Les faits : La procédure d’appel d’offres dans le secteur juridique gagne en popularité, confrontant les avocats à une nouvelle réalité pour développer leur clientèle. Cette méthode, reflet de l’évolution dans l’acquisition des services juridiques, est passée d’un « marché de l’offre » à un « marché de la demande ». À titre d’exemple, de plus en plus des entités sollicitent le service d’avocats au travers d’un appel d’offres structuré. Cependant, dans de nombreux pays, la participation des avocats à des appels d’offres, qu’ils soient publics ou privés, suscite des débats. Quelle est la situation en RDC ?
En Droit : La soumission des services des avocats au Code des marchés publics pose encore problème en RDC. L’adéquation entre les règles déontologiques des avocats et l’organisation de procédures de publicité et de mise en concurrence reste controversée. Les spécificités des services offerts par les avocats rendent parfois la réglementation des marchés publics difficilement applicable.
Certains professionnels estiment que ces procédures aggravent la concurrence, entraînent des lourdeurs administratives et font pression sur les honoraires, malgré les mécanismes permettant de rejeter les offres anormalement basses. En outre, l’intuitu personae entre l’avocat et son client ainsi que le principe de confidentialité s’accordent mal avec ces procédures. Selon Maitres WASENDA N’SONGO et MUPILA NDJIKE [2002], le démarchage et le racolage des clients sont strictement interdits. Ils soulignent que toute forme de sollicitation, directe ou indirecte, constitue une infraction déontologique. Cela soulève une question essentielle : un avocat peut-il participer à un appel d’offres pour obtenir un contrat sans violer sa déontologie ? Dès lors, accepter de répondre à une offre de soumission pourrait être perçu comme un acte contraire à l’éthique, punissable selon l’article 63 du Règlement Intérieur Cadre du Barreau [RIC]. Cependant, cette position rigide peut sembler inadaptée dans un monde en constante mutation. La non-participation aux appels d’offres, n’est-ce pas une opportunité manquée ?
Les professionnels congolais se retrouvent alors face à un dilemme : saisir cette opportunité pour élargir leur clientèle ou respecter des règles déontologiques rigides. Les textes régissant la profession, tels que la loi de 1979 et le RIC de 1987, apparaissent peu adaptés aux évolutions rapides des pratiques managériales et technologiques. Comme le souligne le bâtonnier Coco KAYUDI [2018], la profession en RDC semble ancrée dans des traditions séculaires, hésitant à adopter des approches prospectives et modernes.
Quoi qu’il en soit, il est évident que la profession d’avocat subit des transformations profondes, remettant en question certaines de ses bases historiques. La globalisation et les nouvelles dynamiques concurrentielles rendent indispensable une réflexion stratégique sur l’avenir de la profession. Les arguments contre les appels d’offres reposent principalement sur l’intuitu personae, l’indépendance et la confidentialité, qui restent également valables dans d’autres types de procédures contractuelles. Néanmoins, une modernisation des règles déontologiques s’impose pour permettre aux avocats de s’adapter à un marché en perpétuelle évolution.
Le Chatelier G. [2007] recommande d’encadrer la soumission des avocats via des procédures négociées, plus adaptées aux spécificités des services juridiques. Cette approche pourrait offrir un compromis entre respect des principes déontologiques et réponse aux exigences du marché.
En conclusion, il est urgent de moderniser le cadre réglementaire pour intégrer les appels d’offres dans les pratiques professionnelles, tout en garantissant un contrôle rigoureux. Le refus d’évoluer risquerait de fragiliser durablement la profession dans un monde où les changements sont inévitables. Le dialogue est donc nécessaire entre appels d’offres et déontologie des Avocats en RDC.
Me Joseph YAV KATSHUNG