Les faits : Lors de la 16ème réunion du Conseil des Ministres qui s’est tenue le 4 octobre 2024, le Ministre des Finances a soumis, parmi d’autres réformes visant à améliorer la gestion de la trésorerie et de la comptabilité publique en RDC, le Projet de Décret visant à modifier et à compléter le Décret n°23/17 du 31 mai 2023 établissant le champ d'application, la structure et le fonctionnement du Compte Unique du Trésor [CUT]. Il ressort du communiqué que la mise en place du CUT permettra de centraliser toutes les ressources de l’État, assurant une gestion efficace de la trésorerie, limitant la dispersion des fonds et réduisant les coûts d’endettement. Mais cet objectif sera-t-il atteint si l’on sait que les dépassements budgétaires sont devenus la norme ? N’est-ce pas une façon « policée » de centraliser pour mieux dépenser sans limites ni orthodoxie voire contrôle ?
En Droit : Le but de la gestion de trésorerie est généralement compris comme étant d’avoir «la bonne somme d’argent au bon endroit au bon moment pour répondre aux obligations du gouvernement de la manière la plus rentable » [Storkey, 2003]. Toutefois, en RDC, la situation est très différente. Face à des déséquilibres entre le montant des liquidités que le gouvernement a dans ses comptes et les demandes de payement des factures courantes et des arriérés, « avoir de l’argent au bon endroit et au bon moment » semble être une proposition très attrayante mais très ambitieuse. Cela est d’autant vrai car, bien que certains crédits budgétaires soient limitatifs, on assiste à des dépassements. Ce paradoxe ne peut qu’engendrer des conséquences néfastes pour la gouvernance financière.
En théorie générale des Finances publiques, tous les fonds publics doivent normalement être déposés dans un compte unique de l’État. C’est une des conséquences de la règle de l’universalité budgétaire et de la règle de l’unité de caisse/ de trésorerie. Diverses conditions préalables sont cependant nécessaires à son opérationnalisation. A ne citer que le cadre juridique et le système de gestion de la trésorerie qui devraient être adaptés à ses spécificités. En attendant le décret modifié, notons que sur le plan réglementaire, avec le CUT, aucune entorse à la loi n’est faite, car la loi N°11/011 du 13 juillet 2011 relative aux Finances Publiques, prévoit un compte unique pour le pouvoir central et un pour chaque province. Mais dans la pratique, les fonds publics sont logés dans plusieurs comptes des banques commerciales et plusieurs rapports d’enquêtes ont relevé des malversations financières énormes, commises dans la gestion des dites ressources.
Même avec l’établissement du Compte Unique, faisons que l’État n’utilise plus les ressources comme il veut, il devra respecter la règle de la spécialité des crédits et de l’affectation des ressources à des dépenses bien déterminées. Toutefois, dans sa mise en œuvre, la reforme risque de manquer d’atteindre les objectifs espérés pour des raisons tant politiques que techniques. C’est un défi auquel la RDC devra faire face, surtout avec la culture de dépassement budgétaire qui a élu domicile à tous les niveaux et qui est une violation de la loi des finances [la LOFIP] partant, une faute de gestion.
Quelle thérapie faut-il contre les dépassements de crédits limitatifs ? La question peut paraître saugrenue, étant donné que des réponses se trouvent dans l’ordonnancement juridique congolais. On pourrait donc, avec un peu d’humour, à l’instar de René Stourm [1898], affirmer qu’« il existe une[…]solution, [qui] consisterait à réformer les mœurs plutôt que les lois, de sorte que, sans coercition, sans règlement, par inclination spontanée en faveur du bon ordre et de la régularité, conformément aux vœux nouveaux de l’opinion publique, les ordonnateurs s’attacheraient désormais à respecter scrupuleusement les prescriptions budgétaires. Ce serait l’idéal, un idéal peut être invraisemblable … »
Me Joseph YAV KATSHUNG