Il convient de s’intéresser à un arrêt de la Cour d’appel de Colmar qui a été rendu le
10 septembre 2014 concernant une procédure de saisie immobilière engagée initialement devant le Tribunal d’instance de Colmar, et qui a finalement débouté l’établissement bancaire de sa requête aux fins d’exécution forcée immobilière.
En premier lieu, il convient de s’intéresser à la spécificité procédurale du droit local qui est encore applicable dans cette belle région de France qu’est l’Alsace-Moselle. En effet, Histoire faisant, cette belle région est encore assujettie, à tort ou à raison (sur un terrain juridique et judiciaire s’entend), à un droit procédural et processuel spécifique, distinct du droit national.
En effet, alors que la procédure de saisie immobilière est strictement réglementée en France avec un contentieux qui doit être engagé devant le Juge d’orientation permettant un débat oral, la spécificité locale de cette procédure amène à une double atteinte, tant à l’encontre du principe du contradictoire, qu’au droit de la propriété, et pour lequel à mon sens l’emprunteur malheureux, désormais appelé débiteur, avec toute la connotation négative que cela peut comporter, perd le droit de s’exprimer et de se défendre dans le cadre d’une procédure qui interdit, par principe, tout débat oral.
En effet, la spécificité procédurale, propre à cette région, permet à l’établissement bancaire saisissant de saisir, sur simple voie de requête le présent Tribunal d’Instance qui rend sa décision aux fins de vente forcée du bien immeuble sans aucun débat contradictoire, ce qui peut sembler particulièrement curieux.
Le décor procédural est tout aussi curieux puisque le recours de cette décision aux fins de saisie immobilière amène le débiteur qui entend contester cette saisie immobilière de former recours directement devant le Président du Tribunal d’Instance compétent, dans le cadre d’un débat qui n’est toujours pas oral et par le biais des conclusions d’un mémoire motivé, dans lequel il doit convaincre le Président du Tribunal d’instance qui a initialement rendu la décision aux fins de vente forcée, que finalement la demande de la banque n’est pas si légitime en son action qu’elle peut le laisser à penser.
Fort de son pouvoir souverain d’appréciation, le Président du Tribunal d’instance est amené à rendre une décision qui là encore, sur le terrain juridique et judiciaire peut également sembler curieux pour l’Homme de loi et l’universitaire varois qui prend sa plume sur le sujet.
En effet, et notamment dans cette affaire qui nous occupe, le président du Tribunal d’instance se retrouve à débouter le débiteur de l’ensemble de ses contestations, tout en considérant que malgré tout cette demande est recevable.
En clair, cela signifierait que l’emprunteur aurait soulevé une argumentation mauvaise, ou erronée en fait ou en droit, mais suffisamment consistante pour que le recours, et l’ensemble des moyens et demandes invoquées soit renvoyé devant la Cour d’appel de Colmar pour permettre à la Cour de s’exprimer sur l’ensemble des moyens de contestation évoqués par le débiteur et pourtant déjà rejetés,
Quelle curieuse procédure que voilà.
Il peut en effet sembler curieux de se retrouver avec une décision jugeant le recours recevable afin de permettre à la Cour de s’exprimer sur des moyens de fait et de droit qui sont rejetés en bloc par celui qui déclare le recours recevable.
Devant la Cour, là encore, le débat oral n’est pas de droit et fort heureusement la Cour d’appel de Colmar a été sensible à la spécificité procédurale du droit de la saisie immobilière, à l’atteinte grave que peut porter cette procédure de saisie immobilière au droit à la propriété, et a autorisé un débat contradictoire, ce que l’on ne peut que saluer.
Ceci étant dit,
Dans cette affaire, par ordonnance du 12 mars 2013, le Tribunal d’instance de Colmar, à la requête d’un établissement bancaire, avait ordonné l’adjudication forcée des biens immobiliers appartenant à une SCI, et ce en l’exécution d’un acte de prêt passé en date du 18 octobre 2012 et visant plusieurs offres de prêt.
La SCI en question avait, le 8 avril 2013, formé un pourvoi immédiat à l’encontre de cette ordonnance et le 14 juin 2013, le Tribunal d’instance de Colmar avait déclaré le pourvoi immédiat et les demandes recevables, même si très curieusement, comme nous l’avons déjà indiqué, celui-ci avait également considéré qu’il y avait matière à débouter la SCI de l’ensemble de ses demandes.
Finalement, la Cour déboute l’établissement bancaire de sa requête aux fins d’exécution forcée immobilière.
L’arrêt est intéressant en ce qu’il répond à un moyen de contestation du débiteur relatif à la déchéance du prêt bancaire qui n’avait pas été fait selon les règles comme le soulignait la SCI.
En effet, dans cette affaire, la SCI était en possession de deux actifs immobiliers : le premier dans le ressort du Tribunal de Colmar, l’autre d’une autre juridiction et sept prêts immobiliers avaient été contractés au titre de ces deux investissements immobiliers, trois prêts pour l’un, quatre prêts pour l’autre.
La banque avait également mis en place un compte courant pour permettre justement le prélèvement de l’ensemble des échéances de ces sept prêts.
La difficulté est que la banque n’a pas adressé de correspondance de déchéance du terme à l’encontre de l’ensemble des prêts, mais a adressé une correspondance dans laquelle la Banque mettait fin au compte bancaire sur lesquels les échéances des prêts en question étaient prélevés.
En effet, l’établissement bancaire n’a pas adressé de correspondance visant à prononcer la déchéance du terme de chacun des prêts, mais a préféré adresser un courrier à la SCI le 26 juillet 2012, ayant pour objet le fonctionnement du compte bancaire en question.
Il convient de rappeler que la procédure d’exécution forcée immobilière ne peut être engagée qu’autant que l’établissement bancaire justifie de créances exigibles.
Par voie de conséquence, il convient de vérifier l’ensemble des prêts en question et les conditions particulières de ces fameux prêts.
En effet, les conditions particulières du prêt annexé à l’acte authentique comportaient un paragraphe intitulé « défaillance et exigibilité des sommes dues », prévoyant l’exigibilité immédiate et de plein droit, sans mise en demeure préalable de la totalité des sommes dues en principal, frais accessoires au titre du prêt en cas de non-respect de ses engagements par l’emprunteur.
Toutefois, il ressort de cette même clause, et bien qu’aucune mise en demeure ne soit exigée pour la mise en œuvre de cette clause, il ressort néanmoins du libellé de la clause qu’en cas de défaillance de l’emprunteur, et si la banque exige le remboursement immédiat du capital restant dû…
Il s’agit d’une faculté offerte à la banque.
Il lui appartient par conséquent d’informer, de manière claire et non équivoque, l’emprunteur de son intention de prononcer l’exigibilité anticipée du prêt.
Cette position est intéressante, car elle vient rappeler que si l’établissement bancaire peut se prévaloir d’une exigibilité anticipée immédiate, sans avoir adressé quelque mise en demeure que ce soit, il lui appartient en tout état de cause d’adresser sinon un préavis, au moins une lettre de prévenance afin d’informer l’emprunteur malheureux que finalement celle-ci entend mettre en œuvre cette faculté d’exigibilité immédiate importante d’échéance du terme, de prévoir
Pour sa défense, l’établissement bancaire a invoqué que cette faculté avait été remplie à travers la correspondance, qui n’avait pourtant que pour objet le fonctionnement du compte bancaire en question.
Cependant, la Cour souligne qu’il ne peut cependant être déduit de ce courrier, qui confirme le fonctionnement du compte courant de la société, et dans lequel la banque indique d’une part ne plus être disposée à maintenir les crédits à durée indéterminée consentis par le passé, et d’autre part que les autorisations de crédit dont pouvait bénéficier la SCI en question prendront fin à l’expiration d’un délai de soixante jours.
Par voie de conséquence, il n’y a pas d’acte clair et non équivoque de l’établissement bancaire de se prévaloir de la clause d’exigibilité anticipée du prêt litigieux, lequel n’est ni un crédit à durée indéterminée, ni une autorisation de crédit.
La Cour en déduit que la seule référence faite au numéro du prêt dans les paragraphes, soulignant à titre d’information que le retard sur les échéances des sept prêts consentis à la SCI totalisait une certaine somme, sous réserve de la comptabilisation des agios et des opérations en cours sans autre position, n’est pas suffisante pour considérer que l’établissement bancaire ait entendu de manière non équivoque prononcer la déchéance du terme au titre de ce prêt immobilier.
La Cour souligne encore que cette preuve ne résulte pas davantage des éventuels courriers successifs qu’a pu adresser la banque, puisqu’effectivement la banque avait adressé plusieurs correspondances, mais la première correspondance envisageait un réaménagement des prêts en cours, et la seconde ne précisant absolument pas le montant des échéances impayées au titre de ce prêt et n’exigeant pas non plus le remboursement immédiat du capital.
Dès lors, aucune clause du contrat prévoyant enfin l’exigibilité anticipée de l’ensemble des concours consentis par la banque en cas de dénonciation de l’un d’eux ou de la convention du compte courant, il y avait donc lieu de considérer que la déchéance du terme n’était pas
Ainsi la Cour d’appel de Colmar considère que l’établissement bancaire ne justifie pas d’une créance exigible, de telle sorte que sa requête aux fins d’exécution forcée immobilière ne peut à ce stade qu’être rejetée et l’ordonnance entreprise infirmée sans qu’il ne soit nécessaire d’examiner les autres moyens soulevés.
Ainsi l’établissement bancaire serait débouté, faute pour lui d’avoir effectué une déchéance du terme conforme aux prescriptions de la loi et des offres de prêt, en ne pouvant se satisfaire d’une simple correspondance entraînant la déchéance du compte courant bancaire, sans que celle-ci ait quelque effet que ce soit contre le prêt qui n’a pas fait l’objet d’une déchéance du terme précise, ni même de correspondance de la banque, visant à informer l’emprunteur malheureux que celle-ci entendait opter pour cette exigibilité.
Cette décision est extrêmement satisfaisante puisqu’elle vient rappeler qu’il appartient malgré tout à la banque de démontrer, de rapporter la preuve que la créance est exigible et que la déchéance du terme a bel et bien été effectuée conformément aux prescriptions de la loi et conformément au contrat.
Il est tout aussi rassurant de constater que l’établissement bancaire n’a pas le monopole d’interprétation dudit contrat et encore moins des conditions de la déchéance du terme et de l’exécution immédiate du crédit en question.
Par voie de conséquence, cette décision est satisfaisante.
Elle permet à l’emprunteur malheureux, désormais appelé débiteur, de se défendre et de venir également contester l’exigibilité de la créance, ce qui n’est pas un vain mot.
Plusieurs conséquences doivent cependant être tirés de cet arrêt rendu par la Cour d’appel de Colmar.
En premier lieu, on ne peut que s’étonner du fait que celle-ci déboute purement et simplement l’établissement bancaire de sa demande, sans pour autant considérer que la procédure de saisie immobilière est nulle et de nul effet puisque la procédure n’est pas annulée.
Pourtant, le commandement de payer reposant sur un titre exécutoire qui n’est pas exigible, l’acte devait être nul, tout comme sa procédure subséquente.
Il convient de s’arrêter quelques instants sur les effets de la nullité, car dans la mesure où la procédure est nulle, celle-ci est réputée n’avoir jamais existée.
Or, c’est sans compter les dernières jurisprudences en droit bancaire relatives à la question de la prescription, il est bien évident qu’une procédure n’ayant jamais existé n’a pas vocation à interrompre de quelque manière que ce soit la prescription.
De telle sorte que, dans pareil cas, la prescription biennale que peut revendiquer tout consommateur, tant personne physique que personne morale, a vocation à trouver application, la saisie immobilière annulée étant considérée comme n’ayant jamais existée…
Qu’en est-il alors d’une décision de la Cour d’appel de Colmar qui ne vient pas prononcer la nullité de la procédure, qui ne vient pas annuler le commandement de payer et tous les actes intrinsèques qui en ont suivi, mais qui vient simplement débouter l’établissement bancaire de ses prétentions.
Cela peut sembler d’autant plus curieux qu’inversement la Cour a rejeté l’ensemble des autres moyens de contestations de fond soulevés en défense par le débiteur aux fins de condamnation de la banque à des dommages et intérêts au titre de ses différents manquements ou bien encore en contestation de l’ensemble des décomptes permettant d’obtenir l’annulation de la clause de stipulation des intérêts du prêt en litige.
Pourtant, dans la mesure ou la Cour ne dis pas nulle la procédure de saisie immobilière et déboute simplement l’établissement bancaire de sa demande aux fins de saisie immobilière, rien ne l’empêchait de statuer sur les demandes reconventionnelles du débiteur….
Bien plus, finalement, l’établissement bancaire serait alors en mesure d’engager une action afin de voir sa créance clairement consacrée et de prononcer une déchéance du terme, cette fois-ci parfaitement conforme et régulière au contrat.
Toutefois, l’emprunteur n’est pas démuni et peut encore se défendre contre l’établissement bancaire en assignant ce dernier devant le Tribunal de grande instance afin notamment de remettre en place un échéancier.
Dans la mesure où la créance n’est pas exigible, il ne paraît pas saugrenu de considérer que le prêt immobilier est toujours en cours et que par conséquent, l’emprunteur est en droit de solliciter la remise en place de l’échéancier afin de permettre à l’emprunteur de poursuivre son crédit et de faire face à ses obligations.
Il appartient à ce dernier d’assigner en ce sens afin de ne pas permettre à la banque de re-prononcer une déchéance du terme qui pourrait être valable cette fois-ci, et il appartient également à l’emprunteur d’envisager de contester les décomptes.
Il est bien évident que l’emprunteur est en droit, dans le cadre de la procédure immobilière, de contester l’ensemble des décomptes, intérêts, frais et accessoires sollicités par l’établissement bancaire et il est pareillement en droit devant le Tribunal de grande instance de solliciter l’annulation de la clause de stipulation des intérêts.
Une telle approche juridique et judiciaire permettrait à l’emprunteur de solliciter, et d’obtenir, la remise en place d’un échéancier, cette fois-ci non plus sur un taux d’intérêt conventionnel, mais bel et bien sur un taux légal, à 0,04 %, ce qui peut sembler également intéressant sur un terrain tant juridique que sur un terrain économique et financier.
Il n’apparait également pas inutile de solliciter également devant la juridiction l’annulation ou la suspension ou la réduction de l’ensemble des intérêts conventionnels qui auraient pu être générés pendant toute la procédure de saisie immobilière puisqu’immanquablement la banque a eu une interprétation erronée de son contrat.
Ceci ne pourrait être que Justice, car rien ne justifie que l’emprunteur subisse les conséquences financières des erreurs de l’établissement bancaire.