Par un arrêt du 18 décembre 2020, le Conseil d'Etat a jugé que « un refus de titre de séjour ne peut légalement se fonder sur une interdiction du territoire français (ITF) dont la durée est expirée, alors même que l’intéressé s’est maintenu irrégulièrement sur le territoire français ». CE, 18 dé. 2020, n°435097.
Par cette décision, la haute juridiction apporte une précision fondamentale dans les rapports entre les préfectures et les étrangers sollicitant un titre de séjour.
En effet, comme pour les étrangers ayant fait l’objet par le passé d’un interdiction administrative de retour sur le territoire français (IRTF) mesure accessoire à une OQTF, il était difficile voire impossible lorsqu’on était sous le coup d’une interdiction de territoire français (ITF) peine complémentaire à une peine privative de liberté, de voir sa demande de titre de séjour, reçue en préfecture lorsque cette mesure n’avait pas été exécutée, ou à tout le moins, lorsque l’étranger n’avait pas quitté le territoire.
Tout au plus, lorsque ces demandes de titre de séjour étaient reçues en préfecture pour instruction, elles faisaient souvent l’objet d’un rejet, parfois au motif unique que la mesure d’interdiction n’était pas « exécutée », du moment où l’étranger n’apportait pas la preuve qu’il avait quitté le territoire pendant la durée de l’interdiction ; quand bien même la durée de l’interdiction serait échue.
Cette pratique avait pour conséquence de quasiment « condamner » certains étrangers à ne jamais espérer bénéficier d’une régularisation administrative faute d’avoir quitté le territoire français en exécution de la mesure d’interdiction de territoire. Il est évident qu’un retour dans leur pays d’origine scellerait une autre condamnation, celle de ne plus jamais obtenir un visa, au motif qu’ils représenteraient une menace pour l’ordre public du fait de leur passé pénal.
Par l’arrêt ci-dessus mentionné, le Conseil d’Etat vient dire qu’une ITF qui est une peine complémentaire se purge avec le temps, c’est à dire qu’elle s’exécute :
- à compter du jour où le jugement le prononçant devient définitif ;
- ou, s’il est assorti de l’exécution provisoire, à compter de son prononcé.
En somme et à titre d’illustration, un étranger interdit de territoire français à titre de peine complémentaire pour une durée de 2 ans, décision devenue définitive le 15 février 2019, ne devrait plus se voir opposer cette interdiction de territoire français pour justifier un refus de séjour, dès le 16 février 2021 ; l’ITF étant d’après la jurisprudence du Conseil d’Etat « purgée » par le temps, même si non exécutée.
Ce positionnement du Conseil d’Etat semble créer une différence entre les effets de l’interdiction de retour sur le territoire français (IRTF) qui ne se purge que par la sortie effective du territoire le temps indiqué par l’arrêté préfectoral, et ceux de l’interdiction judiciaire du territoire qui se purge avec le temps.
Cette différence doit toutefois être nuancée, compte tenu notamment de la jurisprudence récente, non pas du Conseil d’Etat, mais du juge administratif de Nancy.
Par un jugement du 15 septembre 2020, les premiers juges ont effet annulé un arrêté préfectoral qui rejetait pour irrecevabilité une demande de titre de séjour formée par une personne étrangère sous le coup d’une interdiction de retour sur le territoire français non exécutée. TA Nancy, 15 sept 2020, n°1902535
Cette jurisprudence qui reste à confirmer pose comme principe que l’existence d’une IRTF, n’est pas incompatible avec une demande de titre de séjour, quand bien même l’étranger se serait maintenu sur le territoire.
Si dans cette décision du Tribunal administratif de Nancy il n’est pas encore question de dire que l’existence d’un IRTF ne peut suffire à elle seule à motiver une décision de refus de titre de séjour, il s’agit au moins d’admettre qu’une personne sous le coup d’une IRTF puisse voir sa demande de titre de séjour examiner, sans que l’existence de cette IRTF puisse fonder à elle seule une décision de rejet pour irrecevabilité ; ce qui n’est pas une moindre garantie pour les étrangers eu égard notamment à l’élargissement des cas dans lesquels une mesure d’éloignement est susceptible d’être assortie d’une IRTF.
CE, 18 dé. 2020, n°435097.