalité à un risque très élevé d’apatridie, étant entendu que la nationalité d’acquisition n’est pas une garantie éternelle en raison de l’éventualité de sa déchéance, laquelle constitue sans conteste une épée de Damoclès suspendue sur leurs têtes.
Dès lors, il importe de s’interroger sur le fondement justificatif du principe de l’exclusivité de la nationalité congolaise à l’ère de la mondialisation, caractérisée par une forte migration humaine, surtout que les frontières nationales tendent à disparaitre pour laisser place à un village planétaire.
Au vu de ce qui précède, le principe de l’unicité de la nationalité congolaise doit être maintenu, en ce qu’il n’est pas en inadéquation avec l’ouverture de la double nationalité. C’est plutôt le principe de l’exclusivité qui doit évoluer, car il a perdu toute sa valeur axiologique, au vu de la modernisation du droit de la nationalité, de la mondialisation, et voire de la tolérance de la double nationalité constatée sur le terrain.
4. Que conclure ?
La double nationalité est donc aujourd’hui inévitable. Il peut y être partiellement remédié en accordant au double national la faculté de renoncer à l’une de ses nationalités. La solution autoritaire serait de lui en faire obligation et, pour l’Etat qui le ferait, de retirer sa nationalité à son ressortissant qui aurait conservé son autre nationalité. Cette privation de nationalité, théoriquement possible, se heurterait cependant gravement au principe moral inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Si la double nationalité apparaît ainsi inévitable dans un monde globalisé, elle soulève de nombreux problèmes juridiques dont la solution est également l’objet de controverses. A défaut de conventions internationales, chaque État qui doit pour son propre compte résoudre les difficultés nées de la double nationalité, dans les cas où la situation juridique d’une personne dépend de sa nationalité. Il est donc temps que les réflexions sur la révision de la constitution en pipe-line puissent se pencher sur la question de la pluri-nationalité et trancher en toute responsabilité et sérieux. Cette disposition n’est pas verrouillée !