Internet, Twitter, Facebook, Ebay, Google, Agoravox ... ne sont pas des zones de non-droit

Publié le Modifié le 31/10/2012 Vu 4 228 fois 0
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Contrairement à une croyance populaire erronée, Internet, Twitter, Facebook ne sont pas des zones de non-droit. En effet, depuis près d’une décennie, le législateur et les juges français ont forgé un véritable cadre juridique conduisant à la consécration du droit de l’internet applicable même à l’encontre des sites étrangers et indépendamment des législations étrangères dont ils dépenderaient naturellement ou contractuellement aux termes de leurs conditions générales d'utilisation (CGU).

Contrairement à une croyance populaire erronée, Internet, Twitter, Facebook ne sont pas des zones de non-dro

Internet, Twitter, Facebook, Ebay, Google, Agoravox ... ne sont pas des zones de non-droit

A contre-pied de l'intitulé de l’émission « Le grand direct des médias », présentée par Jean-Marc Morandini, : « Internet, Twitter, Facebook... : des zones de non-droit ? », 18 octobre 2012, à laquelle j'ai eu le plaisir d'être invité, Internet, Twitter, Facebook... ne sont pas des zones de non-droit.

Tout d'abord, les juges français sont compétents même pour juger les sites étrangers (1), et le droit français est applicable aux atteintes commises sur internet même sur des sites étrangers ou des réseaux sociaux appartenant à des sociétés étrangères ou soumises au droit étranger (2).

A titre liminaire, il convient de souligner que le droit de l'internet français est essentiellement prétorien et jurisprudentiel, comme c'est d'ailleurs naturellement le cas en matière d'évolution juridique des droits nouveaux.

1) Les juges français sont compétents même pour juger des atteintes aux droits commises sur (ou par) des sites étrangers

Il ressort des deux décisions présentées ci-après que les juges français sont compétents pour juger de la responsabilité des sites étrangers lorsque les conditions requises sont remplies.

Le 29 mars 2011, la Cour de cassation a rendu un arrêt important s'agissant de la compétence de principe des juges français en sanctionnant la contrefaçon sur eBay (Cass. Com, 29 mars 2011, SARL Ebay Europe, SA Ebay France, Sté Ebay Inc. c/ SARL Maceo, M. H. C., SCP Brouard Daudé, N° de pourvoi : W 10-12.272).

En l'espèce, la société Maceo a constaté que des annonces reproduisant ses marques française et communautaire “April 77” apparaissaient, sans son autorisation, sur les sites Ebay.com et Ebay.fr.

La société Maceo a assigné la société de droit américain Ebay lnc., la société de droit luxembourgeois Ebay Europe et la société Ebay France (ci-après dénommées les sociétés Ebay) devant le tribunal de grande instance de Paris afin d'obtenir la cessation des actes de contrefaçon de ses marques et l'indemnisation de son préjudice.

En défense, les sociétés Ebay ont soulevé l'incompétence de la juridiction française à l'égard de la société Ebay Inc. au profit des juridictions américaines.

Les premiers juges ont rejeté l’exception d’incompétence invoquée par les sociétés Ebay.

En effet, ils ont admis l'existence d'un lien suffisant, substantiel ou significatif entre la contrefaçon et le territoire français, compte tenu que l'huissier avait pu accéder au site « .com. » rédigé en langue anglaise et indiquant le dollar comme monnaie de paiement, avait ainsi acheté un pantalon en jean, puis avait reçu confirmation par un courrier électronique rédigé en grande partie en français.

Le 2 décembre 2009, la cour d'appel de Paris, pôle 1, chambre 2, a débouté les sociétés Ebay de leur exception d'incompétence territoriale de la juridiction française pour connaître du litige et s'est donc reconnue compétente pour connaitre du litige.

L'arrêt d'appel retient qu'il est établi que :

« Le site exploité aux Etats-Unis d'Amérique est accessible sur le territoire français et que le préjudice allégué, ni virtuel, ni éventuel, subi sur ce territoire, peut être donc être apprécié par le juge français, sans qu'il soit utile de rechercher s'il existe ou non un lien suffisant, substantiel ou significatif entre les faits allégués et le territoire français ».

La cour de cassation a donc été amenée à trancher le débat sur la question de la compétence du juge français en matière de contrefaçon sur Internet.

Les juges de cassation ont d'ailleurs considéré que le débat objet du recours en cassation « ne concerne pas une répartition de compétence entre les tribunaux nationaux mais tend à lui retirer le pouvoir de trancher le litige au profit d'une juridiction d'un Etat étranger ».

L'arrêt se fonde sur l'article 46 du code de procédure civile qui dispose que :

« Le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur : - en matière contractuelle, la juridiction du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l'exécution de la prestation de service ; - en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi ; - en matière mixte, la juridiction du lieu où est situé l'immeuble ; - en matière d'aliments ou de contribution aux charges du mariage, la juridiction du lieu où demeure le créancier ».

La cour de cassation a posé le principe qu’en matière de dommages causés sur internet les juges français sont compétents à condition de prouver :

- d’une part, l’accessibilité du site internet sur le territoire français ;

- d’autre part, que le contenu litigieux soit destiné au public de France ou que la victime a ses intérêts en France.

Le 25 octobre 2011, la Grande chambre de la Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE) a jugé que les sanctions et indemnisation des atteintes aux droits de la personnalité par la publication de contenus illicites sur internet relèvent de la compétence de la juridiction du lieu où la victime a le centre de ses intérêts, c'est-à-dire du lieu de sa résidence habituelle.

En l’espèce, l’acteur français Olivier Martinez et son père, Robert Martinez, se plaignent d’atteintes à leur vie privée et au droit à l’image d’Olivier Martinez caractérisées par la mise en ligne, sur le site Internet accessible à l’adresse «www.sundaymirror.co.uk», d’un texte rédigé en langue anglaise et intitulé « Kylie Minogue est de nouveau avec Olivier Martinez », avec des détails concernant leur rencontre.

Messieurs Olivier et Robert Martinez ont donc assigné la société MGN Limited, éditrice du site du journal britannique Sunday Mirror, devant le tribunal de grande instance de Paris pour violation du droit au respect de leur vie privée et du droit à l’image sur Internet, sur le fondement de l’article 9 du code civil français qui dispose que « chacun a droit au respect de sa vie privée ».

La société MGN Limited a soulevé l’incompétence du tribunal de grande instance de Paris en l’absence d’un lien de rattachement suffisant entre la mise en ligne litigieuse et le dommage allégué sur le territoire français.

En réponse à la question préjudicielle posée, la CJUE a indiqué que :

« la victime d’une atteinte à un droit de la personnalité au moyen d’Internet peut saisir, en fonction du lieu de la matérialisation du dommage causé dans l’Union européenne par ladite atteinte, un for au titre de l’intégralité de ce dommage. Étant donné que l’impact d’un contenu mis en ligne sur les droits de la personnalité d’une personne peut être le mieux apprécié par la juridiction du lieu où la prétendue victime a le centre de ses intérêts, l’attribution de compétence à cette juridiction correspond à l’objectif d’une bonne administration de la justice. L’endroit où une personne a le centre de ses intérêts correspond en général à sa résidence habituelle. Toutefois, une personne peut avoir le centre de ses intérêts également dans un État membre où elle ne réside pas de manière habituelle, dans la mesure où d’autres indices tels que l’exercice d’une activité professionnelle peuvent établir l’existence d’un lien particulièrement étroit avec cet État ».

Ainsi, en cas d’atteinte aux droits de la personnalité au moyen de contenus mis en ligne sur un site Internet, la victime a la faculté de saisir d’une action en responsabilité :

- soit les juridictions de l’État membre du lieu d’établissement de l’émetteur de ces contenus, à savoir le pays de l’éditeur du site internet litigieux,

- soit les juridictions de l’État membre dans lequel se trouve le centre de ses intérêts,

- soit les juridictions de chaque État membre sur le territoire duquel un contenu mis en ligne est accessible ou l’a été. Celles-ci sont compétentes pour connaître du seul dommage causé sur le territoire de l’État membre de la juridiction saisie.

Le 11 octobre 2012, le Président du tribunal de grande instance de Nanterre a confirmé sa compétence pour juger des atteintes portées aux droits à l’image et au respect de la vie privée envers une personne qui a en France le centre de ses intérêts quand bien même les sites internet concernés sont belges (Ordonnance du Tribunal de grande instance de Nanterre, 1ère chambre, 11 octobre 2012, Marion C. / Rossel & Compagnie et Ordonnance du Tribunal de grande instance de Nanterre, 1ère chambre, 11 octobre 2012, Marion C. / Société anonyme d’informations et de productions multimédias).

2) Le droit français applicable aux atteintes commises sur internet même sur des sites étrangers ou des réseaux sociaux appartenant à des sociétés étrangères ou soumises au droit étranger

Le droit français applicable aux atteintes commises sur internet relève :

- du droit de la presse dont les limites à la liberté d’expression posées par la loi sur la liberté de presse de 1881, telles que la diffamation, l’injure, la provocation à la haine raciale, etc … ;

- du droit commercial avec le dénigrement, la concurrence déloyale, la contrefaçon de marque déposée, l’atteinte au nom commercial ou à la dénomination sociale ;

- du droit pénal avec le nouveau délit d’usurpation d’identité ou d’introduction frauduleuse à un système de traitement automatisé de données (STAD) ;

- du droit civil avec la violation du droit au respect de la vie ou du droit à l’image.

Les textes législatifs antérieurs à l’émergence d’internet s’appliquent donc sur ce nouveau média.

A titre d’exemple, d’application du droit français aux sociétés étrangères exploitant un site internet, déjà le 20 novembre 2000, le Président du tribunal de grande instance de Paris a condamné la société américaine Yahoo ! Inc., à mettre en place un dispositif de filtrage interdisant l’accès des internautes français à son site américain de vente aux enchères d’objets nazis (TGI de Paris, Ordonnance de référé, 20 novembre 2000, UEJF et Licra c/ Yahoo! Inc., n° 00/05308).

Pour traiter de la responsabilité pénale du site Yahoo, le juge français a appliqué le droit français, en application des dispositions de l’article 113-2 alinéa 2 du Code Pénal qui énonce que « l’infraction est réputée commise sur le territoire de la République dès lors qu’un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire ».

Le 30 octobre 2001, le Président du tribunal de grande instance de Paris a interdit la poursuite de l’exploitation d’un site internet pour négationnisme en ordonnant à un fournisseur d'accès américain (SkyNetWeb Ltd) de prendre des mesures afin de mettre un terme au trouble illicite (TGI de Paris, Ordonnance en référé, 30 octobre 2001, J'Accuse c/ Sté Gl Com., Sté Wanadoo Int., Sté 9 Telec., SNC AOL Fr., M. O. D. et autres)

Le 24 novembre 2006, la Cour d’appel de Paris a fait obligation à des sociétés américaines, fournisseurs d’accès Internet, de mettre en oeuvre des mesures de filtrage empêchant l’accès à des contenus illicites (Cour d’appel de Paris 14ème chambre, section B Arrêt du 24 novembre 2006, Tiscali Acces et autres / Free, Uejf et autres).

Les 14 janvier 2011 et 4 février 2011, la cour d'appel de Paris a condamné solidairement Google France et Google US pour contrefaçon de droit d'auteur,  à savoir la diffusion de films et photographies sans l'autorisation de leur auteur. 

Plus récemment, le 12 octobre 2012, le Tribunal de grande instance de Paris a condamné pour contrefaçon de droit d’auteur un célèbre site internet, Agoravox, exploité par une société belge (TGI Paris, 12 octobre 2012, 3ème chambre, 2ème section, N° RG : 11/09814).

Tout d’abord, le tribunal a estimé que la photographie litigieuse bénéficiait bien de la protection prévue par le Code de la propriété intellectuelle et que la matérialité de la contrefaçon était établie.

Cependant, pour s’opposer à l’action en contrefaçon, le site internet a cru pouvoir, s’appuyer sur l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

L’article 6, I, 2 de la loi n° 2004-575 pour la confiance dans l’économie numérique dispose que :

“Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour la mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services, ne peuvent voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services, si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou des faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou, si dès le moment où elles ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible.”

Il découle de ce texte, franco-français, un double régime ou une dualité de régimes de responsabilité pour les sites internet :

- De plein droit, pour les sites auteurs des contenus mis en ligne ;

- Limitée, allégée, atténuée ou conditionnée, pour les sites simplement hébergeurs du contenus mis en ligne par les internautes.

Ainsi, le site Agoravox prétendait être ni rédacteur des articles paraissant sur son site, ceux -ci étant l’œuvre des utilisateurs du service, ni éditeur de ses contenus, l’ordre de présentation des articles dépendant automatiquement du vote des lecteurs qui le détermine en fonction des résultats obtenus par chaque article, ceux qui reçoivent le plus de vote favorable figurant en premier rang et donc sur les premières pages du site.

Elle entendait de ce fait bénéficier du statut d’hébergeur aux termes duquel sa responsabilité ne peut être engagée qu’après avoir eu connaissance d’un contenu illicite et en l’absence de sa part d’un prompt retrait dudit contenu.

Cependant, le tribunal a jugé que :

« LA FONDATION AGORAVOX ne se limite pas à fournir un service technique de stockage des articles émanant de tiers en vue de leur mise en ligne à disposition du public, ce qui la cantonnerait à une fonction d’hébergeur, mais qu’elle procède à des opérations de sélection des articles après un examen détaillé de leur contenu d’une part par des bénévoles, eux-mêmes sélectionnés en fonction de critères fixés par le gérant du site, et d’autre part par des membres de l’équipe du site qui veillent notamment à la légalité des contenus et au respect d’une politique éditoriale. L’objectif et les modalités de cette intervention confèrent dès lors à LA FONDATION AGORAVOX la qualité d’éditeur dont la responsabilité relève du droit commun.

Aussi en tant qu’éditeur, et de ce fait responsable du contenu de l’article publié contenant la reproduction de la photo de Monsieur X, LA FONDATION AGORAVOX ,a commis les actes de contrefaçon invoqués ».

Par voie de conséquence, le juge parisien a condamné le site internet d'une société belge à indemniser Monsieur X au titre de ses préjudices patrimonial résultant de l’atteinte à ses droits d’auteur ainsi qu’une réparation du préjudice moral résultant de l’atteinte à ses droits d’auteur.

Cette affaire rappelle que même les sites internet étrangers ou les réseaux sociaux américains (Facebook ou Twitter) sont susceptibles d’engager leur responsabilité dès lors que les contenus mis en ligne sont illicites, c'est-à-dire diffamatoires, injurieux, dénigrants, attentatoires au droit au respect de la vie privée, en violation du droit à l’image, en contrefaçon de droits d’auteur, etc … ou qu'ils ne suppriment pas ces contenus à réception d'une notification de retrait en bonne et due forme.

Je suis à votre disposition pour toute information ou action.

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Anthony Bem
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