La nouvelle loi dite « immigration » du 26 janvier 2024, n’a toujours pas fini de faire d’elle.
Parmi les questions les plus polémiques suscitées par cette loi, se trouvait celle de son application immédiate ou non dans le temps, notamment les articles L.731-1,1° et L.741-1 du Ceseda.
Cette question semble aujourd’hui résolue par un avis du 20 novembre rendu par la Cour de Cassation, saisi d’une demande formée par le juge des libertés et de la détention du Tribunal Judiciaire de Lyon.
Dans son avis ci-dessus mentionné, la Cour de Cassation a dit pour droit qu’à la suite de la modification des dispositions des articles 731-1,1° et 741-1 du Ceseda par loi « immigration » du 26 janvier 2024 (L.n°2024-42,26 janv.2024 : JO,27 janv.), une obligation de quitter le territoire français (OQTF), « prise plus d’un an avant la date d’entrée en vigueur de cette loi, peut fonder un placement en rétention administrative, à l’issue de l’entrée en vigueur de cette loi, si cette décision a été prise moins de trois ans avant la date de placement et n’a jamais été exécutée ».
Bien que cet avis fasse aujourd’hui jurisprudence établie, il n’en interpelle pas moins, au regard notamment de sa « position » quant au principe tout aussi établi de la non-rétroactivité de la loi nouvelle dans le temps, principe qu’il convient de revisiter même sommairement avant d’exposer les arguments de la Cour de Cassation et les conséquences concrètes de cette jurisprudence dans la défense quotidienne des étrangers.
I- Sur le principe de la non-activité de la loi nouvelle
Le principe de la non rétroactivité de loi est un des principes les plus connus et justifiés du droit français.
Le progrès du droit conduit en effet à favoriser l’application de la loi nouvelle, réputée être plus adaptée que la loi ancienne. L’idée ici est que, si une nouvelle loi est intervenue, c’est qu’elle était nécessaire, et qu’elle est donc opportune.
Ce principe tire principalement son essence du concept de sécurité juridique, qui
s’oppose à l’application dans le passé de la loi nouvelle.
On ne peut remettre en cause, rétroactivement, ce qui a été acquis sous l’empire de la loi ancienne.
Cet objectif a été consacré dans l’article 2 du code civil depuis 1804, article qui interdit à la loi de rétroagir sur le passé et circonscrit son action à l’avenir en ces termes « La loi ne dispose que pour l'avenir; elle n'a point d'effet rétroactif ».
Ce rappel volontairement « allégé » pour être accessible de ce qu’est le principe de la non-rétroactivité pourrait suffire à solder la question de l’application dans le temps de la loi « immigration », dont les articles articles L.731-1,1° du Ceseda et L.741-1 du Ceseda ne disposeraient donc que pour l’avenir.
Tel n’est pas le sens de l’avis de la Cour de Cassation qui fait aujourd’hui jurisprudence.
II- Sur l’avis de la Cour de Cassation
Dans sa nouvelle rédaction issue de la modification par la loi « immigration » du 26 janvier 2024, l’article L.731-1,1° du Ceseda autorise l’assignation à résidence d’un étranger faisant l’objet d’une OQTF prise moins de trois ans avant.
Avant l’entrée en vigueur de cette loi, pour être assigné à résidence, il fallait que cette OQTF ait été pris moins d’un avant.
Une application…stricte du principe de la non-rétroactivité de la loi nouvelle ci-dessus rappelé, voudrait donc que la possibilité d’assigner à résidence les personnes sous le coup d’une OQTF prise depuis moins de trois ans, ne soit envisageable que pour le OQTF délivrées à partir du 28 janvier 2024, date d’entrée en vigueur de la loi « immigration ».
Autrement dit, toutes les OQTF délivrées avant cette date devaient rester soumises à l’ancienne loi.
C’est du moins que la plupart des praticiens du droit des étrangers avaient cru comprendre, même si les juridictions de fond restaient divisées sur le sujet.
En effet, autant les Cours d’appel de Paris, Orléans ou encore Pau estimaient que la nouvelle rédaction de l’article L.731-1,1° du Ceseda pouvait être d’application immédiate, d’autres telles que Douai ou Rennes retenaient une solution contraire.
Se faisant l’écho de ces divergences, le Juge des Libertés et de la Détention du Tribunal Judiciaire de Lyon a saisi d’une demande d’avis la Cour de Cassation.
Par un avis du 20 novembre 2024, la Cour de cassation a dit pour droit que qu’à la suite de la modification des dispositions des articles L.731-1,1° et L.741-1 du Ceseda par la loi « Immigration » du 26 janvier 2024, une décision portant OQTF « prise plus d’un an avant la date d’entrée en vigueur de cette loi peut fonder un placement en rétention administrative, à l’issue de l’entrée en vigueur de de cette loi si cette décision a été prise, moins de trois ans avant la date du placement et n’a jamais été exécutée ».
La Cour précise sa pensée en faisant valoir qu’ « une OQTF, ancienne de plus d’un an à la date de l’entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 2024, n’est pas privée d’effet , l’étranger demeurant toujours sur le territoire, et ne se trouvant pas dans une situation juridique définitivement constituée, qui ferait obstacle à une modification de la période au cours de laquelle une assignation à résidence ou un placement en rétention peut être prononcé ».
L’avocate générale Mme Mallet-Brichout poursuit en expliquant « qu’une telle solution ne contrevient aucunement à au principe de non-rétroactivité des lois nouvelles, dans la mesure où la situation juridique née antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle produit ses effets au-delà de cette entrée en vigueur et sert simplement de base légale à une décision juridique postérieure à la loi nouvelle ».
L’avis de la Cour de Cassation n’est pas, loin s’en faut, dénué de bon sens. Il s’entend, du moins dans l’interprétation téléologique qu’elle fait des textes.
Dans une approche plus « pratique » que peut avoir l’avocat défenseur des étrangers, on peut néanmoins modestement trouver à redire sur l’avis de la Cour de Cassation.
Il faut ainsi déjà souligner que dans son avis, la Cour semble mettre au centre de son analyse, la notion de « situation juridique définitivement constituée » dans laquelle l’étranger ne se trouverait pas et qui pourrait justifier l’exécution d’une OQTF ancienne de plus d’un an.
Dans cette approche trop juridique, la Cour ne prend pas en compte les évolutions et changement concrets qui seraient intervenus dans la vie d’un étranger dont une OQTF date par exemple d’un peu plus de deux ans, et qui s’était inscrit d’un processus sérieux visant à solliciter une régularisation, soit par le travail, soit par les liens avec la France, et qui ne veut plus risquer de soumettre sa demande d’admission au séjour de peur de subir l’exécution d’une OQTF datant de plus d’un an, mais de moins de trois ans ; et tomberait donc sous l’application immédiate de la loi nouvelle.
On ne peut pas en dépit de l’analyse fort recevable de la Cour de Cassation qu’il y’a là comme une injustice, du moins comme une insécurité juridique, à tout le moins comme une nouvelle mise à l’épreuve du droit des étrangers.