« Indemnités prud’homales » : le barème qui a mis le feu aux poudres !
Le social constituant un enjeu prioritaire pour notre pays, de nombreuses réformes ont été mises en place depuis 15 ans sans véritable succès. Le fautif actuel est le Code du travail. Mais, faut-il tout attendre d’une simplification du droit du travail ? N’y-t-il pas aussi d’autres raisons ?
Réformes sociales : les tentatives de passage en force sont toujours vouées à l’échec
Le barème prud’homal obligatoire instauré par la loi El Khomri 1 a déclenché non seulement l’ire de tous les syndicats mais aussi d’une partie de la population. Ce barème a certainement été l’élément cristallisant l’opposition à la loi. Il faut reconnaître que c’est objectivement un sujet particulièrement clivant, d’autant plus qu’il y avait eu la tentative Macron, l’été dernier, invalidée par le conseil d’État.
Ce point figurant en première ligne, la loi était à peine présentée que le ton des débats était alors donné : on ne pouvait être que « pour » ou « contre ». La France reprenait ses bonnes vieilles habitudes d’opposition frontale et de guerre des postures pérennisant ainsi la culture du conflit et non celle de la construction négociée.
Réformer les règles en matière de droit du travail nécessite aussi arbitrage, pédagogie et méthode. Or, en l’espèce, la consultation préalable des organisations syndicales prévues à l’article 1 du Code du travail a, visiblement, été oubliée. Pourtant, le 1er Ministre, fin 2015, avait vanté les vertus de la méthode en matière de négociation collective. Ainsi, il expliquait que « le dialogue social était la meilleure voie pour concilier les besoins des entreprises et les attentes des salariés au niveau de la branche et au niveau de l’entreprise ». Pour cela, il souhaitait « instaurer une vraie culture de la négociation et sortir des logiques d’affrontement ». S’appuyant sur le rapport Combrexel, il affirmait que « l’accord de méthode est une condition nécessaire au développement du dialogue social » (dossier de presse du 4 novembre 2015). Ce qui vaut pour la branche et l’entreprise vaut aussi pour l’État. Les belles idées ont donc été rapidement oubliées.
Le gouvernement a fini par tenir compte des demandes syndicales et ce barème est devenu indicatif et non plus contraignant.
Cependant, cette « reculade » continue à déchaîner les passions. Ainsi, pour Sophie de Menthon présidente d’Ethic, « la disparition des prud’hommes ( du barème NDLA) est un retour en arrière terrible » (les Échos du 23 mars 2016). Pour Stéphane Treppoz, PDG de Sarenza, « un des enjeux majeurs pour débloquer la machine à embaucher en France est de mettre fin à l’incertitude qui pèse sur comment se séparer d’un salarié » (les Échos 21 mars 2016).
Ne pas savoir combien un employeur va verser s’il est amené à licencier le salarié, constitue donc un frein à l’embauche. Est-ce aussi simple que cela ?
Quels licenciements étaient concernés par le projet de loi ?
Tout d’abord, il faut préciser que ce barème n’avait pas été institué pour s’appliquer à tous les licenciements. Il ne concernait que les licenciements abusifs.
Ainsi, tous les licenciements qui ont une cause réelle et sérieuse, donc en principe la grande majorité, ne sont pas concernés par ce barème. Dans cette situation, le salarié licencié perçoit l’indemnité légale ou l’indemnité conventionnelle de licenciement. Ce barème ne s’appliquait donc pas aux salariés ayant commis une faute, manquant de loyauté, exercé des violences, abusé de leur liberté d’expression, refusé de respecter les règles en vigueur en matière de discipline, ayant fait preuve d’insuffisance professionnelle, etc. De même le licenciement économique fondé n’était pas visé par le projet.
Seuls les licenciements abusifs, autrement dit les licenciements sans cause réelle et sérieuse, étaient concernés par l’instauration de ce barème.
Rappelons que la sanction du licenciement sans cause réelle et sérieuse varie en fonction de la taille de l’entreprise et de l’ancienneté du salarié.
Pour les salariés ayant moins de deux ans d’ancienneté ou travaillant dans une entreprise de moins de 11 salariés, ceux-ci peuvent prétendre à une indemnité calculée en fonction du préjudice subi, appréciée librement par les tribunaux.
Pour les salariés ayant au moins deux ans d’ancienneté et licenciés par un employeur occupant habituellement 11 salariés ou plus, le tribunal peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise ou octroyer une indemnité au salarié qui ne peut pas être inférieure aux 6 derniers mois de salaire. C’est cette solution qui est traditionnellement retenue.
Il est donc vrai que ces dommages intérêts ne sont pas prédéterminables précisément. Seules la taille de l’entreprise et l’ancienneté du salarié permettent de donner une orientation. Ces dommages-intérêts peuvent donc varier en fonction du conseil de prud’hommes, de la catégorie à laquelle appartient le salarié, de l’âge du salarié, de la difficulté à retrouver un emploi, de l’appréciation du préjudice subi, de la bonne foi ou mauvaise foi des parties, etc.
Néanmoins, les praticiens peuvent établir des fourchettes et certaines revues etouvrages juridiques se sont d’ailleurs employés à recenser le montant moyen de ces dommages-intérêts.
Donc, dire que l’on est totalement dans l’opacité n’est pas non plus totalement véridique.
Ainsi, dès lors que l’employeur est bien conseillé avant de licencier, dans la très grande majorité des cas, le licenciement reposant sur des motifs réels et sérieux ne sera pas invalidé et ne donnera pas lieu à versement de dommages-intérêts.
Certes, le droit social est devenu très complexe et il y a de nombreux points qui pourraient être clarifiés et simplifiés afin de sécuriser les rapports dans l’entreprise. Cependant, en matière de licenciement individuel, pour la plupart des motifs personnels, il n’y a pas eu de changement depuis très longtemps.
Il faut véritablement prendre conscience que la gestion des hommes et l’application des règles de droit social est un métier qui nécessite non seulement une maîtrise de la loi sociale mais aussi la connaissance des techniques juridiques, de négociation et managériales. Il convient aussi de bien évaluer les risques.
De plus, parallèlement à la complexification du droit du travail, les salariés ont amélioré leur connaissance de celui-ci, grâce notamment aux nouvelles technologies et aux sites internet gratuits (Service public.fr..). Dans un contexte de chômage fort, comment s’étonner qu’ils n’hésitent pas à intenter une action devant le conseil de prud’hommes lorsqu’il y a manifestement eu une rupture abusive ou lorsque ceux-ci ont vécu un harcèlement ou subi ces charges et pressions impactant de manière irréversible leur santé ?
Trouver d’autres solutions est impératif…
Comme il est difficile de réformer sur la question, il faut améliorer et faciliter l’application des textes, donc la lecture de ceux-ci. En effet, depuis des années, les gouvernements successifs ont superposé les textes rendant difficile la lecture du Code du travail. De nombreuses règles y figurant n’ont d’ailleurs jamais été appliquées soit par ignorance, soit faute de décret d’application. Ainsi, par exemple, la loi Rebsamen du 5 août dernier n’est toujours pas applicable puisque les décrets n’ont toujours pas été publiés...(le décret relatif à la composition et au fonctionnement de la DUP dans les entreprises de mois de 300 a toutefois été publié fin mars, jour où cet article a été publié). Plus personne n’en parle. Pourtant cette loi était tant attendue surtout pour simplifier les relations sociales dans les entreprises.
Il conviendrait aussi de fluidifier un certain nombre de règles procédurales, notamment pour les très petites entreprises.
Par ailleurs, beaucoup d’entreprises d’une certaine taille n’investissent pas suffisamment dans l’ingénierie sociale (comme elles peuvent le faire en matière économique et financière) et le recours aux conseils externes est trop tardif. Beaucoup d’autres et, notamment les petites entreprises, n’ont pas les moyens d’être assistées par des professionnels spécialistes du social et, tout particulièrement de la rupture du contrat de travail. Les organisations patronales mettent de nombreux services à disposition de leurs adhérents mais ne faudrait-il pas aider ces entrepreneurs afin qu’ils puissent faire appel à des RH externalisés ou à des avocats spécialistes en droit social ? Cela pourrait passer par des exonérations fiscales ou par des aides financières.
Par ailleurs, concernant l’impact d’un barème prud’homal sur l’emploi, pourquoi ne pas tenter l’expérimentation sur un bassin d’emploi donné pendant une période donnée ? Ainsi on verrait bien si l’application du barème a ou non un impact en termes d’embauches. Mais, au-delà des clivages, les experts tant économiques que sociaux sont totalement partagés sur la question.
Pour résorber le chômage, répondre aux besoins des entreprises et améliorer les conditions de travail, il est nécessaire de trouver de nouveaux compromis. Cela passe sans doute par une dynamique de négociation plus forte. Les accords de méthode constituent un moyen, négligé jusqu’à présent, pour faciliter celle-ci.
Il convient aussi de travailler sur plusieurs domaines et non uniquement sur la réforme du Code du travail. Ainsi, notamment, améliorer encore plus les nombreuses formalités patronales, baisser les charges sociales, lutter contre les délais de paiement trop longs, lesquels pénalisent lourdement les petites entreprises, ou se préoccuper du dumping social.
François Barbé
Consultant RH/ Relations Sociales