1. Liminaires
Il est connu de tous que les États sont en quête perpétuelle d’améliorer leur climat des affaires. Ainsi, le climat des affaires fait référence à l'environnement institutionnel du « business » dans un pays donné. Sur le plan opérationnel, il s'agit donc des facteurs localisables qui créent un cadre favorable et qui incitent les firmes à investir et à créer des emplois.[1]
De manière générale, une économie bénéficie d'un bon climat des affaires lorsqu'elle est stable, ouverte économiquement et politiquement ; elle doit également faire preuve d'un système de régulation efficient, transparent et effectif, avec une disponibilité des infrastructures facilitant le déroulement des activités économiques.[2]
Ainsi, l'environnement dans lequel opèrent les entreprises influe fortement sur leur niveau d'activités et leur compétitivité et c’est la raison pour laquelle, en République Démocratique du Congo, la Fédération des Entreprises du Congo [FEC], principale organisation patronale et professionnelle s’engage aux côtés du Gouvernement pour faire bouger les lignes surtout à la fin de l’année, période enclin à plusieurs spéculations dans le chef des entreprises et missions de contrôle de toute nature de la part de l’administration qui frisent, la tracasserie car, motivées le plus souvent par la chasse aux primes contentieuses et autres « Madesu ya Bana »[3].Tout cela ayant un effet induit sur le social de la population.
C’est ainsi que depuis plusieurs années, saisi par la FEC, le Gouvernement de la République accorde la suspension des missions de contrôle durant les périodes des fêtes de fin d’années. Mais là où le bât blesse, c’est le flou que crée l’application desdites suspensions des missions de contrôle qui semble poser des problèmes et jette le pavé dans la marre du climat des affaires et du « sachet[4] de la ménagère ».
2. Autorité compétente et contours de la suspension temporaire des missions de contrôle auprès des entreprises en RDC
Comme les années précédentes, dans le cadre du processus de l’amélioration du climat des affaires en RDC et en vue de permettre aux Opérateurs économiques du pays de travailler dans un climat de sérénité en général, durant la période de festivité de fin d’année 2022, et de se consacrer à l’approvisionnement du pays en produits de grande consommation à des prix accessibles à la population en particulier, le Premier Ministre a décidé, par sa lettre référencée No CAB/PM/DIRCAB/CLIMAF/MAA/2022/2563 du 14 décembre 2022, d’un moratoire sur toutes les missions de contrôles de tout genre effectuées par différents services de l’Etat auprès des opérateurs économiques dans la période allant du 14 décembre 2022 au 14 février 2023.
Cette décision de suspension temporaire prise par le Premier Ministre est claire quant aux destinataires, aux matières ou domaines concernés et a la durée, ne devant pas appeler spéculation ni interprétation, sauf rébellion.
Il s’agit pour :
· Les destinataires, les vice-Premiers ministres, les ministres d’État, les Ministres et les vice-ministres de tous les secteurs ;
· La nature des contrôles, Économiques et Fiscaux de routine
· La durée de suspension : 14 décembre 2022 au 14 février 2023.
Cette suspension temporaire soit-elle, n’est toutefois pas un chèque en blanc à l’impunité ou à la fraude et c’est dans ce sens que la lettre du Premier Ministre, souligne expressis verbis qu’ « en cas d’existence d’indice sérieux de fraude qui nécessite un contrôle, une dérogation spéciale et motivée devra être sollicitée. Un contrôle autorisé doit impérativement pouvoir s’effectuer dans le respect des lois et règlements en vigueur afin de permettre à l’État de rentrer dans ses droits ».
De ce qui précède, cette décision de suspension des missions de contrôle concerne tout contrôle c’est-à-dire, à caractère fiscal, parafiscal et économique durant la période festive et s’impose à tous, d’où la formule : « …Vous invite donc à veiller au strict respect de cette décision ». Aucun ministère ni aucune administration ne peuvent déroger à cette décision même en cas de fraude, sans une dérogation spéciale et motivée accordée par le Premier Ministre.
3. L’application de la Suspension des missions de contrôle face aux impératifs de la mobilisation de recettes et interprétation du Ministère des Finances: Que comprendre ?
Il nous revient que la décision a quo du Premier Ministre enjoignant aux membres du gouvernement son application sans faille, tel que relevé supra, semble, selon une certaine opinion poser des problèmes et qui pense que le gouvernement souffle le chaud et le froid. Tantôt, il fixe les assignations aux régies financières leur demandant de mobiliser le plus de recettes, tantôt, il bloque les mêmes régies financières et services en leur interdisant de contraindre les assujettis de mauvaise foi. [5]
C’est dans ce sens que les syndicalistes des régies financières ont interpellé le Ministère des Finances, relevant que cette décision entraînerait un manque à gagner énorme pour le pays et le risque sur la chute des recettes. Cette crainte qui parait – à première vue - fondée ne résistera toutefois pas à la critique.
En effet, les régies financières n’ont pas que comme tache, les contrôles pour se lamenter de leur inactivité temporaire qui peut impacter négativement leurs assignations dans la mobilisation des recettes ; tant qu’il est vrai que le système congolais est déclaratif et ces contrôles pourront se faire à tout moment, s’il échet.
Malheureusement, en date du 28 décembre 2022, par sa lettre CAB/MIN/FINANCES/ECO/NSW/2022 adressée aux Directeurs généraux des régies financières DGDA, DGI et DGRAD, le Ministre des Finances écrit au sujet des missions de contrôle ce qui suit : « … Que subsidiairement à la lettre du Premier Ministre …et après clarifications obtenues de lui, je vous informe que seules les missions de contrôle diligentées par le Ministère de l’Économie Nationale auprès des opérateurs économiques sont suspendues. Par conséquent, les autres missions, notamment celles programmées et diligentées par les régies financières, ne sont pas concernées par la suspension de doivent se poursuivre normalement… » [sic]
Cette lettre du Ministre des Finances semble énerver plusieurs règles allant de la chaine de commandement jusqu’à l’insécurité qu’elle créée en passant par la non orthodoxie des normes hiérarchisées.
En effet, rien n’est dit si le problème fut soumis au Conseil des ministres car la décision du Premier ministre accordant la suspension temporaire des contrôles le fut. Dans cette veine, la clarification devrait - à tout le moins - venir de l’autorité ayant pris cette décision et ce, dans le respect du parallélisme de forme. Une simple lettre du Ministre des Finances, comme c’est le cas est non avenue en droit car énerve le principe du pouvoir hiérarchique qui participe de la cohérence de l’action publique mai également de la hiérarchie des textes, ce d’autant plus qu’une autorité inférieure [Ministre sectoriel] ne peut interpréter la décision d'une autorité supérieure [Premier ministre] sans en avoir mandat. Quelle est la force probante de cette lettre du Ministre des Finances interprétant, la décision du Premier Ministre ? Voilà que la sérénité du climat des affaires est mise en danger en RDC et ce, par et à travers certains actes qui semblent être bénins mais lourds de conséquence sur le « Doing Business in Congo ».
4. Que conclure ?
Sauf dire que le climat des affaires semble avoir pris un coup en cette fin d’année 2022, avec la cacophonie instituée par les lettres du Premier Ministre et de son Ministre des Finances. Si pour le premier, elle date du 14 décembre 2022, après quatorze jours juste et avant que 2022 ne sonne le glas, le Ministre des Finances s’invite pour clarifier la portée de la décision de son Chef, sans en apporter la preuve du mandat ni de sa compétence d’attribution, laissant les Congolais lambda dans le désarroi.
Pour notre part, si réellement il y avait risque de l’interprétation biaisée de l’instruction du Premier Ministre comme ayant une portée plus grande, l’on devrait recourir aux usages en la matière et sur cette question, le premier Ministre Bruno Tshibala avait décidé de suspendre « tous les contrôles tracassiers auprès des opérateurs économiques pour une période déterminée, à l’exception des vérifications fiscales au premier degré diligentés par la Direction générale des impôts ». Même sans cela, la décision du Premier Ministre SAMA LUKONDE s’est montrée prudente en précisant quelques exceptions à la mesure : « En cas d’existence d’indice sérieux de fraude qui nécessité un contrôle, une dérogation spéciale et motivée et un tel contrôle autorisé doit impérativement s’effectuer pour permettre à l’État de rentrer dans ses droits ». En somme, il faut obtenir préalablement une dérogation pour mener ce contrôle net ; donc pas nécessaire de chercher une interprétation qui semble enlever toute la saveur à la période festive.
Cette décision de suspension temporaire prise par le Premier Ministre demeure claire quant aux destinataires, aux matières ou domaines concernés et à la durée, et ne devant pas appeler spéculation ni interprétation, sauf rébellion.
Vivement que cesse cette cacophonie insécurisante !
[1] Sur le plan opérationnel, le climat des affaires se conçoit comme l'environnement politique, économique, institutionnel et comportemental, présent et futur, qui affecte la rentabilité et les risques associés aux investissements.
[2] Nations Unies, Rapport sur l'amélioration du climat des affaires en Afrique centrale, 2021
[3] Il existe tout une diversité des vocables désignant les pratiques corruptives. A titre indicatif, on peut reprendre : coopération, coop (contraction de coopération), madesu ya bana (littéralement les haricots pour les enfants), solola bien (littéralement parles bien), etc. Pour plus d’expression désignant la corruption ou les pratiques corruptives, lire : Kodila Tedika, Oasis, Anatomie de la Corruption en République Démocratique du Congo , Université de Kinshasa, Institute of African Economics, 4 January 2013
[4] L’expression est le “panier de la ménagère” qui est transformée en “ sachet de la ménagère » au regard de la paupérisation de la population et tout le monde se retrouve avec un sachet, sac en plastique, pour y transporter les menus fretins du soir. Ainsi, passer aujourd’hui du sachet de la ménagère au panier de la ménagère relève d’un défi.
[5] Kokolo Jean, Tollé général après le moratoire des 60 jours décidé par Sama Lukonde sur les contrôles économiques et fiscaux, https://ouragan.cd/2022/12/tolle-general-apres-le-moratoire-des-60-jours-decide-par-sama-lukonde-sur-les-controles-economiques-et-fiscaux