Pour mémoire, l’article 1832 du code civil définit une société comme un acte juridique par lequel deux ou plusieurs personnes conviennent d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice, de profiter des économies qui pourra en résulter, ou le cas échéant de contribuer aux éventuelles pertes.
Ainsi, on dit que les associés sont animés par une affectio societatis, c’est-à-dire la volonté de collaborer de façon effective à l’exploitation de la société dans un intérêt commun et sur un pied d’égalité.
Autrement dit, tous les associés doivent se considérer comme unis à tous les autres avec la volonté de poursuivre ensemble l’œuvre commune.
Malgré cela, avec le temps, les relations entre associés sont susceptibles de se tendre et d’aboutir à une confrontation plus ou moins vive, notamment lors de l'exercice du droit de vote au cours des assemblées générales de la société.
Dans certains cas, les actionnaires minoritaires peuvent reprocher aux actionnaires majoritaires d’abuser de leurs droits et de gérer la société non dans l’intérêt de la société elle-même, mais dans leur intérêt personnel.
Dans d’autres cas, le conflit intervient parce que des associés majoritaires vont estimer que les associés minoritaires ont abusé de leur minorité de blocage pour empêcher l’adoption d’une décision.
Cependant, afin de prévenir les conflits et d’éviter l’aggravation de leurs conséquences, la jurisprudence a mis sur pied de nombreuses mesures propres à empêcher les abus de majorité, de minorité et d’égalité.
1) L’abus de majorité et ses sanctions
« C'est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. »
Cette formule de Montesquieu, tirée de « De l’esprit des lois », revêt une acuité toute particulière en droit des sociétés.
En effet, lieu de pouvoir, les assemblées d’associés sont aussi le théâtre de conflits entre associés majoritaires et minoritaires.
Ainsi, il arrive fréquemment que des associés minoritaires reprochent aux associés majoritaires d’utiliser le pouvoir qui leur a été accordé pour satisfaire l'intérêt social, non seulement de manière contraire à l'intérêt social, mais en plus à des fins personnelles.
Dans ce cas, on dit qu’il y a abus de majorité, défini par la jurisprudence comme la résolution « prise contrairement à l'intérêt général de la société et dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité. » (Cass. Com, 18 avril 1961)
L’abus de majorité est donc caractérisé en présence des deux conditions cumulatives suivantes :
- une résolution d'assemblée générale qui doit être contraire à l’intérêt de la société ;
- une résolution constitutive d'une rupture d’égalité entre les associés.
Lorsqu’il est caractérisé, l’abus de majorité est d’abord sanctionné par l’annulation de la décision abusive.
Cette action en nullité peut être engagée par tout associé, y compris ceux ayant voté en faveur de la décision litigieuse, ou par la société elle-même au travers de son représentant légal.
Si le juge accueille l’action, la décision abusive est annulée rétroactivement, de sorte que, par exemple, la distribution des sommes qui ont été abusivement affectées en réserve par les associés majoritaires peut être ordonnée.
C’est ainsi que la Cour de cassation a jugé que des associés majoritaires avaient commis un abus de majorité en décidant d'affecter systématiquement, pendant des années, la totalité des bénéfices en réserve, car ces sommes n'étaient justifiées par aucun intérêt social, mais avaient pour effet de priver l’associé minoritaire des revenus de l'activité de la société. En conséquence, la Haute juridiction a ordonné la distribution de ces bénéfices. (Cass. Civ. 3, 7 février 2012, n° 10-17812)
Outre l’annulation de la résolution abusive, les associés minoritaires peuvent assigner en justice les associés majoritaires pour obtenir des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l’abus de majorité.
Ainsi, dès que l’abus de majorité est caractérisé, les associés minoritaires peuvent demander soit l’annulation de la décision abusive, soit la condamnation des associés majoritaires à des dommages et intérêts, les deux sanctions pouvant également se cumuler.
2) Les abus de minorité et d’égalité et leurs sanctions
Les associés majoritaires ne sont pas les seuls à abuser de leurs droits, on rencontre aussi des cas où le comportement des associés minoritaires devient abusif parce que ces derniers bloquent une décision favorable au bon fonctionnement de la société.
Pour permettre aux autres associés de passer outre l’obstruction des minoritaires, la jurisprudence a une nouvelle fois eu recours à la conception civiliste de l’abus de droit, en créant l’abus de minorité.
Celui-ci résulte du comportement d’un associé minoritaire « contraire à l’intérêt général de la société en ce qu’il interdit la réalisation d’une opération essentielle pour celle-ci, et dans l’unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de l’ensemble des autres associés ». (Cass. com., 9 mars 1993, n°91-14685)
Par exemple, l’abus de minorité pourra consister à bloquer toute modification des statuts en refusant de voter une décision d’augmentation de capital ou toute autre décision nécessaire à la sauvegarde de la société.
C’est ainsi qu’il a été jugé que constitue un abus de minorité le refus d’un associé de voter l'augmentation de capital indispensable à la survie de la société, car ce refus « avait eu pour seul but d'entraver le fonctionnement de celle-ci et avait été dicté par des considérations purement personnelles, notamment son éviction du conseil d'administration et les intérêts qu'il possédait dans une société concurrente, dont son gendre détenait la majorité du capital. » (Cass. com., 5 mai 1998, n° 96-15383)
Lorsque l’abus de minorité est caractérisé, plusieurs sanctions peuvent être prononcées par les juges.
L’abus de minorité peut d’abord donner lieu à la condamnation des associés minoritaires abusifs au paiement de dommages et intérêts pour réparer le préjudice subi par la société ou les associés majoritaires.
Néanmoins, la condamnation à des dommages-intérêts, même élevés, peut s’avérer insuffisante, dans la mesure où la minorité de blocage pourra toujours empêcher l’adoption d’une décision essentielle pour la société.
Pour pallier à cela, la jurisprudence a considéré que si le juge ne peut pas se substituer aux organes sociaux, il peut néanmoins désigner un mandataire chargé de représenter les minoritaires à une nouvelle assemblée et de voter en leur nom dans le sens des décisions conformes à l’intérêt social mais ne portant pas atteinte à l'intérêt légitime des minoritaires. (Cass. com., 9 mars 1993, n°91-14685)
Cette seconde sanction permet ainsi de faire adopter une résolution nécessaire à la survie de la société et présente l’avantage d’éviter une immixtion des juges dans la gestion de la société.
Par ailleurs, variante de l'abus de minorité, l'abus d'égalité aboutit à la même conséquence, dans la mesure où dans les deux cas l’associé qui fait obstruction empêche la prise de décision.
Ainsi, lorsque l'attitude d'un des deux seuls associés est contraire à l'intérêt de la société en ce qu'elle interdit une opération essentielle pour celle-ci, et dans le seul but de favoriser ses propres intérêts au détriment de l'autre associé, l’abus d’égalité est sanctionné par la désignation d’un mandataire chargé de voter en lieu et place de l’associé égalitaire récalcitrant et la condamnation de ce dernier au paiement de dommages-intérêts.
En définitive, nous pouvons constater que les abus de minorité ou d’égalité procèdent de conflits d’intérêts entre associés, tout comme l’abus de majorité.
Mais, dans un souci de protection des associés et du bon fonctionnement de la société, la jurisprudence a prévu des moyens permettant de remédier aux abus de majorité, de minorité et d’égalité.
Cependant, ces moyens peuvent se révéler insuffisants et la société peut alors voir sa survie menacée par la paralysie de ses organes sociaux ou la disparition de l’affectio societatis qui animait les associés au départ.
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Anthony Bem
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