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- Liminaires
Depuis la mise en place effective du découpage territorial avec le démembrement des provinces en République Démocratique du Congo, certains gouvernements provinciaux sont composés de dix ministres comme le stipule la Constitution en y ajoutant les Commissaires généraux du Gouvernement ayant rang de ministres et nommés par les Gouverneurs des Provinces.
Ce prolongement des gouvernements aux commissaires n’a cessé de susciter le débat autant au sein des assemblées provinciales que dans l’opinion publique. Les cas qui font jaser sont les récentes nominations des gouvernements provinciaux dans la province du Haut-Katanga et de la Ville-Province de Kinshasa avec chacun dix ministres et dix commissaires généraux du gouvernement. Ce que le Vice Premier Ministre en Charge de l’Intérieur, sécurité, décentralisation et affaires coutumières fustige dans son télégramme N°25/CAB/VPM/MININTEREDECAC/SLB/068/2024 du 28 juin 2024 s’opposant ainsi à l’investiture desdits gouvernements provinciaux et convoquant lesdits gouverneurs à Kinshasa.
La présente note se penche sur la question de la légalité de ces nominations au regard de la limite constitutionnelle du nombre des ministres provinciaux et des suites possibles pour l’harmonie des institutions nationales et provinciales.
- Que comprendre ?
A l’appui de ce télégramme, certains considèrent les nominations des commissaires généraux comme violant la Constitution, notamment son article 198 qui dispose « Le Gouvernement provincial est composé d’un Gouverneur, d’un Vice-Gouverneur et des ministres provinciaux...Les ministres provinciaux sont désignés par le Gouverneur au sein ou en dehors de l’Assemblée provinciale. La composition du Gouvernement provincial tient compte de la représentativité provinciale. Le nombre de ministres provinciaux ne peut dépasser dix… ».
Pour eux, de la lecture des arrêtés portants nominations des ministres et des commissaires, il apparaît très clairement que les deux gouverneurs précités ont intentionnellement violé les dispositions de l'alinéa 5 de l'article 198 de la Constitution et des articles 2 et 3 de la Loi n°08/012 portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des provinces du 31 juillet 2008 en nommant 10 commissaires chacun, postes qui ne sont pas prévus par la Constitution.
Ainsi, s’interrogent-ils, d’où ces gouverneurs ont-ils tiré les prérogatives de nommer au sein de leur gouvernement les Commissaires généraux qui ne sont que des ministres provinciaux déguisés car ces derniers siègent au Conseil des ministres et bénéficient des mêmes avantages.
Cela est qualifié de « raccordement frauduleux », s’analysant en une fraude à loi voire une violation de la Constitution qui a une conséquence budgétivore pour saigner le Trésor public. Ces arrêtés pris en violation de la loi devraient être annulés et qu’à défaut de le faire, les Cours d'Appel du Haut Katanga et de Kinshasa/Gombe seraient saisies pour obtenir l'annulation de ces arrêtés pris en violation de la constitution.
Mais ces critiques tiennent-elles la route ?
- Analyse des arguments en défaveur
Il faut reconnaitre que ces critiques sont légitimes mais appellent toutefois les réponses suivantes :
- Ce qui est limité à dix, c’est le nombre des Ministres Provinciaux et non le nombre des membres du Gouvernement provincial. La nuance est donc de taille !
- La question qu’il sied de se poser est la suivante : Est-ce que la nomination des animateurs des structures d’appui à l’action du Gouvernement est-elle en violation des articles 198 de la Constitution et 23 de la Loi n° 08/012 du 31 juillet 2008, portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des Provinces ?
La réponse est NON !
- Tous les arrêtés provinciaux des Provinces nomment 10 ministres comme l’exige l’article 198 de la Constitution de la RDC telle que modifiée et complétée à ce jour par la loi No 11/002 du 20 janvier 2011 ainsi que l’article 23 alinéa 5 de la Loi n° 08/012 du 31 juillet 2008, portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des Provinces, telle que modifiée et complétée par la loi n° 13/008 du 22 janvier 2013, et ;
- Quelques arrêtés provinciaux nomment des Commissaires Généraux du Gouvernement ayant rang de Ministres sans violer lesdits textes légaux. En effet, il n’y a aucune interdiction expresse à le faire et en droit, il existe un principe que « tout ce qui n'est pas interdit est permis !». De la valeur, juridique ou non, que l’on reconnaît à cette formule, dépendent la simple clôture, ou alors la complétude, de l’ordre juridique. Notons que cette maxime est parfois implicitement invoquée par le juge administratif, lorsqu’il considère que ni tel article, ni aucune autre disposition législative ou réglementaire, ni aucun principe général de droit n’interdit une action dont il doit apprécier la légalité ; autrement dit lorsqu’il se livre à une opération d’interprétation de l’ordre juridique. Or, on peut difficilement estimer qu’une telle prise de position ne constitue qu’une simple proposition de langage formulée sur l’état du droit, sans valeur juridique. Dès lors que le droit reconnaît un effet juridique aux interprétations du juge administratif, il s’agit d’une interprétation authentique, et c’est paradoxalement par le vecteur de l’interprétation que la maxime accède à la juridicité.[1]
- Notons que le choix des commissaires généraux du gouvernement est dicté par le souci de représentativité et d’efficacité de l’action du Gouvernement dans l’esprit de l’article198 alinéa 4 de la Constitution.
- Ces Provinces n’ont pas innové, elles se sont basées entre autres, sur un précèdent heureux de l’ex-Province de l’Équateur où la question s’était posée en Aout 2013 et dans d’autres, depuis le démembrement des provinces comme celles issues du Katanga,
Rappelons que dans l’ancienne Province de l’Équateur, la question des Commissaires Provinciaux s’était également posée du temps du feu Gouverneur KOYAGIALO qui nomma 10 ministres en y ajoutant 6 Commissaires provinciaux ayant rang et prérogatives des Ministres. La Cour d'Appel de Mbandaka saisie en annulation de l’Arrêté du Gouverneur, trancha qu'il y avait lieu de créer autant des réponses en vue des objectifs que des besoins. L’Assemblée provinciale avait donc en date du 18 aout 2013, investi ledit Gouvernement Provincial car ne violant pas la Constitution et ce fut le cas dans plusieurs provinces.
- Que Conclure ?
La préoccupation majeure semble être le fait que ces nominations seraient budgétivores. Il sied alors de préciser que dépenses suscitées par ces nominations émargeront au budget national et dans ce cas, l’on peut se faire des soucis. Ce qui n’est pas le cas, car leurs dépenses émargent aux budgets provinciaux.
Il y a également un autre filtre qui est celui de la « nécessité » de ces nominations. Il sied donc que les motivations soient plausibles, dans l’intérêt général et non fantaisistes ou partisanes.
S’agissant des recours contre ces nominations, certains opinent qu’il faille attaquer les arrêtés des gouverneurs en inconstitutionnalité. Ils oublient que le champ de l’inconstitutionnalité étant restreint, cette voie leur est fermée car les actes ou arrêtés du Gouverneur de Province sont seulement susceptibles de recours en annulation pour violation de la loi et des règlements nationaux auprès de la Cour Administrative d'Appel et ce, au regard de l’article 74 de la Loi n° 08/012 du 31 juillet 2008, portant principes fondamentaux relatifs à la libre administration des Provinces.
Notons que la politique semble primer sur le droit et les gouverneurs ont été sommés de ne constituer leurs gouvernements provinciaux que de dix ministres et ceux qui avaient nommés les commissaires avec rang des ministres, contraints à rapporter leurs arrêtés pour ne pas énerver la décision politique du ministre de l’Intérieur. Ce qui n’est pas correct car il faut le souligner, le recours à la décentralisation serait en effet inutile si le pouvoir central pouvait s'immixer dans la gestion des provinces et entités territoriales décentralisées ou substituer ses propres décisions à celles des autorités décentralisées. Les pouvoirs de tutelle et de contrôle n'existent que dans les cas expressément prévus par la loi et les dispositions qui les établissent sont de stricte interprétation. L'autonomie des organes décentralisés constitue donc la règle tandis que les contrôles apparaissent comme l'exception dans une société démocratique afin d’assurer l’État de Droit !
[1] Lire à cet effet, Groulier, Cédric. « Tolérer n’est pas permettre, de la distinction de la tolérance et de la permissivité en droit ». Tolérance & Droit, édité par Xavier Bioy et al., Presses de l’Université Toulouse Capitole, 2013.