Les faits : Le plagiat, longtemps perçu comme un fléau académique, prend une dimension encore plus préoccupante lorsqu’il implique des personnalités publiques et des discours officiels. En RDC, un récent incident impliquant un Ministre est à la une. Son discours, qui reprend sans attribution des extraits célèbres de figures historiques, interroge sur le respect du droit d’auteur et de la propriété intellectuelle dans les communications officielles- surtout orales.
Une note y a été consacrée intitulée « Le plagiat en droit congolais de la propriété intellectuelle » dans Les Brèves Juridiques sous No 203. Mais le développement fait en droit, laisse plus d’un sur la soif au regard de la complexité du cas sous examen qui a conduit à une suspension d’un agent du ministère et la polémique est d’autant plus grande que le ministère a tenté de s’excuser, mais a commis des erreurs supplémentaires dans ses références. Qu’en dire de plus en droit ?
En Droit : Le Vocabulaire Cornu [2024] renseigne que le plagiat est l’« appropriation illicite de tout ou partie de l’œuvre d’autrui », ce qui constitue un « acte constitutif du délit de contrefaçon ». Le droit d’auteur protège les œuvres littéraires et artistiques, y compris les œuvres orales, pour autant qu’elles soient mises en forme et originales.
En RDC, c’est l’Ordonnance-loi n°86-033 du 5 avril 1986 portant protection des droits d’auteurs et droits voisins, qui régit la protection des œuvres de l’esprit. Bien plus, selon la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, alias la « Convention de Berne » adoptée en 1886, à laquelle la RDC est membre depuis 1960, les œuvres orales telles que les conférences, allocutions, sermons et autres œuvres similaires sont protégées par le droit d’auteur [article 2]. Ainsi, un discours, en tant qu’enchainement de mots et de phrases, constitue bel et bien une œuvre protégeable au sens du droit d’auteur.
Sur le principe donc, la protection d’un discours par le droit d’auteur ne fait pas débat. Pour qu’un discours soit protégé, il doit répondre à deux critères : 1. Originalité : Seules les œuvres originales, résultant de choix créatifs et libres de leurs auteurs, sont protégées par le droit d’auteur. Les extraits de discours empruntés par le Ministre de la Défense, satisfont à cette condition et, 2. Mise en forme : Le discours doit être mis en forme, ce qui signifie qu’il a été prononcé en public ou documenté sous une autre forme, comme dans des ouvrages, vidéos ou films enregistrés. Les discours en question répondent à ces critères, et sont donc protégés par le droit d’auteur.
En reprenant et prononçant mot pour mot certaines parties des discours de divers auteurs sans les citer, le Ministre a commis un acte de contrefaçon, à moins que ces auteurs ne soient pas les créateurs des discours en question. Quod Non !
Pouvons-nous considérer que ces discours dont les extraits ont été tirés sont tombés dans le domaine public ; en ce cas, le ministre sera-t-il dédouané ? Une œuvre devient libre de droit que seulement si elle tombe dans le domaine public ou si l’auteur y renonce par ce que l’on appelle de « Licence Creative Commons » [CC], traduit littéralement par « biens créatifs en commun », un outil juridique permettant d’accorder par avance la permission d’utiliser une œuvre de diverses façons, tout en restant conforme aux législations nationales sur le droit d’auteur.
En RDC une œuvre entre dans le domaine public, 50 ans après la mort de son auteur. Mais en France comme aux USA, par exemple, une œuvre entre dans le domaine public le 1er janvier suivant le 70e anniversaire de la mort de son auteur. On peut alors la reproduire librement, à partir du moment où le droit moral de l’auteur - qui lui est perpétuel- est respecté, notamment par la mention de son nom. Si le Ministre avait puisé dans le discours d’une personnalité politique morte il y a plus de 70 ans, il aurait dû tout de même citer son nom. Ne pas le faire, c’est de la triche !
Cela peut non seulement entacher la crédibilité de l’orateur, le sérieux de son cabinet mais aussi compromettre l’intégrité des institutions qu’il représente. La question devient encore compliquée à l’ère du numérique et de l’IA pour protéger efficacement les droits d’auteur et assurer une attribution correcte des œuvres.
Me Joseph YAV KATSHUNG