Internet : compétence du juge français pour juger des atteintes commises sur des sites belges

Publié le 31/10/2012 Vu 4 743 fois 0
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Le 11 octobre 2012, le Président du tribunal de grande instance de Nanterre s’est estimé compétent pour juger des atteintes portées aux droits à l’image et au respect de la vie privée envers une personne qui a en France le centre de ses intérêts quand bien même les sites internet concernés sont belges (Ordonnance du Tribunal de grande instance de Nanterre, 1ère chambre, 11 octobre 2012, Marion C. / Rossel & Compagnie et Ordonnance du Tribunal de grande instance de Nanterre, 1ère chambre, 11 octobre 2012, Marion C. / Société anonyme d’informations et de productions multimédias).

Le 11 octobre 2012, le Président du tribunal de grande instance de Nanterre s’est estimé compétent pour j

Internet : compétence du juge français pour juger des atteintes commises sur des sites belges

En l’espèce, le site www.lesoir.be, édité par la société belge Rossel & Compagnie, diffusait un article intitulé “Marion C. enlève le haut dans le nouveau film d’Audiard”, illustré de deux photographies de la comédienne en partie dénudée alors qu’elle interprétait une scène du film de Jacques Audiard.

Par ailleurs, le site www.dhnet.be, édité par la société belge d’Informations et de Productions Multimédias, diffusait un article intitulé “Marion C. se baigne seins nus”, illustré d’une photographie de la comédienne en partie dénudée alors qu’elle interprétait une scène du film de Jacques Audiard.

En outre, deux liens hypertexte présents sur ce dernier site offraient l’accès aux internautes vers une vidéo prise au cours du tournage et vers une page internet où étaient reproduits 13 clichés pris pendant le tournage du film.

Marion C. a fait citer devant le tribunal de grande instance de Nanterre les sociétés éditrices de ces deux sites internet belges afin d’obtenir leur condamnation à lui payer des dommages et intérêts pour avoir porté atteinte à ses droits d’artiste interprète et à l'image.

Pour se défendre, les sites belges ont notamment soutenu que les sites étaient accessibles par le biais d’une adresse internet nationale, comportant un nom de domaine de terminaison nationale “.be” montrant que les éditeurs de ces sites ont entendu les destiner au public belge et non à un public international de sorte que le juge français devait se déclarer incompétent pour connaitre de ce litige.

Or, la compétence des juridictions françaises en matière de contentieux de l’internet est réglée par la loi de l’Etat membre, par application de l’article 4 du règlement communautaire 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale et l’article 5.3 de ce règlement prévoit comme l’article 46 du code de procédure civile la possibilité de saisir le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit.

L’article 5.3 dispose qu’en matière délictuelle ou quasi-délictuelle, une personne domiciliée sur le territoire d’un Etat membre peut être attraite devant les juridictions de l’Etat dans lequel le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.

Le président du tribunal de grande instance de Nanterre a confirmé sa compétence juridictionnelle en distinguant les atteintes au droit à l’image et celles portées aux droits d’artiste interprète de la demanderesse.

S’agissant de la compétence des juridictions françaises pour connaitre des atteintes au droit à l’image, il a été jugé que :

« En cas d’atteinte alléguée aux droits de la personnalité au moyen de contenus mis en ligne sur un site internet, l’article 5.3 rappelé ci-dessus, tel qu’interprété par la Cour de justice de l’Union européenne dans un arrêt du 25 octobre 2011 (C-509/09), permet à la personne qui s’estime lésée de saisir d’une action en responsabilité, au titre de l’intégralité du dommage causé, soit les juridictions de l’Etat membre du lieu d’établissement de l’émetteur de ces contenus, soit les juridictions de l’Etat membre dans lequel se trouve le centre de ses intérêts.

Cette personne peut également, en lieu et place d’une action en responsabilité au titre de l’intégralité du dommage causé, introduire son action devant les juridictions de chaque Etat membre sur le territoire duquel un contenu mis en ligne est accessible ou l’a été. Celles-ci sont compétentes pour connaître du seul dommage causé sur le territoire de l’Etat membre de la juridiction saisie.

Il a été constaté que l’ensemble des photographies litigieuses ont été diffusées en France. Marion C. expose par ailleurs sans être contestée être née en France, y résider avec sa famille et y exercer son activité professionnelle. Le centre de ses intérêts est donc situé en France.

Les juridictions françaises sont donc compétentes pour connaître de l’entier préjudice occasionné par les atteintes alléguées à son droit à l’image ».

S’agissant de la compétence des juridictions françaises pour connaitre des atteintes aux droits d’artiste interprète, il a été jugé que :

« Tant les atteintes alléguées aux droits moraux d’artiste interprète que celles alléguées au titre des droits patrimoniaux sont par conséquent de nature à occasionner un préjudice sans limites territoriales particulières et à l’échelle de l’Union Européenne, quels que soient les Etats dans lesquels le film tourné a été diffusé.

Il convient d’ajouter que les droits moraux de l’artiste interprète sont intrinsèquement rattachés à la personne de l’interprète, comme le rappelle en droit français l’article L.212-2 du code de la propriété intellectuelle, revêtant une nature proche de celle des droits de la personnalité.

Il apparaît au regard de ces éléments que le critère du centre des intérêts de la personne est le plus conforme à l’objectif de prévisibilité de la compétence judiciaire, permettant au demandeur d’identifier facilement la juridiction qu’il peut saisir et au défendeur de prévoir raisonnablement celle devant laquelle il peut être attrait.

Le centre des intérêts de Marion C. étant situé en France, les juridictions françaises sont compétentes pour connaître de l’entier préjudice occasionné par les atteintes alléguées à ses droits d’artiste interprète ».

Pour conclure, le juge a posé le principe d’une triple compétence des juridictions nationales :

« En l’espèce et par application des articles 42 et 46 du code de procédure civile, la partie qui s’estime lésée peut saisir, en matière délictuelle, outre le lieu du domicile du défendeur, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi. Le constat d’huissier dressé le 17 octobre 2011 à Colombes permet d’établir que le site poursuivi est diffusé dans les Hauts de Seine, et qu’ainsi le dommage est subi en particulier dans le ressort du tribunal de grande instance de Nanterre.

L’exception d’incompétence sera rejetée ».

Les victimes d’atteintes à leurs droits sur le web peuvent donc saisir, pour obtenir réparation des préjudices causés par un site étranger :

- soit la juridiction du lieu du siège social de la société étrangère éditrice du site internet concerné ;

- soit la juridiction dans le ressort de laquelle le dommage a été subi. Il s’agira du lieu où le fait causal, engageant la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle, a produit directement ses effets dommageables à l'égard de celui qui en est la victime immédiate ;

- soit la juridiction du lieu du fait dommageable, qui s'entend à la fois du lieu où le dommage est survenu et du lieu de l'événement causal. Lorsque ces lieux ne sont pas identiques, le défendeur peut être attrait au choix du demandeur devant le tribunal de l'un de ces lieux (Cass. Civ. 30 octobre 2006, N° de pourvoi : 04-19859) ;

- soit, enfin, les juridictions de chaque Etat membre sur le territoire duquel un contenu mis en ligne est accessible ou l’a été pour connaître du seul dommage causé sur le territoire de l’Etat membre de la juridiction saisie.

Ces deux décisions de justice rappellent que l’internet n’est pas une zone de non droit.

Je suis à votre disposition pour toute information ou action.

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Anthony Bem
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