Les faits : Les ministres de la justice et des finances ont signé l’Arrêté interministériel No 037/CAB/ME/MIN/J&GS/2024 et No 093/CAB/MIN/FINANCES/2024 du 20 aout 2024 qui modifie celui de 2023 portant fixation des taux des droits, taxes et redevances à percevoir à l’initiative du ministère de la justice en RDC, qui majore de façon exponentielle le taux de consignation des frais de justice et qui a une incidence sur l’accès à la justice !
En Droit : Dorénavant, le taux de consignation des frais sera de 2% des postulations du demandeur ; 5% pour les actions contre l’État ou ses démembrements, entreprises, établissements et services publics ; équivalent en FC de 50 USD pour propriété immobilière, code de la famille, recettes fiscales, douanières et non fiscales, les causes de la saisie, les litiges individuels et collectifs du travail… L’on peut lire que cet arrêté est motivé par la nécessité d’assainir le climat des affaires et de mobiliser les recettes non fiscales au profit de l’État. Mais a-t-on pesé les conséquences mercantiles sur le droit d’accès à la justice qui est une caractéristique essentielle de l’État de Droit ?
En RDC, plusieurs obstacles rendent l’accès à la justice difficile, voire impossible, pour la plupart des gens. Le risque financier lié aux frais de justice et risques de recouvrement sont pour beaucoup prohibitifs. Mettre en place un système de justice ouvert à tous, abordable et efficace devrait être la première étape à franchir dans la poursuite de l’accès à la justice comme le recommande la Politique Nationale de Réforme de la Justice 2017 - 2026 [ PNRJ]. Cette PNRJ est éloquente et précise en ses points 18, 19 et 20 entre autres que la problématique de l’accès au droit et à la justice renvoie à la question de savoir comment permettre aux personnes d’accéder à la justice en accordant une attention particulière aux plus démunis ou aux groupes en situation de vulnérabilité, soit par une solution en droit (ce qui implique d’avoir accès à un tribunal) soit par une autre modalité de résolution de conflit.
La stratégie que la PNRJ entend mettre en œuvre consiste à agir, à la fois, en soutien de la demande de justice à travers le développement de l’accès au droit et à la justice, et en soutien de l’offre de justice pour rapprocher les institutions des justiciables. Elle repose sur une vision de la justice qui, d’une part, définit l’accès au droit et à la justice à la fois comme un droit fondamental de la personne et un moyen de réduire injustices et pauvreté et qui, d’autre part, s’engage à fournir une réponse de qualité aux citoyens-demandeurs de justice dont beaucoup sont, dans ce pays, à la fois victimes de la pauvreté et en situation de particulière vulnérabilité. Cette volonté se traduit par l’adhésion à une conception extensive de l’accès au droit et à la justice qui repose sur un ensemble de dispositifs (accès au droit ; aide juridique ; aide judiciaire et règlement de conflits). Mais hélas, une large partie de la population se voit dépossédée de ce droit qui est garanti par la Constitution en ses articles 18, 19, 21, 153 et 215 ainsi que certains instruments internationaux qui imposent le respect de ce principe [Article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par la RDC le 1er novembre 1976 ; Article 7 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, ratifiée par la RDC le 20 juillet 1987].
En RDC, la justice n’est pas un service public gratuit. Les textes prévoient ainsi certain nombre de frais légaux exigibles, même si des possibilités d’exonération existent. La recevabilité des actions judiciaires est ainsi subordonnée au paiement de frais de consignation. Les frais de justice majorés constituent un obstacle important pour les justiciables souhaitant engager une action, dans un pays où le salaire minimum interprofessionnel garanti est insignifiant. Ceci est un fait indéniable !
Le problème c’est lorsque ces frais deviennent exorbitants, c’est tout le concept de l’État de Droit [pour le peu qui en reste] qui devient biaisé. Et là où le bât blesse le plus, c’est que ces ministres n’ont pas pris la peine de penser des conséquences. Au lieu de travailler d’arrache-pied pour une justice de proximité, abordable et raisonnable, on a l’impression que l’on opte pour celle inaccessible. Lorsque la justice devient impraticable, c’est tout le système judiciaire qui est déformé et détourné de son but originel. En conséquence, les plus faibles, les plus vulnérables et les moins nantis sont sans protection et écrasés par les plus riches et les plus puissants. Ce sont les comportements prohibés qui gagneront de plus en plus du terrain au détriment de la légalité. En fin de compte, c’est le retour ipso facto à la loi de la jungle où très souvent l’on se faisait justice à soi-même.
On dit souvent que l’enfer est pavé de bonnes intentions. C’est en effet bien facile de convaincre les gens qu’il faille améliorer la Justice et son accès. Mais c’est beaucoup plus difficile de les convaincre de poser des gestes concrets. Pourtant, la justice n’est pas un luxe. Au demeurant, cet arrêté va totalement à l’encontre du droit d’accès au tribunal garanti par la Constitution ainsi que du droit à un procès équitable. Si pour des raisons financières l’État sacrifie l’accès à la justice, il va menacer tôt ou tard la paix juridique. Que l’on se ressaisisse en posant des actes responsables et que cet arrêté soit rapporté ou attaqué en justice !
Me Joseph YAV KATSHUNG