Par: Maître YAV KATSHUNG JOSEPH
La sécurité juridique et judiciaire est la pierre angulaire de l’Etat de droit et d’une économie porteuse de perspectives réelles de croissance. Elle fait cruellement défaut aujourd’hui. L’instaurer est donc une priorité absolue. (Discours du Président Joseph Kabila)
L’accès à la justice est l’une des bases primordiales sur lesquelles repose une société démocratique. Aussi, le degré de civilisation d’un peuple se mesure à la qualité de sa justice. C’est fort de cela que les juristes affirment que les palais de justice sont les hôpitaux du ‘droit malade’ . Cette formule bien connue de tout juriste moyen est aujourd’hui devenue vide de sens car, en réalité les palais de justice ne sont devenus que des ‘cimetières’ du droit, diront certains.
Si en RDC, nous disposons de textes acceptables, on ne peut cependant pas affirmer que l’administration de la justice soit exempte de toute critique. La première tient à la dépendance flagrante entre justice et pouvoir politique. C’est surtout écœurant de constater que certains opérateurs politiques, s’interposent ou empêchent l’exécution des décisions judiciaires en prenant de façon ouverte position pour l’une des parties au procès. Sur cette lancée, l’on peut déplorer les débats à l’Assemblée nationale lors de la plénière du 12 juin 2008 sur la question orale au Ministre des Affaires foncières. À ce sujet, nous avions suivi le Président de l’Assemblée demander au Ministre de faire usage de l’article 93 de la Constitution qui stipule que le ministre est responsable de son département, pour interdire ou suspendre l’exécution des décisions de justice à caractère inique en rapport avec les spoliations et autres manœuvres d’acquisition de certains biens immeubles (maisons). Heureusement que ledit ministre a rétorqué qu’il ne pouvait pas suivre la proposition de l’Assemblée car il pécherait contre l’article 151 de la même Constitution qui interdit l’ingérence du pouvoir exécutif et législatif dans les affaires judiciaires.
La seconde critique, et non des moindres, est la corruption. On assiste à un déséquilibre de la balance judiciaire, lorsque l’argent, le nerf de guerre, est mis en jeu. Ce mal absolu est à combattre à tout prix. La corruption de la justice est une grave insulte à l’intelligence collective ainsi qu’une démission de l’Etat face à ses prérogatives, au premier rang desquelles figure la nécessité impérieuse de garantir à tous, une justice équitable.
Relevons ici quelques pratiques qui corroborent cette assertion. En effet, certains avocats ont choisi de se mettre dans les réseaux avec les magistrats. Lorsque le justiciable choisit un avocat qui ne sait pas « partager ses honoraires » avec des magistrats, on lui souffle gentiment que s’il veut gagner son procès, il a tout intérêt à se séparer de son avocat ; on lui suggère un autre ou carrément un défenseur judiciaire, puisque bon marché. Ce dernier qui fait partie du réseau prend le dossier, récupère l’argent auprès de son client et va « rendre compte » au magistrat. Le procès est ainsi gagné.
Les justiciables, surtout les commerçants ou opérateurs miniers sont convaincus que pour gagner un procès, il faut sortir de l’argent. Il est presque devenu normal pour bien des clients de poser la question à leurs avocats : « combien allons-nous donner au juge ? ». C’est le cas souvent dans les « dossiers à gros sous », encore appelés « gros dossiers ». Qu’est-ce qui reste du droit dans ces conditions ? Pas grand-chose, pourrait lâcher impuissant un observateur. Parfois, le droit triomphe mais souvent l’argent et les relations l’emportent. Les protagonistes tirent bien des profits de cette situation : Villas, terrains, voitures et argent. Aussi, le manque de moralité oblige certains magistrats à se comporter en marge de la loi dans l’exercice de leurs fonctions. Pour faits civils, par exemple, certains individus sont arrêtés, détenus voire rançonnés.
Le magistrat intègre, il en existe, peut vivre une profonde frustration en face de ses collègues qui ont un train de vie largement au-dessus de leurs revenus ou de certains avocats qui font un étalage arrogant de richesses et avec qui il doit cohabiter tous les jours.
La religion de bien des citoyens est faite : Ils n’ont pas confiance en la justice, à peine le quart des conflits sont soumis à la justice. Dans l’esprit de la population, si les délinquants (bandits, voleurs, escrocs, violeurs, etc) arrêtés et remis à la justice sortent quelques jours plus tard, c’est parce qu’ils remettent de l’argent au personnel judiciaire. Aussi, bon nombre de personnes accusées ou traduites en justice, en raison de leur position financière, leur rang social ou alors leur influence politique, ne sont nullement inquiétées par la justice, et cela décourage malencontreusement les victimes qui ne se confient plus à la justice.
Cela paralyse pourtant l’accès effectif à la justice, car les victimes potentielles en des circonstances similaires se découragent bien évidemment ; car la justice devient à deux vitesses ; étant donné que d’autres auteurs placés dans les mêmes circonstances, mais sans influence politique, sans position financière ni rang social quelconque, seraient poursuivis et subiraient la rigueur même de la loi.
Bien des citoyens ont tiré la conclusion qu’il faut se faire directement justice. Autre conséquence de la corruption au sein de l’appareil judiciaire : l’insécurité pour les investisseurs étrangers qui redoutent qu’en cas de litige, leurs adversaires n’achètent les juges pour obtenir des décisions à leur détriment.
De tout ce qui précède, notons que bien que la justice ne cesse de faire la une de l’actualité, nous ne devons pas nous voiler la face, l’institution judiciaire et son environnement immédiat restent marqués par l’immobilisme, le manque de moyens, l’absence de politique ambitieuse. L’immobilisme prend plusieurs facettes, qu’il s’agisse du nombre des magistrats qui stagne malgré des dossiers de plus en plus nombreux ; qu’il s’agisse de l’aide judiciaire, notoirement insuffisante. Comme dans d’autres domaines pourtant essentiels de l’action étatique — on peut penser ici aux universités — la Justice comme institution se trouve à la fois confrontée à une pénurie persistante, à une demande sociale croissante et parfois contradictoire (par exemple sur la question de la rapidité du traitement du contentieux), etc . Il sied donc de la reformer et de la doter des moyens suffisants.
Aujourd’hui, un Etat de Droit est une société démocratique où la justice constitue un pilier majeur du développement, car cette justice, lorsqu’elle est bien rendue, est une condition inéluctable de la paix et du développement. Vertu sublime des institutions sociales de la république, la justice est un instrument qui assure la protection des droits et libertés fondamentaux des citoyens. Ainsi, ceux qui animent cette justice doivent se départir des inégalités malencontreuses dans cette protection des droits et libertés fondamentaux. C’est en fait ce qui peut même susciter une certaine confiance de la part des justiciables qui accourent à la justice.
Les magistrats sont donc appelés à faire preuve d’indépendance (l’indépendance de la justice, n’est pas une licence à l’arbitraire), vu la noblesse de la mission qui leur est confiée ; grâce à cette mission, en effet, ils contribueront à l’établissement de la paix et de la tranquillité sociales. Ainsi, l’on ne pourrait pas hésiter un seul instant qu’ils (les opérateurs judiciaires) soient effectivement indépendants.
Dr. Maître YAV KATSHUNG JOSEPH
Associates Advocates & Consultants