Le 'fait du prince' en droit privé

Publié le Modifié le 04/12/2008 Vu 22 025 fois 0
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Faut-il différencier, dans le cas d'un changement de circonstances dans un contrat de droit privé, le cas où l'imprévision est due à un élément économique, du cas où celle-ci est due à un agissement de la puissance publique ?

Faut-il différencier, dans le cas d'un changement de circonstances dans un contrat de droit privé, le cas oÃ

Le 'fait du prince' en droit privé

Définitions

La théorie de l'imprévision

"La théorie de l'imprévision prévoit que, dans le cadre de l'exécution d'un contrat administratif, le cocontractant de l'administration doit poursuivre l'exécution du contrat même si survient un événement imprévisible et temporaire qui la rend plus difficile. Il aura droit à une indemnisation partielle du préjudice qui lui est causé. Rejetée par le juge judiciaire, cette théorie est en principe acceptée par le juge administratif français." (Wikipedia)

Le fait du prince

"Le fait du Prince, qui dans le langage courant désigne un acte arbitraire du gouvernement, désigne en droit administratif français, une mesure prise par l'administration qui a un impact sur un contrat auquel elle est partie. La théorie du fait du Prince prévoit que le cocontractant de l'administration a alors droit à une indemnisation intégrale des frais causés par cette mesure, si cette mesure a perturbé la réalisation des travaux prévus par le contrat.

Une telle mesure n'est pas considérée comme un fait du Prince si elle entre dans le cadre des pouvoirs traditionnels de l'administration en termes de contrat administratif : pouvoir de contrôle, pouvoir de modification et de résiliation unilatérales. La théorie du fait du Prince ne s'applique donc que pour des mesures prises par l'administration à titre extra-contractuel. Il peut s'agir par exemple de mesures de police administrative indépendantes du contrat mais qui ont un impact sur les conditions de son exécution.

L'application de la théorie du fait du Prince entraîne l'indemnisation intégrale du cocontractant par l'administration. Elle se distingue donc de la théorie de l'imprévision qui ne prévoit qu'une indemnisation partielle dans le cas d'un événement indépendant de la volonté des parties." (Wikpedia)

Analyse

Le droit français, est l'un des rares pays en Europe, où la solution sur la question de la révision pour imprévision n'est pas la meme en droit privé qu'en droit public. Ceci est notamment du au fait que la France est l'un des rares pays qui n'a pas prévu de mécanisme judiciaire permettant au juge de modifier un contrat de droit privé dans un tel cas.

Les autres pays européens dans lesquels le juge privé ne peut modifier un contrat sont notamment le Royaume-Uni, la Belgique ou le Luxembourg. En dehors de l'Europe on pourra par exemple citer le Quebec.

Question

Faudrait-il, en droit privé, faire une différence pour les cas où l'imprévision est due une action de l'Etat, des cas où l'imprévision est simplement due à un élément économique (ou naturel)?
(On entendra donc ici 'fait du prince' par son sens général).

On peut prendre exemple sur un contrat à exécution successive, dont le prix de l'exécution augmenterait, dans un premier cas du fait d'une nouvelle taxe sur les matières premières, dans un second cas du simple fait de l'explosion du prix des matières premières. Doivent ces 2 situations être traitées de la même façon ?

Réponse

En droit français on trouve donc 3 solutions différentes. La théorie de l'imprévision en droit public (qui entraine indemnisation partielle), le fait du prince (qui entraine indemnisation totale), ou le refus de la révision pour imprévision en droit privé.

Une question pourrait se poser en droit privé : est ce que le cocontractant dont le prix de l'exécution a augmenté suite à une action de l'Etat, pourrait se retourner contre l'Etat ?
Il semblerait qu'une telle solution, bien que bénéfique au contrat, soit trop dangereuse pour pouvoir s'appliquer de façon générale, puisqu'elle ferait courir un trop grand risque aux décisions gouvernementales, et que l'Etat n'etant pas partie au contrat, ce ne serait pas à lui de porter le risque de l'imprévision de chaque contrat. De plus cela serait un frein à la création législative.

Mais peut-on faire porter à la partie souffrant du désagrément, le risque de l'imprévision lié aux décisions de l'Etat ?

Sur cette question, faisant abstraction des autres débats sur la révision pour imprévision, on pourrait peut-être considérer que le juge puisse réviser un contrat dans le cas où l'imprévision est à imputer à un agissement l'Etat. En revanche, on pourrait considérer qu'un contrat ne puisse être révisé là où l'imprévision est due aux mouvements économiques du marché. Cela pour respecter le libre jeu et l'égalité devant le marché. Chacun est responsable des conséquences de ses actes, dans la limite où celles-ci ne sont pas modifiées par la tierce personne qu'est l'Etat.

Ainsi, l'imprévision pour raison économique ne serait pas protégée, mais un minimum de protection se trouverait dans le cas où celle-ci trouve son origine dans les actions de l'autorité public. On respecte le libéralisme du marché, mais on protège contre les mouvements de l'Etat.

La question se compliquerait dans le cas où un mouvement économique trouverait son origine dans un agissement de l'Etat.

Cette théorie est soutenue par certains économistes libéraux. Elle a pour objectif de permettre à la fois une certaine flexibilité dans les cas les plus injustes, tout comme de respecter l'intérêt des entreprises de voir leurs contrats être menés à bout en respectant le jeu du marché.

Cette solution n'est actuellement pas retenue par les juristes qui, en France comme en Europe, travaillent sur la question du changement de circonstances en droit privé. Elle ne se retrouve pas dans les projets de réforme du droit des contrats (ni en France, ni parmi les PECL, le DCFR ou les principes UNIDROIT). Tous ces projets ne distinguent pas la raison du changement de circonstances dans la solution qu'ils retiennent. La raison d'absence de toute distinction semble inconnue ?


Remerciements : Jean-Claude Rwibasira, Faculté de Droit de l'Université nationale du Rwanda, à l'origine de la problématique soulevée par cet article.

Voir un sujet proche sur mon blog :

Quel acteur pour la réforme européenne du droit des contrats

Projet sur le changement de circonstances en droit comparé

Notes de la conférence sur le droit européen des contrats 2008

La solution du canal de Craponne n'existe pas en droit anglais

De l'importance d'une règle sur le changement de circonstances

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