Maître Frédéric CHHUM est l’avocat de l’intermittente du spectacle dans cette affaire.
Dans son arrêt du 19 septembre 2017, la Cour d’appel de Paris (Pole 6 Chambre 3) :
- CONFIRME le jugement en ce qu’il a requalifié la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée, en ce qu’il a condamné la société G&Z à verser à Madame X la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail et en ce qu’il a débouté Madame X de sa demande au titre du harcèlement moral.
- Infirme le jugement pour le surplus, Et statuant à nouveau les chefs infirmés :
- Fixe le salaire mensuel brut de Madame X à 3.200 euros
- CONDAMNE la société G&Z à payer à l’intermittente du spectacle la somme de :
. 16.921,55 euros à titre de rappel de salaire la période du 10 mai 2013 au 12 janvier 2014 et . . 1.692,15 euros au titre des congés payés afférents.
. 19.200 euros à titre d’indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire en application de l’article L.8223-1 du code du travail.
. 3.200 euros à titre d’indemnité de requalification de la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée.
. 3.200 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis en application de l’article L.1234-1 du code du travail et 320 euros à titre de congés payés afférents.
. 100 euros à titre de dommages-intérêts au titre du non-respect de la procédure de licenciement
. 1.500 euros à titre de dommages-intérêts pour travail de nuit sans contrepartie sur le fondement de l'article L.3122-39 du code du travail.
. 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
1) Sur la qualification en CDI et la rupture de la relation de travail
En l’espèce, il n’est pas contesté que Madame X a travaillé pour le compte de la société G & Z du 10 mai 2013 au 11 janvier 2014 inclus, en qualité de danseuse strip-teaseuse au sein du “Club 4" et qu’elle n’a plus été employée après cette date. Sa rémunération horaire s’élevait à 24,62 euros bruts.
Madame X explique qu’elle ne pouvait prévoir par avance ses dates et jours de travail, son planning variant d’un mois sur l’autre. Elle produit à cet égard un tableau des jours travaillés en 2003 qui sont effectivement irréguliers et fait valoir que la société demandait aux danseuses de faire part de leurs disponibilités chaque jeudi pour la semaine suivante, ainsi que l’atteste Madame G., ancienne salariée du Club 4.
Madame X ajoute que seuls étaient assurés un emploi le mercredi, jeudi, vendredi et samedi et qu’elle restait dans l’incertitude concernant son emploi le reste de la semaine.
Elle soutient qu’elle se tenait ainsi à la disposition permanente de la société G & Z, tout en précisant que l’employeur appliquait des “quotas” conduisant à ne pas embaucher des danseuses certains soirs.
De telles argumentations sont cependant inopérantes en l’espèce pour remettre en cause la présomption selon laquelle la salariée se trouvait dans l'impossibilité de prévoir de façon précise à quel rythme elle devait travailler et se tenait constamment à la disposition de l'employeur.
Selon les éléments produits au débat, les bulletins de salaire et le tableau des jours travaillés, l’intéressée a effectivement travaillé de façon irrégulière.
Les durées de travail n’étaient pas fixes, aucune durée hebdomadaire de travail n’était indiquée contractuellement. L’intéressée a parfois travaillé tous les jours de la semaine, mais de façon irrégulière avec des périodes brèves de non emploi certaines semaines.
Il s’ensuit qu’en l'absence d'écrit constatant l'existence d'un contrat de travail à temps partiel, il y a lieu de considérer que le contrat était conclu pour un horaire normal. En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu’il a retenu un temps partiel.
En l’espèce, il a été mis fin aux relations de travail le 12 janvier 2014 à la date de l'arrivée du terme du contrat improprement qualifié de contrat à durée déterminée sans que l’employeur ait adressé une lettre de licenciement et sans que la salariée ait démissionné. La rupture s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que l’a jugé le conseil de prud’hommes.
2) Evaluation du montant des condamnations
Madame X étant à la disposition permanente de G & Z, elle a droit à un rappel de salaires pendant les périodes intercalaires. En reconstituant un salaire à temps complet sur la base du taux horaire pratiqué par la société G & Z, la rémunération mensuelle s'élèverait à 3.734 euros bruts (151,67 x 24,62 euros).
Cependant, Madame X effectue son calcul sur une base inférieure en précisant qu’il apparaît équitable de fixer le salaire mensuel brut de Madame X à 3.200 euros. Cette base correspondant à la demande de Madame X sera donc retenue.
Au vu de l’ensemble des éléments versés aux débats, compte tenu du fait que Madame X a moins de deux ans d’ancienneté au moment du licenciement, au regard des circonstances de la rupture de la relation de travail et de ses conséquences, les premiers juges ont fait une juste appréciation du préjudice subi en application de l’article L.1235-5 du code du travail en allouant à Madame X la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive.
La société G & Z sera en outre condamnée à verser à la société G&Z la somme de 3.200 euros à titre d’indemnité de requalification de la relation de travail ainsi que 3.200 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis en application de l’article L.1234-1 du code du travail et 320 euros à titre de congés payés afférents.
Madame X formule une demande au titre du non-respect de la procédure de licenciement sans pour autant invoquer précisément les irrégularités commises. Compte tenu de l’absence totale de procédure à l’occasion de la rupture de la relation de travail et des explications fournies sur le préjudice subi à cet égard, il sera alloué à Madame X la somme de 100 euros à titre de dommages-intérêts.
3) Sur le travail dissimulé
Madame X soutient qu’elle travaillait chaque jour 6 heures 30 alors que ses bulletins de paie mentionnent qu’elle travaillait 5 heures par journée de travail et que la société G & Z ne déclarait ni les pourboires, ni les commissions perçues qui ne sont pas mentionnés sur ses bulletins de paie. Elle rappelle que la société devait faire mention des pourboires et commissions du fait de leur soumission aux cotisations et contributions sociales. A cet égard, Madame X verse aux débats des attestations d’anciennes collègues reconnaissant l’existence de pourboires et commissions au sein du Club 4 :
- Madame G. confirme l’existence de telles commissions perçues sur les bouteilles de champagne et les coupes de champagne offertes par les clients qui étaient remises le soir même en liquide aux danseuses contre signature.
- Madame H. indique que : “Si un client m’offre une coupe de champagne elle lui ai facturé 35 euros, il m’est reversé 4 euros par coupe que l’on m’aura offert, pour une bouteille de champagne entre 240 euros et 600 euros facturé au client, il m’est reversé 20 euros partagé par le nombre de filles servies par les serveuses sur cette bouteille. Il n’y a aucun moyen de vérifier s’il m’a été payé exactement ce que j’ai bu. Et quand je demande vérification je me fais engueuler. Je suis rémunérée aussi sur les danses privées que je fais. Sur un show facturé 60 euros au client, il m’est reversé 20 euros. Cette danse dure 20 minutes, soit 2 jetons rouges, sur une danse facturée 180 euros aux clients, il m’est reversé 60 euros, le show dure 15 minutes, soit un jeton noir. Chaque fille fait une dizaine de danses par nuit”.
Par ailleurs, il ressort de cette dernière attestation produite par l’employeur que les danseuses étaient tenues de se trouver à la disposition de l’employeur au minimum 5h45 par nuit travaillée, sans compter le temps de préparation avant l’entrée en salle, ce dont l’employeur était parfaitement conscient, ce qui excède les cinq heures déclarées et payées par nuit de travail.
De plus, les explications précises de Madame X, corroborées par des attestations circonstanciées établissent que celle-ci percevaient des commissions non déclarées sur les consommations par les clients de bouteilles et de coupes de champagne.
Les circonstances de l’espèce établissent ainsi que Madame X a effectué des heures et perçu des sommes en liquide non mentionnées sur les bulletins de salaire et sur les déclarations relatives aux salaires et aux cotisations sociales et que les omissions de l’employeur à cet égard étaient intentionnelles.
Il s’en déduit que la société G&Z s’est rendu coupable de travail dissimulé au sens des dispositions du code du travail. En conséquence, la société G&Z sera condamnée à payer à Madame X une indemnité forfaitaire égale à six mois de son salaire de référence en application de l’article L.8223-1 du code du travail, soit la somme de 19.200 euros.
4) Sur les demandes de rappel de salaire du fait de la requalification en CDI à temps complet
Madame X produit un tableau précis mentionnant le montant des salaires dus par G&Z entre le 10 mai 2013 et le 12 janvier 2014, du fait de la requalification de la relation de travail en contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, sur la base d’une rémunération mensuelle de brute de 3.200 euros.
Il apparaît, au vu des bulletins de salaire et du tableau qu’il est dû à Madame X la somme de 16.921,55 euros brut à titre de rappel de salaire du fait de la requalification compte tenu des sommes déjà versées pour les périodes du 1er janvier au 12 janvier 2014 et du 10 mai au 31 décembre 2013. L’employeur sera donc condamné au paiement de cette somme ainsi que de 1.692,15 euros au titre des congés payés afférents.
Au vu des explications fournies et des éléments versés au débat, la somme susvisée comprend la totalité des rappels de salaire dus prenant en compte le fait que Madame X n’avait pas été payée pour la période du 1er novembre 2013 au 11 janvier 2014, et sans qu’il y ait lieu d’y ajouter la somme sollicitée en sus de 3175 euros, qui, selon Madame X, correspondrait à 129 heures non déclarées et non payées, ni d’ordonner le paiement spécifique des cotisations sociales et retraite sur cette somme, l’employeur étant tenu d’y procéder pour l’ensemble des salaires retenus correspondant à un temps complet.
5) Sur les demandes de dommages-intérêts pour non-respect des temps de pause et des dispositions sur le travail de nuit
Madame X a ainsi travaillé, entre le 10 mai 2013 et le 11 janvier 2014 (8 mois), 535 heures de nuit déclarées. Or, est considéré comme travailleur de nuit celui qui accomplit, pendant une période de douze mois consécutifs, deux cent soixante-dix heures de travail, ce qui a été le cas. La qualité de travailleur de nuit de Madame X devant être retenue, l'employeur aurait dû mettre en place un accord d'entreprise ou solliciter une autorisation de l'inspection du travail et bénéficier de contreparties, ce qui n’a pas été le cas au vu des éléments versés au débat.
A cet égard, Madame X a subi un préjudice qui sera réparé par le versement de la somme de 1.500 euros à titre de dommages et intérêts au titre du travail de nuit en violation de l'article L.3122-39 du code du travail.
Frédéric CHHUM Avocat à la Cour (Paris et Nantes)
. Paris : 4 rue Bayard 75008 Paris - Tel: 01 42 56 03 00 ou 01 42 89 24 48
. Nantes : 41, Quai de la Fosse 44000 Nantes - Tel: 02 28 44 26 44
e-mail : chhum@chhum-avocats.com
Blog : www.chhum-avocats.fr