Les faits : Depuis un certain temps, la plaidoirie fait l’objet de débats houleux dans le monde judiciaire. Accusée pêle-mêle d’être inutile, rébarbative ou encore narcissique, cette prestation, qui semblait constitutive de la profession d’avocat, ne semble plus aller de soi dans des tribunaux désormais largement engorgés. Après des longues attentes lors des appels des rôles, toute la matinée, la plaidoirie allait donc être examinée, décortiquée, tant par ceux qui la disent, que par ceux qui l’écoutent. Chacun restant généralement dans son rôle : les avocats défendant l’oral, les magistrats faisant valoir leurs contraintes, en premier lieu le manque de temps d’écoute. Ainsi, l’idée de limiter le temps de plaidoirie n’est pas nouvelle mais le problème, c’est quand même la plaidoirie trop longue et redondante ! Que faire ou comment concilier les vues sans énerver les fondamentaux d’un procès équitable ?
En Droit : La plaidoirie est l’un des aspects les plus emblématiques de la pratique judiciaire et se définit comme l’exposé oral de l’argumentation juridique par un avocat devant une juridiction, dans le cadre d’un procès civil, pénal, ou administratif. La plaidoirie remplit plusieurs fonctions stratégiques dont : - convaincre le juge, humaniser le dossier, contrôler la perception des preuves et des faits, et - répondre aux arguments adverses.
Limiter le temps de plaidoirie peut être perçu comme une atteinte aux droits de la défense si les avocats n’ont pas assez de temps pour présenter tous les éléments pertinents. Si cela compromet la capacité d’une partie à présenter sa cause de manière équitable, cela pourrait être considéré comme une violation du droit à un procès équitable. Cependant, limiter le temps de plaidoirie peut aussi aider à gérer le temps et à éviter les prolongations excessives qui surchargent le système judiciaire. Si la limitation est appliquée de manière égale à toutes les parties, elle peut être vue comme une mesure équitable de gestion du temps. La clé est de trouver un équilibre entre le respect des droits de la défense et la gestion efficace du temps et des ressources judiciaires.
Par exemple, en Belgique, la Cour de cassation [Arrêt Cour de Cass., P.23.0348.N DU 14 mars 2023] a jugé qu’un temps de plaidoirie limité à 10 minutes ne violait pas les droits de la défense, car aucune loi n’accorde le droit de plaider aussi longtemps qu’on le souhaite. Aux USA, en Afrique du Sud et au Kenya, la durée des plaidoiries varie selon la juridiction et la complexité de l'affaire, avec une flexibilité pour les cas complexes, y compris en RDC.
Au total, la préoccupation managériale influence l’institution judiciaire via des principes de management public, comme la planification et l’efficacité. Bien que perçus initialement comme contraires aux principes fondamentaux de la justice, ces impératifs deviennent centraux et modifient les habitudes judiciaires. La limitation du temps de plaidoirie présente des avantages si les droits sont garantis. Sachons donc faire la part entre la « plaidoirie impérative » et la « plaidoirie facultative voire superfétatoire ». La justice gagnerait en temps ! Sinon, pourquoi ne pas penser à la visioconférence pour nos plaidoiries ? La question ne releve plus de la science-fiction. Mais elle n’est pas non plus sans inconvénient ni frein.
Me Joseph YAV KATSHUNG