1. Les faits :
La question du secret professionnel qui lie les avocats à leurs clients s’est trouvée portée sur la scène médiatique à l’occasion d’écoutes de conversations entre un avocat, Thierry Herzog et son client, Nicolas Sarkozy, ancien Président de la République et avocat lui-même. Dans un post sur Linkedin, Maitre Arnaud DUPIN, nous interpelle en ces termes : « En ce 24 décembre, j’ai une pensée pour Me Thierry Herzog condamné à trois ans d’interdiction d’exercice… Il fait les frais de l’abdication des avocats à défendre le secret professionnel. On sacrifie un ténor sur l’autel de l’injustice tout simplement au prix d’une perversion d’un système et d’une politique qui légitiment l’espionnage des temps modernes. Chaque personne doit savoir que les confidences faites à son avocat ne sont plus protégées et demain on placera des micros dans nos cabinets pour écouter ce que les clients nous disent…. Je suis effaré …, alors que nous devrions tous déposer nos robes et dire stop ! Nous défendons des hommes et des femmes mais nous laissons abattre nos confrères en silence. …Soyons forts, mes chers confrères, pour dénoncer cette injustice ! » Ça interpelle mais quelle est la ligne à ne pas franchir ?
2. En Droit :
Cette affaire des écoutes, met en lumière des questions cruciales concernant le secret professionnel des avocats et leurs responsabilités éthiques. Cependant, elle a montré que le secret professionnel peut être mis à l’épreuve lorsque des comportements « jugés » contraires à l’éthique sont en jeu. Mais qui juge ? Ce jugement est-il exempt d’influences corporatistes ou politiques ? Voilà autant de questions qui sont présentes sous toutes les tropiques et la RDC ne fait pas exception.
En RDC, les fondements légaux du secret professionnel des avocats reposent sur plusieurs dispositions de l’Ordonnance-loi no 79-028 du 28/09/1979 [article 74] ainsi que du Règlement Intérieur Cadre des barreaux de la RDC [article 63]. Bien plus, s’agissant de l’administration de la preuve en justice en droit pénal congolais, des limites doivent être fixées à l’utilisation des moyens de preuve et le problème de l’emploi des techniques scientifiques de la révélation de la vérité reste discuté et A. Rubbens enseigne qu’à condition d’en faire un usage loyal. Mais, quel que soit le pays, le dispositif d’écoutes judiciaires visant les avocats cristallise des intérêts antagonistes, qui fragilisent le respect des droits de la défense et l’activité de la profession d’avocat. Pour la RDC, notre crainte est que ce précédent vienne inspirer les justiciers en RDC vu le mimétisme qui nous caractérise...
Les conséquences de l’arrêt dans l’affaire des « Écoutes Sarkozy » sont graves et portent atteinte à la liberté de communication entre un avocat et son client, et par là même aux droits de la défense. Cette décision aboutit, en effet, à ce que toute conversation entre un avocat et son client puisse être écoutée, sauf après une mise en examen. Qu’en est-il du secret professionnel en toutes autres matières, civile, commerciale, sociale ? Si l’on peut admettre - bon gré malgré - qu’une écoute téléphonique faisant ressortir la participation d’un avocat à une infraction puisse être produite en justice, toute autre atteinte au secret professionnel, qui couvre la relation entre un avocat et son client, menace l’indépendance de la profession. Sans confidentialité des échanges entre l’avocat et son client, la défense peut-elle être réellement concevable ? Il appartiendra probablement à la Cour Européenne des Droits de l’Homme [CEDH] de se prononcer sur cet arrêt. Mais pour quelle suite ?
3. Prospective :
Depuis 1981, le recours individuel est ouvert devant la CEDH : un justiciable peut saisir la Cour s’il estime avoir été victime d’une violation d’un droit fondamental protégé par la Convention européenne ou par ses protocoles additionnels. Des conditions sont posées : d’une part, l’épuisement des voies de recours internes ; d’autre part, la saisine doit être rapide puisqu’elle doit intervenir dans les quatre mois suivant la décision nationale définitive. Ces conditions ne posent pas de difficulté dans l’affaire Sarkozy : d’une part, la décision de la Cour de cassation ayant été rendue le 18 décembre 2024, les voies de recours internes sont bien épuisées ; d’autre part, la condition de délai devra indéniablement être respectée.
La CEDH devra se prononcer sur la conformité de la décision française par rapport aux droits fondamentaux qu'elle protège. La légalité des écoutes téléphoniques, présentées à titre probatoire, est contestée. Naturellement, une décision de la CEDH ne peut pas remettre en cause une décision interne, tant en droit civil qu'en droit pénal. Son pouvoir se limite à l'allocation d'une « satisfaction équitable » pour compenser la violation des droits fondamentaux. Ainsi, si la Cour européenne considère que la décision de condamnation rendue par la Chambre criminelle a violé les droits fondamentaux de Sarkozy, notamment son droit à un procès équitable (garanti par l'article 6 de la Convention) ou son droit au respect de la vie privée [garanti par l'article 8], il pourra obtenir une condamnation de la France à l'indemniser. Au-delà de la portée inter partes de la décision, on ne peut nier la portée symbolique d'une condamnation d'un État membre, qui entraîne une certaine stigmatisation. L'État condamné peut être incité à modifier sa législation afin de se conformer à la jurisprudence de la Cour et de se prémunir contre de futures condamnations.
Pour les défenseurs et avocats, il est intéressant de savoir que le requérant se prévalant d'une décision de condamnation de l'État français peut demander un réexamen de l'affaire. Selon l'article 622-1 du Code de procédure pénale, le réexamen peut être demandé par toute personne reconnue coupable d'une infraction, lorsqu'un arrêt rendu par la CEDH indique que la condamnation a été prononcée en violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou de ses protocoles additionnels. Le réexamen porte soit sur la décision de condamnation au fond, soit sur la décision de rejet de pourvoi par la Cour de cassation. Certaines conditions sont posées : la violation doit avoir entraîné des conséquences dommageables qui n'ont pas pu être réparées par la satisfaction équitable accordée. En outre, la demande de réexamen doit être formulée dans un délai d'un an à compter de la décision rendue par la Cour européenne. Elle est alors examinée par la Cour de cassation réunie en tant que « cour de révision et de réexamen ». La décision de cette juridiction est insusceptible de recours. Elle peut soit rejeter la demande, soit annuler la condamnation.
Cependant, dans le cas de Sarkozy, cette possibilité de réexamen ne remettra pas en cause la peine prononcée, car sa peine est immédiatement exécutoire. Par conséquent, il aura cessé de porter son bracelet électronique au moment de la décision de réexamen, à supposer qu'une telle décision soit rendue. Si l'exécution complète de la peine prononcée n'empêche pas la demande de réexamen, elle en réduit indéniablement la portée. Néanmoins, la décision de réexamen présente des intérêts multiples, comme l'effacement du casier judiciaire. Sarkozy pourrait également, en cas d'annulation de sa condamnation, demander la réparation intégrale du préjudice causé par cette condamnation.
C’est toute une leçon de droit communautaire et d’où la nécessité pour les avocats congolais de nous intéresser aux juridictions régionales et sous régionales comme la Cour Africaine des droits de l’Homme et des Peuples, la Cour de Justice de l’Afrique de l’Est, la Cour de la SADC, etc.
Me Joseph YAV KATSHUNG