1. Liminaires
Le droit de propriété tel qu’il est envisagé dans le Code Civil Congolais relève du droit romano-germanique. Or, il existe d’autres systèmes juridiques, tel que celui de la Common Law, lequel possède une vision différente du droit de propriété.
Dans le droit de la Common law, le droit de propriété recouvre une pluralité de notions. Il peut ainsi faire l’objet d’une division entre le legal ownership qui correspond à une propriété juridique, et l’equitable ownership qui désigne une propriété qui octroie un droit d’usage. De même, le droit de la Common law établit une distinction de la propriété en matière de biens réels [real property], ou de biens personnels (personal property). En outre, ce droit de propriété est défini par la doctrine comme un bundle of rights, ce qui correspond à un « agrégat » de droits mais aussi d’obligations. Il sied des lors de voir comment sont traités les cas de fraude en matière de propriété immobilière dans le système anglo-saxon et le cas le plus éloquent est le Droit Sud-Africain.
La théorie de la fraude, bien connue dans le système juridique romano-germanique auquel la RDC appartient, n’est pas étrangère au système anglo-saxon. Pour le prouver, nous ferons l’étude d’une décision célèbre de la Haute Cour de Gauteng Division à Johannesburg rendue en date du 22 septembre 2022, dans l’affaire Botha NO contre Leboko -Radebe et autres [16835/2021] [2022] ZAGPJHC 724.
2. La fraude en matière immobilière en Droit Sud-Africain: Affaire Botha NO contre Leboko -Radebe et autres (16835/2021) [2022] ZAGPJHC 724
Le récent jugement rendu par le juge Adams de la Haute Cour de Gauteng Division, Johannesburg dans l’affaire Botha NO contre Leboko -Radebe et autres (16835/2021) [2022] ZAGPJHC 724 (22 septembre 2022), a examiné si la fraude devait entraîner l'annulation d'un titre de propriété relatif à un bien immobilier.
En effet, monsieur Jeremiah Radebe a divorcé de madame Ntibi Leboko en mars 1997. En 2002, Radebe a acheté un bien immobilier, cependant, deux ans plus tard, en 2004, il est décédé. À la mort de Radebe, Ntibi Leboko s’est fait passer comme étant la veuve et donc le conjoint survivant du défunt. Elle a obtenu frauduleusement des lettres d'autorisation lui permettant de prendre le contrôle des biens du défunt, puis a transféré les biens en son nom. Elle a en outre obtenu un prêt de la banque ABSA et enregistré une hypothèque sur la propriété en garantie.
Monsieur Botha, l'exécuteur testamentaire du de cujus Radebe et le demandeur dans cette affaire, a demandé à la Cour, l'annulation du transfert de la propriété à Leboko, et du retour du titre de propriété et de la propriété à la succession du défunt.
La question que la Cour devait examiner était de savoir si le transfert de la propriété au nom de madame Leboko était valide et fondé sur une cause licite et durable.
La réponse de la Cour fut NON au motif que le transfert de propriété a eu lieu en raison de l'activité frauduleuse et des fausses déclarations de dame Leboko. Il était donc entaché de fraude. Cela évoquait un principe bien connu en droit sud-africain [aussi dans le droit du système romano-germanique comme la RDC], à savoir que « la fraude corrompt tout ». En conséquence, l'inscription du transfert et de l’hypothèque doit être annulée.
Il s’est également posé la question de la responsabilité de la banque ABSA qui avait prêtée de l’argent à dame Leboko. La Cour a répondu que peu importe que lors de la souscription de l'obligation, ABSA Bank était innocente et n'était pas impliquée dans la fraude. Même si une partie innocente peut être lésée par le dénouement de la fraude, le principe demeure et la transaction est nulle. Par exemple, si A vend frauduleusement un bien immobilier à B, puis B le revend légitimement à C et C le revend légitimement à D, l'activité frauduleuse de A à B dénoue toutes les transactions ultérieures. B, C et D n'auraient aucun droit sur la propriété.
Au regard de l'article 6 de la loi 47 de 1937 sur les registres des actes en Afrique du Sud prévoit qu'aucun titre de propriété ne peut être annulé à moins qu'une ordonnance du tribunal ne soit accordée. Que si un titre de propriété est annulé, l'acte qui existait immédiatement avant l'enregistrement de l'acte annulé est rétabli. La Cour a donc ordonné d’une part, l'annulation du titre de propriété en vertu de l'article 6 et d’autre part, le transfert tardif de la propriété à la succession de feu Radebe.
Cette affaire affirme le fait que si un accord et un transfert ultérieur sont entachés de fraude, les juridictions ont le pouvoir d'ordonner l'annulation du transfert et de rétablir la propriété antérieure. Ce n’est que justice et le principe « Fraus omnia corrumpit » l’emporte et il est de plus en plus admis par les tribunaux dans tous les domaines depuis le XIXè siècle, devenant un correctif, qui puise indéniablement sa force normative dans la jurisprudence. Mais il n’en fait pas moins écho à une nécessité qui semble commune à tout système juridique : déjouer des agissements a priori licites mais produisant un résultat illégitime, inadmissible, mettant en cause l’autorité du droit et de la loi.
3. « Fraus omnia corrumpit », correctif et sanction de l’intention frauduleuse ?
La solution dans cette décision de la Cour Sud-Africaine est parfaitement justifiée : on sait que la fraude corrompt tout et on voit mal pourquoi il en irait différemment en matière de propriété immobilière.
Fraus omnia corrumpit est un adage, apparu sous sa forme latine dans la seconde moitié du XIXè siècle mais précédé dans la jurisprudence par la maxime selon laquelle « la fraude fait exception à toutes les règles »[1], exprime la réprobation du droit vis-à-vis de certains agissements qualifiés de « fraudes », qui pêchent par un excès de ruse ou de déloyauté. Érigé au rang de principe général du droit, il permet de faire exception à l’application normale des règles juridiques, lorsque cette application aurait pour effet de consolider un résultat inadmissible pour l’ordre juridique dans son ensemble. C’est en ce sens qu’il est régulièrement qualifié de « correctif », de « garde-fou »[2] : refusant au fraudeur le bénéfice d’une règle de droit dont les conditions étaient pourtant réunies, le principe fraus omnia corrumpit constitue donc un moyen de garder le contrôle de l’application des normes juridiques en permettant d’y déroger au nom de la sauvegarde du droit tout entier.
Relevons que ce correctif nécessite – tout de même - que soit décelée l’intention frauduleuse. L’acte réalisé par le fraudeur ne révélant « objectivement » et à lui seul aucun mépris du droit, la sanction d’un tel acte suppose d’identifier une volonté répréhensible.
La doctrine s’accorde ainsi dans sa très grande majorité pour faire dépendre l’application du correctif fraus omnia corrumpit de la caractérisation d’une intention frauduleuse.
Selon G. Ripert, par exemple : « L’acte juridique, quand il porte sur un objet licite, n’est pas lui-même révélateur de la fraude commise. Il faut donc chercher la fraude dans la volonté de celui qui passe l’acte ».[3] De façon similaire, selon J. Vidal, le problème de la fraude « consiste à se demander si l’emploi d’un moyen en principe correct susceptible de produire un certain résultat juridique produit encore ce résultat lorsque sa mise en œuvre a été dictée par la volonté d’éluder une règle qui prohibe précisément ce résultat », de sorte que « la répression de la fraude n’a plus d’objet si la fraude n’est pas intentionnelle »[4]
[1] Selon H. Roland et L. Boyer (Adages du droit français, LexisNexis, 1999, « Fraus omnia corrumpit »), l’adage fraus omnia corrumpit, en dépit de sa formulation latine, serait apparu pour la première fois dans une note anonyme publiée au recueil Dalloz sous un arrêt de cassation daté de 1855 relatif à la transcription d’une cession immobilière : « Attendu que la fraude fait exception à toutes les règles ; que si la transcription a été faite par suite d'un concert frauduleux entre le vendeur et l'acquéreur, elle ne peut produire aucun effet » (note sous Civ., 26 mars 1855, DP, 1855, 1, spéc. p. 326). Ce n’est que bien plus tard, en 1954, que l’adage est apparu sous la plume de la Cour de cassation (Civ. 2, 7 janv. 1954, Bull. civ. II, n° 2). La maxime paraît en revanche « n’avoir jamais eu cours en droit romain » (H. Barbier, J. Ghestin, Traité de droit civil, Introduction générale : Droit objectif et droits subjectifs, sources du droit, t. I, LGDJ, 5è éd., 2018, n° 809) même si l’idée de fraude était déjà̀ présente (J. Vidal, Essai d'une théorie générale de la fraude en droit français, Dalloz, 1957, p. 11) L’adage fraus omnia corrumpit a été devancé par une formule de portée générale formulée par Cujas au XVIè siècle: « fraus semper excepta videtur » (« la fraude fait toujours exception à la règle ».
[2] Voir par ex. P. Sargos, « Les principes généraux du droit privé dans la jurisprudence de la Cour de cassation, les garde-fous des excès du droit », JCP, 2001, I, 306.
[3] G. Ripert, La Règle morale dans les obligations civiles, LGDJ, 4 éd., 1979, n° 168.
[4] J. Vidal, Essai d'une théorie générale de la fraude en droit français, Dalloz, 1957., p. 120.