Le principe de l’immunité d’exécution trouve son siège, en Droit OHADA, à l’article 30 des Procédures Simplifiées de Recouvrement et des Voies d'Exécution [AUPSRVE]. [1] Cette immunité constitue en fait un obstacle procédural d’ordre personnel qui empêche le créancier d’atteindre le patrimoine de sa débitrice personne publique.[2]
Ce dont certains qualifient de revirement jurisprudentiel de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage en sigle CCJA, nous la qualifions de clarification pour éviter que des entreprises publiques et autres sociétés d’économie mixte devenues des sociétés commerciales à part entière ou apparentées, ne se réfugient derrière les immunités d’exécution consacrées par l’article 30 de l’AUPSRVE. Ainsi, la CCJA évitant que ces immunités ne soient un voile pudique et un frein à l’investissement sur le continent africain, a établi – au frottement de la pratique - une exception quant à l’appréciation de l’immunité d’exécution pour les entreprises publiques.[3]
La République Démocratique du Congo qui fête son dixième anniversaire d’accession au Traité OHADA est bien servie avec deux récents arrêts de la CCJA, tous du 03 mars 2022, sur la question et qui concernent deux de ses grandes sociétés dans lesquelles elle est unique actionnaire, nous citons : la Générale des Carrières et des Mines en sigle Gécamines ou GCM et la Société Nationale d’Électricité en sigle SNEL.
Dans la décision CCJA, N° 053/2022 du 03 mars 2022, ESTAGRI Sarl c/ SNEL SA que nous qualifions d’ « Arrêt SNEL », la CCJA a jugé : « Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir retenu, pour donner mainlevée de la saisie querellée, que la société SNEL SA était couverte par l’immunité d’exécution prévue à l’article 30 de l’Acte uniforme visé au moyen, en ce qu’elle est chargée de la gestion d’un service public et que son capital social est entièrement détenu par l’État congolais, alors, selon le moyen, que la SNEL SA a perdu son statut de personne morale de droit public, bénéficiaire de l’immunité d’exécution, dès le moment qu’elle s’est restructurée en société anonyme, conformément aux articles 385 et 386 de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, le fait qu’elle soit investie d’une mission de service public et que l’État détient la totalité de son capital social étant indifférent à sa soumission au droit privé ;
Attendu que toute entité, y compris celle appartenant à l’Etat, qui opère sous la forme d’une personne morale de droit privé au sens de l’article 1er de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, reste régie par les règles de droit privé et à ce titre, est susceptible d’exécution forcée ;
Qu’il résulte des pièces versées au dossier que la SNEL est une personne morale de droit privé et non une entreprise publique ; que le fait que l’Etat Congolais en soit l’actionnaire unique ne remet nullement en cause ce statut, lequel est conforme à l’alinéa 1er de l’article 1er de l’Acte Uniforme relatif aux Sociétés Commerciales ; que cet Acte uniforme ne réglemente pas les « entreprises publiques » mais des sociétés régies par des règles du droit des sociétés commerciales, le fait qu’un Etat-partie soit associé, même unique, d’une société créée conformément à ses dispositions ne confère pas à celle-ci le statut de personne morale de droit public ni celui d’entreprise publique ; que dès lors, en infirmant l’ordonnance querellée ayant refusé de reconnaître l’immunité d’exécution à la SNEL SA, puis en lui reconnaissant cette immunité pour les seuls motifs que l’État y est seul actionnaire et qu’elle est en charge d’un service public, la cour d’appel a commis les griefs allégués au moyen et exposé sa décision à la cassation ».
Que dans cette veine et à la même date, la CCJA a rendu une autre décision CCJA, 1ere ch., No 060/2022 que nous qualifions d’« Arrêt Gécamines », dans lequel elle se prononçait en matière d’immunité d’exécution. Pour déterminer si la Cour d’appel de Kinshasa[4] dont l’arrêt était attaqué avait statué à tort, la CCJA devait répondre à la question de savoir si une société identifiée comme entreprise publique par la législation nationale et entièrement constituée de capitaux publics, bénéficie du privilège de l’immunité d’exécution. Elle se base sur l’article 30 de l’AUPSRVE dont elle procède à l’analyse et constate que la société en question a adopté une forme de droit privé, notamment une société anonyme. La CCJA retient en conséquence que la Cour d’appel de Kinshasa- Gombe a fait une saine application du droit en refusant d’accorder l’immunité d’exécution à une société anonyme bien que son capital soit entièrement constitué de fonds publics. Le moyen qui estime le contraire mérite d’être rejeté.
De ce qui précède, il sied d’affirmer que fait une saine application de la loi, la décision qui retient qu’aucune société ne peut être à la fois anonyme et personne de droit public, et que le seul fait pour une société privée de bénéficier des subventions de l’État, ne lui confère pas l’immunité.
Que conclure ?
Sauf encourager la CCJA à demeurer constant en affirmant encore davantage que le critère fondamental qui confère ou non l'immunité d'exécution prévue à l'article 30 de l'AUPSRVE à une personne morale est la nature de son activité en fonction de la forme sociétale adoptée.
La simple présence d'un État ou d'une entité de droit public dans l'actionnariat d'une personne morale ne suffit pas à lui conférer l'immunité dès lors qu'exerçant son activité sous une forme sociétale prévue par l'Acte uniforme relatif aux sociétés commerciales (AUSCGIE), cette personne morale demeure inévitablement une entité de droit privé soumise comme telle aux voies d'exécution sur ses biens propres. En faisant cela, l’on sécuriserait les investissements qui sont nécessaires pour le développement de notre continent.
Cela est d’autant vrai car l’application du principe de l’immunité d’exécution à « l’aveuglette » ou « fourretout » a longtemps posé des problèmes pratiques variés difficilement conciliables avec les objectifs essentiels de l’OHADA.
[1] L’article 30 de l’ AUPSRVE dispose que “ L’exécution forcée et les mesures conservatoires ne sont pas applicables aux personnes qui bénéficient d’une immunité d’exécution. Toutefois les dettes certaines et liquides des personnes morales de droit public ou des entreprises publiques, quelles qu’en soient la forme et la mission donnent lieu à compensation avec les dettes certaines, liquides et exigibles dont quiconque sera tenu envers elles sous réserves de réciprocité. Les dettes des personnes énumérées à l’alinéa précédent ne peuvent être considérées comme certaines au sens des dispositions du présent article que si elles résultent d’une reconnaissance par elles de ces dettes ou d’un titre ayant un caractère exécutoire sur le territoire de l’Etat ou se situent lesdites personnes ou entreprises ».
[2] Elle ne doit être confondue au principe de l’insaisissabilité
[3]Dans le sens contraire, lire : -Cour d'appel de Commerce d'Abidjan , 1ère Chambre civile et commerciale,
[4] Décision attaquée : Arrêt R.M.U.A 598 rendu le 19 novembre 2020 par la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe